Les avocats et le déficit de connaissances en matière d’IA

13 Déc 2021 12 MIN DE LECTURE

Bien que les avocats reconnaissent de plus en plus l’importance de la technologie juridique, et plus particulièrement de l’intelligence artificielle (IA), pour un service à la clientèle efficace, il reste un écart important entre la capacité d’anticiper l’effet de la technologie et celle de comprendre la technologie elle-même. Dans le récent rapport, Avocats et juristes face au futur, 70 % des avocats des services juridiques d’entreprise qui ont répondu ont indiqué que l’IA aura un impact sur leur organisation au cours des trois prochaines années. Toutefois, seulement 28 % des répondants ont indiqué qu’ils avaient une très bonne compréhension de la technologie liée à l’IA. Un écart similaire de connaissances a été constaté chez les avocats des cabinets juridiques qui y ont répondu.

Par cet article, nous espérons réduire ce manque de connaissances au moyen d’un examen pratique de certains travaux juridiques courants qui peuvent être pris en charge par des outils d’IA facilement accessibles aujourd’hui, dont la plupart peuvent être utilisés en matière de contrat, un élément central de tout service juridique.

Qu’est-ce que l’IA?

L’IA peut être décrite comme l’utilisation d’ordinateurs et de logiciels pour reproduire la prise de décision humaine. Cela pourrait aller de l’automatisation de tâches simples à l’exercice d’un jugement semblable à celui de l’humain. L’IA au sein de la pratique juridique contemporaine a récemment été décrite comme « un meilleur outil de recherche » et de « Contrôle + F, sur des stéroïdes », y compris lorsqu’elle est appliquée à l’examen des contrats. Cela met en lumière à la fois la puissance de l’IA et ses limites actuelles dans le contexte du travail juridique.

Comment l’IA est-elle généralement appliquée aux contrats aujourd’hui?

Les applications les plus courantes et les plus efficaces de l’IA pour les contrats se situent aujourd’hui au début et à la fin du cycle de passation des marchés. Au début, l’IA aide à la création des premières versions grâce à des outils comme Contract Express, HotDocs, GhostDraft (Korbitec et Leaflet). L’IA peut également être utile pour réviser des contrats définitifs grâce à des outils comme Kira Systems, eBrevia, Diligen et Luminance.

Les outils d’automatisation de documents peuvent être utilisés pour aider à produire les premières versions des contrats. Lorsqu’on commence avec des documents modèles appropriés, divers champs peuvent être « codés » afin qu’ils soient prêts à être utilisés. Ils fournissent, en fait, des espaces entre crochets afin que les utilisateurs puissent y inscrire les dispositions contractuelles communes qui changent. Une fois codé, l’outil de passation des contrats reçoit des valeurs pour chaque champ de la part des utilisateurs, souvent en remplissant un formulaire préétabli. Ces valeurs sont ensuite compilées dans le modèle codé pour achever un projet de convention. Même s’ils ne sont pas souvent classifiés comme un exemple d’IA, ces outils reproduisent la prise de décision humaine de base et automatisent les tâches connexes.

L’utilisation de l’IA pour appuyer l’humain dans sa révision des contrats définitifs est désormais monnaie courante. La force de ces outils réside dans leur capacité de recherche et de catégorisation des types de clauses demandées. Un expert en la matière peut alors plus facilement réviser les clauses répertoriées et exercer son jugement. Le temps, le coût et les ressources nécessaires pour effectuer « manuellement » la vérification diligente dans les opérations ont été les principaux facteurs opérationnels de la conception de ces outils de révision des contrats basés sur l’IA. Il existe aujourd’hui de nombreux outils disponibles sur le marché qui sont préalablement programmés, « prêts à l’emploi », pour repérer des centaines de types de clauses contractuelles courantes. Dans de nombreux cas, ces outils sont plus rapides et plus précis que la révision faite par l’humain seul. À divers degrés, ces outils peuvent également être entraînés par les utilisateurs à repérer de nouveaux types de clauses.

L’utilisation courante de ces outils s’étend au-delà de la vérification diligente dans les opérations. Par exemple, de vastes ensembles de documents peuvent être examinés afin de compiler les clauses en vue de la rédaction d’un futur contrat ou de proposer des clauses à des fins de gestion des contrats en aval. Étant donné que les données relatives aux contrats peuvent être recueillies au fil du temps, il est possible d’établir des profils de risque et d’éclairer les négociations contractuelles éventuelles.

Élaboration de cas d’utilisation : révision et négociation de contrats

Les outils d’IA destinés à appuyer la révision préalable à l’exécution et la négociation de contrats sont de plus en plus aisément accessibles. Les outils d’IA peuvent effectuer toute une série d’activités de relecture de base, dont la révision des renvois, des termes définis et des emplois des termes définis. Des applications plus récentes et plus complexes examinent les clauses d’un contrat en cours de négociation pour montrer les différences par rapport à la formulation des clauses privilégiées. D’autres options de rédaction peuvent être proposées pour les clauses qui diffèrent d’une norme. Des commentaires automatisés ou des « versions annotées » d’un document peuvent être générés pour être révisés par l’utilisateur.

Ainsi, les outils d’IA sont en mesure de faire monter la chaîne de valeur pour que le travail lié à l’élaboration des contrats soit davantage axé sur le jugement. D’un point de vue pratique, les outils utilisés à cette étape de la passation des contrats se sont d’abord concentrés sur les contrats commerciaux de grand volume comme les accords de non-divulgation. De plus en plus, cette technologie peut être appliquée à une variété d’autres contrats choisis par l’utilisateur. L’utilité des outils d’IA pour un type de contrat peut dépendre de l’existence d’un nombre suffisant d’exemples appropriés pour permettre au logiciel d’IA de faire des comparaisons valables.

Quels sont les avantages de l’IA?

La création et la révision des contrats assistés par l’IA offrent plusieurs avantages potentiels aux utilisateurs et à leurs clients. Le temps nécessaire à la rédaction et à la révision des contrats peut être considérablement réduit. Cela permet aux spécialistes du droit de se concentrer sur les aspects de la pratique qui sont les plus importants pour leurs clients. La production de contrats par l’IA peut également réduire le coût global des travaux liés à l’élaboration du contrat. Les outils d’IA se sont avérés capables d’accomplir des tâches avec une plus grande précision que la révision effectuée par l’humain seul. L’intégration de l’IA à la révision des contrats peut réduire le risque d’erreur et ainsi accroître la satisfaction des clients. Le fait de pouvoir s’appuyer sur la technologie pour mener à bien les aspects, souvent, les plus banals du travail contractuel présente un avantage supplémentaire : les praticiens sont plus heureux.

Humains et robots à IA

Heureusement, il est désormais aussi banal de se demander si les robots remplaceront les avocats que d’y répondre par la négative. Un processus décisionnel clair qui peut être automatisé devrait l’être. Il ne s’agit pas de tâches qui requièrent, en soi, des « habiletés d’avocat ». Cependant, la plupart des travaux juridiques qui ont une plus grande valeur aux yeux des clients exigent l’exercice d’un jugement, souvent dans des contextes qui ne sont pas encore facilement pris en compte par l’IA. Les outils de révision des contrats par l’IA couramment utilisés peuvent repérer les clauses d’indemnisation à plusieurs endroits dans un contrat, mais le jugement d’un professionnel juridique est nécessaire pour évaluer le risque pour un client dans un contexte donné. La valeur ajoutée apportée par l’IA dans le domaine juridique est le fait de permettre aux professionnels du droit d’effectuer de manière plus rapide et précise certains travaux complexes à fort volume ainsi que des tâches courantes et répétitives. Pour mesurer le succès de l’IA dans le domaine du droit, il faut déterminer si elle améliore la prestation des services aux clients fournis par les spécialistes du droit eux-mêmes.

La rationalisation du travail juridique est en fait un projet d’amélioration des processus. Comme toute technologie, l’IA est simplement un outil permettant d’améliorer un processus. Avant de se lancer dans la technologie, les utilisateurs doivent s’assurer qu’ils ont une compréhension claire des processus existants et des améliorations souhaitées. L’automatisation d’un processus défectueux peut amplifier les inefficacités. Si la technologie d’IA est l’outil adéquat, les utilisateurs peuvent s’attendre à investir beaucoup de temps et d’expertise dans sa configuration, en plus du coût lié à l’achat de la licence pour se servir de la technologie. Même la plus simple utilisation de la technologie d’automatisation des documents exige un travail considérable pour préparer les modèles d’automatisation. Les gains d’efficacité escomptés doivent être mesurés par rapport à l’investissement initial.

La maximalisation du rendement sur investissement de la technologie liée à l’IA peut également vouloir dire recruter des spécialistes. Lorsque les outils contractuels d’IA sont utilisés à grande échelle, les grandes organisations juridiques et les prestataires de services juridiques novateurs peuvent disposer d’un personnel spécialisé qui possède une expertise juridique et technique pour utiliser ou appuyer l’utilisation de la technologie. Chaque outil a sa propre interface utilisateur, ses propres fonctionnalités et ses propres flux de travail qui peuvent lui apporter une plus grande valeur si la technologie est utilisée par un expert. Dans le même ordre d’idée, il est important que les spécialistes qui se consacrent à ce travail aient également de bonnes relations avec les équipes de service-client qu’ils soutiennent ou leur soient bien intégrés. Ils ne peuvent pas fonctionner en vase clos.

Pour certains cas d’utilisation, les utilisateurs peuvent également être amenés à réaliser un investissement important pour « former » ou « alimenter » la technologie d’IA en amont. Les outils offerts sur le marché pour réviser les contrats assistés par l’IA sont généralement prêts ou « préprogrammés » pour repérer certaines clauses contractuelles. L’application de ces outils d’IA à de nouvelles clauses peut nécessiter une formation approfondie, y compris le chargement d’une importante quantité d’échantillons dans l’outil. Cela peut également exiger une expertise en matière juridique pour valider ou corriger les résultats de l’outil d’IA au fur et à mesure de son apprentissage.

Le nombre d’échantillons requis varie en fonction du cas d’utilisation. Dans l’exemple de la création de commentaires automatisés mentionnés précédemment, 100 contrats appropriés ou plus pourraient être nécessaires pour établir une norme ou un guide à partir duquel des comparaisons ou des versions annotées de valeur constante peuvent être générées. Ce nombre peut être réduit au fil du temps grâce à l’amélioration de la technologie.

Les humains ne sont pas parfaits, les logiciels non plus

Comme les humains, les systèmes logiciels sont imparfaits. Les outils d’IA considérés comme « prêts à être commercialisés » ne fonctionnent pas à la perfection, ce qui est acceptable si les utilisateurs comprennent leurs limites. Lorsque les avocats hésitent à utiliser l’IA, c’est parfois parce qu’ils pensent que les résultats doivent être parfaits, mais il ne s’agit pas et il ne peut pas s’agir d’un objectif réalisable. Les professionnels du droit bénéficient de gains d’efficience en leur qualité d’utilisateurs d’outils de révision liés à l’IA, mais ils jouent également un rôle d’assurance de qualité.

Les utilisateurs doivent s’attendre à travailler en étroite collaboration avec les entreprises de technologie juridique pour comprendre et affiner leur utilisation de l’IA. Les avocats doivent également faire preuve de transparence vis-à-vis de leurs clients quant à l’utilisation des outils d’IA.

La suite des choses

Bien que le groupe de professionnels du secteur juridique qui doit être constitué de spécialistes fonctionnels de l’IA puisse être restreint, une masse critique d’avocats qui connaissent les possibilités et les limites de l’IA dans l’espace juridique est nécessaire pour que l’IA soit plus largement adoptée et pour que les organisations en récoltent les bénéfices. Même si la gestion du changement ne sera pas une mince affaire pour les organisations qui mettent en œuvre des technologies d’IA, le fait de surmonter ce défi dès maintenant permettra aux services juridiques et à leurs clients d’améliorer leurs données centralisées et d’être mieux préparés aux autres possibilités d’utilisation de l’IA. 

Des renseignements supplémentaires à l’égard d’un certain nombre de ces outils ainsi que d’autres outils de technologie juridique sont accessibles sur le site Legal Technology Hub.