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Faites bien attention lorsque vous exercez une clause d’achat forcé. Faites encore plus attention lorsque vous acceptez de prolonger une période d’évaluation au titre d’une telle clause. Comme l’illustre la cause Blackmore Management Inc. c. Carmanah Management Corporation, 2022 BCCA 117, la partie qui l’exerce aura du mal à retirer son offre, même si le marché change par la suite.
Faits
Dans cette affaire, deux actionnaires ont fait une offre de rachat forcée au titre d’une convention entre actionnaires (communément appelée une clause d’achat forcé ou clause « shotgun »). L’actionnaire qui en a fait l’objet, Blackmore, avait 60 jours pour choisir de vendre ses parts ou d’acheter celles des actionnaires ayant initié l’offre.
Un peu avant la fin de la période d’option, Blackmore a demandé une injonction pour obtenir d’autres informations financières et suspendre la période d’option. Les actionnaires initiateurs ont accepté de prolonger cette période jusqu’à ce qu’une cour ait entendu la cause. Quelques jours plus tard, soit le 19 mars 2020, les cours de la Colombie-Britannique suspendaient les activités en personne en raison de la pandémie de COVID-19.
En juin 2020, la demande d’injonction n’avait toujours pas été entendue. Toutefois, la valeur des parts de l’entreprise avait nettement augmenté. Les actionnaires initiateurs de l’offre ont réclamé le retrait de leur offre. Un mois plus tard, Blackmore a prétendu avoir choisi d’acheter les parts des actionnaires initiateurs. Une requête a été présentée devant un juge.
Les décisions figurent ci-après
Le juge ayant entendu la requête a statué que les actionnaires initiateurs avaient réussi à retirer leur offre. La convention entre actionnaires n’indiquait pas qu’une offre était irrévocable et le juge a donc statué qu’il n’y avait aucun motif pour sous-entendre l’existence d’une disposition à cet égard. Blackmore a interjeté appel.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a accueilli l’appel de Blackmore. La Cour a jugé que le sens ordinaire de la clause shotgun – lorsqu’elle est lue dans son contexte commercial – mène à la conclusion que l’offre était irrévocable. En acceptant de maintenir la période d’option ouverte en attendant l’audience, les actionnaires initiateurs se sont donc engagés à maintenir leur offre jusqu’à ce qu’elle se réalise. Le retard causé par la pandémie de COVID-19 n’est pas un motif pour modifier la convention. La Cour ne « sauverait pas [les actionnaires initiateurs] d’une bonne affaire qu’ils regrettent aujourd’hui ».
La nature irrévocable des offres « shotgun »
La Cour d’appel a insisté sur le fait que l’objectif commercial des clauses shotgun dépend de l’irrévocabilité de l’offre. Ces clauses ont pour but de mettre fin à une relation entre actionnaires de façon équitable. L’instigateur ne sait pas s’il devra acheter ou vendre. Par conséquent, la partie qui fait l’offre a intérêt à faire une offre avoisinant la valeur du marché le plus possible.
La Cour d’appel est d’avis qu’il serait illogique que les parties puissent retirer une offre qu’elles regrettent avoir fait, compte tenu de l’objectif des clauses shotgun et de leurs mécanismes d’incitation. Par conséquent, les clauses shotgun devraient être interprétées comme une soumission d’offres irrévocables, à défaut d’une entente claire dans le sens contraire. La Cour a statué que l’on peut présumer que les parties avisées qui font appel à une clause shotgun en ont évalué le risque commercial.
Points à retenir
L’affaire Blackmore illustre les risques d’une longue période d’option dans une clause shotgun. Plus le destinataire a le temps d’étudier l’offre, plus le risque est grand qu’une modification de l’attrait de cette offre s’opère par les forces du marché. Et peut ajouter une dose d’incertitude dans le processus. Compte tenu de la nature irrévocable d’une offre shotgun, la partie qui soumet l’offre s’expose à ce risque. En revanche, le destinataire de cette offre profite de toute variation de la valeur (ou d’autres renseignements sur la valeur) durant la période d’option.
L’affaire Blackmore traduit aussi la difficulté de se livrer à un exercice litigieux sur la base d’une clause shotgun. Le juge ayant entendu la requête a fait la remarque qu’en acceptant la prolongation, les actionnaires initiateurs ont tenté de régler leur différend commercial « de manière raisonnable en période d’incertitude ». Toutefois, ce faisant, ils se sont néanmoins exposés à un risque important. Les parties qui négocient une prolongation pour une période d’option peuvent souhaiter, comme la Cour d’appel l’a suggéré, d’adopter une prolongation à échéance fixe ou de fixer une date à laquelle l’offre shotgun peut être réexaminée.
En conclusion, les parties devraient envisager d’établir clairement que l’offre shotgun peut être retirée et définir les circonstances et le calendrier selon lesquels le retrait peut se faire. Les commentaires de la Cour sur la nature générale des clauses shotgun laissent entendre qu’il peut être difficile de convaincre un tribunal qu’une partie a le droit de retirer une offre faite au titre d’une clause shotgun, en l’absence d’un libellé clair à cet égard.