La Cour supérieure du Québec interprète de façon restrictive la clause d’exclusivité d’un bail dans un centre commercial au détriment du franchiseur

27 Juin 2018 6 MIN DE LECTURE

Dans ce bulletin d'actualités

  • Dans la récente décision Second Cup Ltd. c. 8702934 Canada inc. (Café Vasanti), 2018 QCCS 2064, la Cour supérieure du Québec a interprété de façon restrictive la clause d’exclusivité d’un bail commercial en faveur du propriétaire d’un centre commercial et au détriment de Second Cup, le franchiseur
  • Circonstances factuelles de l’affaire et en quoi elles appuient la proposition selon laquelle un franchiseur devrait clairement préciser la portée de toute clause d’exclusivité
  • Motifs de cette décision à l’appui de l’interprétation restrictive des clauses d’exclusivité

Dans Second Cup Ltd. c. 8702934 Canada inc. (Café Vasanti), 2018 QCCS 2064, la Cour supérieure du Québec a interprété de façon restrictive la clause d’exclusivité d’un bail commercial intervenu entre le propriétaire d’un centre commercial et un franchiseur. Cette affaire rappelle l’importance pour les franchiseurs de bien préciser la portée d’une clause d’exclusivité pour empêcher leurs concurrents de s’installer à proximité.

Contexte

The Second Cup Ltd. exploite un important réseau de détaillants de cafés spécialisés au Canada. En novembre 2012, Second Cup a conclu avec Darmel Café inc. (le Franchisé) un contrat de franchise afin de permettre à ce dernier d’exploiter une franchise Second Cup dans un centre commercial. En septembre 2013, le propriétaire du centre commercial, 8407304 Canada inc. (le Propriétaire du centre commercial), a loué à Second Cup un espace destiné à l’exploitation d’une franchise Second Cup. Le local a ensuite été sous-loué au Franchisé qui se chargerait de l’exploitation de la franchise.

Le bail commercial intervenu entre le Propriétaire du centre commercial et Second Cup comportait une clause d’exclusivité qui interdisait au Propriétaire du centre commercial de louer un espace dans le centre commercial à toute autre entreprise voulant utiliser les lieux « pour une activité principale d’un café de spécialité vendant des cafés, des cafés de spécialité et des boissons à base d’expresso, tel que, à titre d’exemple, un Starbucks, un Tim Horton’s, un Dunkin Donuts, un Café Dépôt et un AL Van Houtte. » [Traduction libre]

Quelques mois plus tard, le Propriétaire du centre commercial a loué un espace dans le centre commercial à Café Vasanti, un restaurant de style cafétéria qui sert notamment du café infusé. L’ouverture du Café Vasanti a fait chuter de façon significative les ventes du Franchisé. Étant donné les pertes de profits causée par la concurrence, le Franchisé a insisté auprès de Second Cup pour qu’il fasse respecter la clause d’exclusivité, avant de l’aviser de son intention de cesser d’exploiter la franchise, de résilier le contrat de franchise ainsi que le bail, et de réclamer des dommages. Poursuivi par le Propriétaire du centre commercial pour son défaut de payer le loyer prévu au bail, Second Cup a poursuit à son tour le Propriétaire du centre commercial et Café Vasanti. Second Cup a allégé qu’ils enfreignaient la clause d’exclusivité et prétendait que cette contravention au bail constituait une fin de non-recevoir à la réclamation du Propriétaire du centre commercial pour loyers impayés. En effet, le bail commercial de Café Vasanti faisait explicitement référence à la clause d’exclusivité de Second Cup.

Motifs et conclusions

La principale question en litige dans cette affaire est de savoir si la location d’un espace par le Propriétaire du centre commercial à Café Vasanti a contrevenu à la clause d’exclusivité. 

Selon la Cour, la portée de la clause d’exclusivité dépendait de la notion de « café de spécialité ». Or, le bail ne contenait aucune définition, alors que les témoignages à ce sujet étaient contradictoires. Par exemple, Second Cup a allégué que Café Vasanti est un café parce qu’il vend six types de café différents et qu’il se présente comme tel. En revanche, Café Vasanti prétendait qu’il s’agit d’un restaurant de type cafétéria qui sert surtout du café infusé et que la vente de café ne fait donc que compléter sa gamme de produits.

La Cour a rappelé que les clauses d’exclusivité sont interprétées restrictivement. Il appartient à la partie qui invoque la violation d’une telle clause d’en faire la démonstration. Lorsque la clause souffre d’une ambigüité, ces principes doivent s’arrimer à la recherche de la véritable intention des parties.

Dans le cas présent, le Tribunal a estimé que Café Vasanti n’utilisait pas ses locaux aux fins d’y exploiter un café de spécialité. Il a jugé que la clause d’exclusivité visait à la fois trois facteurs, soit un type d’établissement (un café de spécialité), une énumération de produits (des cafés de spécialité) et un modèle d’affaires ou un concept de restauration (un café Second Cup). L’analyse ne peut se limiter à une comparaison des produits vendus par les deux commerces, mais commande une approche contextuelle. La clause incorporait aussi l’idée que les activités visées doivent correspondre à l’activité principale du concurrent. Étant donné que les notions « activité principale » et « café de spécialité » (specialty coffee shop et specialty coffee, en anglais) n’ont pas été définies et soient sujettes à différentes interprétations, et que le terme « café de spécialité » a été associé aux établissements de style Starbucks et Tim Hortons dans la clause, la Cour a conclu que la clause visait essentiellement un genre d’établissement.

À la lumière de la preuve produite, la Cour a soutenu que Café Vasanti est essentiellement un restaurant qui sert également du café, tandis que Second Cup (comme Starbucks et Tim Hortons) est véritablement un café de spécialité. La clause d’exclusivité n’avait dès lors pas été enfreinte. La Cour a statué que Café Vasanti ne relevait pas du champ d’activité concurrentiel que Second Cup avait expressément cherché à restreindre, et a ainsi soutenu que le Propriétaire du centre commercial et Café Vasanti n’ont pas manqué aux conditions de leur bail.

Analyse

Dans cette décision, la Cour supérieure réaffirme la règle voulant que les clauses d’exclusivité s’interprètent restrictivement. Cette règle se fonde sur les principes de libre commerce et de libre concurrence. Toute clause d’exclusivité constituant une exception au libre usage de la propriété, il convient de l’interpréter restrictivement.

La règle d’interprétation restrictive signifie que toute ambiguïté dans l’étendue d’une clause d’exclusivité sera interprétée en faveur de la liberté de commerce et au détriment de la protection économique que le franchiseur voulait s’accorder, à lui-même et à son franchisé.

Afin de protéger efficacement leurs droits, les franchiseurs (ou toute entreprise qui dépend de la protection contre la concurrence offerte par un bail commercial) doivent donc préciser l’étendue de la portée de toute clause d’exclusivité dans leur bail. L’ambiguïté sera interprétée à leur détriment.