Pas de « pause KitKat » en Europe : les tablettes KitKat perdent la protection de leur dessin industriel

31 Août 2018 5 MIN DE LECTURE

Le plus haut tribunal européen a invalidé la protection de la marque de commerce ayant trait à la forme de la tablette KitKat, au motif qu’elle n’est pas distinctive, dans Société des produits Nestlé v. Mondelēz UK Holdings & Services ECLI:EU:C:2018:596La Cour européenne de justice a été saisie de cette affaire lorsque Cadbury Schweppes (maintenant Mondelēz) a demandé l’annulation, auprès de l’Union européenne, de l’enregistrement de la marque de commerce détenue par Nestlé et visant la tablette de chocolat KitKat tridimensionnelle sous la forme de quatre barres effilées. (Pour lire cette affaire, cliquez ici.)

Nestlé avait réussi à faire enregistrer le dessin de marque au sein de l’Union européenne en 2006, mais lorsqu’il avait été contesté au motif du manque de caractère distinctif, Nestlé n’a pas été en mesure de démontrer que la marque avait acquis un caractère distinctif à l’échelle de l’Union européenne, comme étant associée à la tablette KitKat de Nestlé.

Plus particulièrement, la Cour européenne n’a trouvé aucun élément de preuve selon lequel les consommateurs de la Belgique, de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal reconnaîtraient cette forme comme provenant de Nestlé. Mondelēz a réussi à démontrer que ses tablettes Kvikk Lunsj (ce qui se traduit par « casse-croûte »), lancées en Norvège en 1937, deux ans après la mise en marché des tablettes KitKat au Royaume-Uni, avaient la même forme et sont largement reconnues et vendues à l’échelle de l’Europe. Cette décision a pour effet concret de permettre à Mondelēz (et peut-être à d’autres) d’utiliser la forme de tablette de chocolat à quatre barres en Europe.

Cependant, une partie de la décision a été renvoyée à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) afin qu’il détermine si la tablette KitKat conserve un caractère distinctif dans une partie suffisante de l’Union européenne pour qu’elle puisse continuer d’être une marque de commerce dans certains États membres.

La question évidente, pour les avocats canadiens, est de savoir si cette affaire aurait été tranchée de la même façon au Canada. Alors que la bataille juridique sur les droits relatifs à la forme de la tablette de chocolat en Europe tournait autour du caractère distinctif qu’elle avait acquis, nous pourrions nous attendre à ce qu’un tribunal canadien parvienne à une conclusion semblable, mais par un chemin différent, fondé sur la doctrine de la fonctionnalité.

Dans Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc. , [2005] 3 RCS 30, la Cour a conclu à l’unanimité que l’on ne peut pas invoquer la protection de la marque de commerce pour octroyer des droits sur le dessin fonctionnel des briques Lego, auparavant protégées par des brevets et vendues depuis plus de 50 ans au Canada et ailleurs dans le monde.

La Cour suprême du Canada a été sans nul doute influencée par l’existence des brevets antérieurs, qui accordaient une protection aux aspects fonctionnels du dessin, en déterminant que les droits parvenus à échéance ne pouvaient faire l’objet d’une protection de la marque de commerce à l’égard du même dessin. La Cour notait également que Kirkbi AG avait tenté, sans succès, de faire enregistrer des droits de marque à l’échéance de ses brevets canadiens pour les briques de construction Lego.

Kirkbi n’a pas réussi à obtenir des dommages-intérêts pour commercialisation trompeuse de son concurrent, Ritvik Holdings Inc. (maintenant Mega Bloks), qui avait commencé à vendre des briques de construction interchangeables à l'échéance des brevets de Lego. Cette décision est notamment justifiée du fait que « le droit des marques de commerce ne vise pas à empêcher l’utilisation concurrentielle des particularités utilitaires d’un produit » et que les consommateurs doivent pouvoir établir la distinction entre une marque de commerce, qui est un symbole appliqué à un produit, et le produit lui-même.

Par ailleurs, la décision relative aux briques Lego est conforme à des affaires antérieures au Canada, dans le cadre desquelles la protection de la forme d’une caractéristique fonctionnelle n’a pas été reconnue, telle la forme circulaire d’une tête de rasoir électrique (Remington Rand Corp. v. Phillips Electronics NV [1995] F.C.J. 1660). En outre, l’enregistrement de la couleur bleue appliquée à une forme de pilule comme marque de commerce a été refusé en raison de son manque de caractère distinctif en dépit de la popularité du Viagra (Pfizer Products Inc. c. Association canadienne du médicament générique [2015] F.C.J. 470).

Les tenons des briques Lego ont été jugés comme purement fonctionnels et ne pouvant donc être protégés par la législation sur les marques de commerce au Canada; il en irait probablement de même pour la forme des quatre barres des tablettes KitKat. Nestlé elle-même a souligné les aspects fonctionnels du dessin de la tablette dans sa publicité antérieure aux années 2000, en disant de « casser un morceau de cette tablette KitKat », le long de l’arête entre les quatre barres rectangulaires.

La décision de la Cour européenne est un dur coup pour les titulaires de la marque KitKat, et elle aura probablement des répercussions sur les marchés d’ailleurs, y compris au Canada.

Cet article a été publié à l’origine dans The Lawyer’s Daily.