Perspectives juridiques Osler 2024

Le pouvoir de vérification et de cotisation de l’ARC : faits nouveaux, vieux problèmes

5 Déc 2024 9 MIN DE LECTURE

L’Agence du revenu du Canada (ARC) dispose d’une latitude considérable pour administrer et faire appliquer la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), ce qui se reflète dans son pouvoir de déterminer l’étendue des contrôles fiscaux et d’émettre des cotisations fiscales.

Au cours de la dernière année, il s’est produit des faits nouveaux importants, tant sur le plan jurisprudentiel que sur le plan législatif, en ce qui a trait au pouvoir de l’ARC en matière de vérification et de cotisation.

Premièrement, la Cour suprême du Canada a rendu deux décisions qui confirment le partage des compétences entre la Cour fédérale et la Cour canadienne de l’impôt relativement aux questions portant sur la procédure de vérification et l’exactitude des cotisations. Cette situation continuera à poser des problèmes aux contribuables, puisque des questions découlant d’une même affaire pourraient devoir être portées et résolues par des tribunaux différents.

Deuxièmement, des modifications proposées à la Loi, si elles sont mises en œuvre, élargiront le pouvoir discrétionnaire de l’ARC en matière de vérification et pourraient exposer les contribuables à des pénalités s’ils ne se conforment pas aux demandes de renseignements. Il sera important pour les contribuables de comprendre ces faits nouveaux et leurs incidences potentielles sur les vérifications et les cotisations dans les années à venir.

Partage des compétences entre la Cour de l’impôt et la Cour fédérale

En vertu de la Loi, un contribuable a le droit de contester un avis de cotisation et, le cas échéant, d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt. Toutefois, le rôle de cette dernière dans ce contexte se limite à déterminer la validité et l’exactitude de la cotisation.

La Cour de l’impôt n’a pas compétence pour ordonner à l’ARC de prendre ou d’annuler des mesures, même si ces mesures concernent la procédure par laquelle une cotisation a été établie, l’exercice du pouvoir discrétionnaire par l’ARC ou par un autre ministère en rapport avec le bien-fondé d’une cotisation, ou la conduite de l’ARC dans sa décision d’établir une cotisation.

Seule la Cour fédérale est compétente pour déterminer si l’ARC a exercé ses pouvoirs discrétionnaires de manière raisonnable. Cette compétence s’applique même si le pouvoir discrétionnaire, exercé ou non, de l’ARC a donné lieu à l’établissement d’une cotisation.

En ce qui concerne les questions fiscales, le partage des compétences entre ces tribunaux a été source de confusion pour les contribuables et a suscité de nombreux débats au fil des années.

De récentes décisions judiciaires confirment le partage des compétences

La Cour suprême a eu l’occasion de se pencher sur cette confusion dans deux décisions récentes, à savoir Dow Chemical Canada ULC c. le Roi et Iris Technologies Inc c. le Procureur général du Canada. Ces décisions ont pour effet de confirmer le partage des compétences d’une manière qui complique le recours d’un contribuable aux tribunaux lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’ARC est en cause.

Dans l’affaire Dow Chemical, les juges majoritaires de la Cour suprême ont estimé que la Cour fédérale avait la compétence exclusive pour examiner la décision discrétionnaire de l’ARC de ne pas accorder un redressement à la baisse des prix de transfert demandé par le contribuable dans le cadre d’un différend plus large sur l’évaluation des prix de transfert, même si cette décision avait une incidence sur la cotisation. La Cour suprême a également estimé que, si une décision discrétionnaire de l’ARC est jugée déraisonnable, la Cour de l’impôt n’a pas le pouvoir d’accorder le redressement approprié, à savoir une ordonnance qui contraint l’ARC à reconsidérer sa décision.

Dans l’affaire Iris Technologies, le contribuable a présenté une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, affirmant qu’il avait été privé de l’équité procédurale dans le cadre du processus de vérification et de cotisation. Le contribuable a fait valoir que l’ARC ne lui avait pas accordé un délai suffisant pour répondre à une proposition de cotisation. Il a également fait valoir que la cotisation en question avait finalement été émise sans fondement de preuve suffisant et dans un objectif illégitime.

Dans l’affaire Iris Technologies, les juges majoritaires de la Cour suprême ont estimé que le contribuable ne contestait pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par l’ARC, mais que ses allégations constituaient plutôt une contestation indirecte de la cotisation. La Cour suprême a estimé qu’un appel devant la Cour de l’impôt constituait un recours approprié pour ces plaintes, puisque la Cour de l’impôt pouvait « remédier à tout vice de preuve » dans l’appel. Malgré le fait que la Cour suprême ait déterminé que l’allégation d’objectif illégitime de l’ARC pouvait également faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, les juges majoritaires ont conclu que, au vu des faits, l’allégation devait être radiée parce que le contribuable n’avait pas allégué de faits à l’appui.

Ces décisions visaient à clarifier le partage des compétences entre la Cour de l’impôt et la Cour fédérale, tout en affirmant l’existence continue de ce partage.

Le partage des compétences des tribunaux peut faire peser une charge excessive sur les contribuables en exigeant que les aspects d’une même cotisation soient contestés devant des tribunaux distincts.

Dans l’affaire Iris Technologies, les juges majoritaires de la Cour suprême ont estimé que la conduite de l’ARC dans le processus de vérification et de cotisation pouvait faire l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt, car la mesure de redressement demandée était l’annulation de la cotisation. Toutefois, dans l’affaire Dow Chemical, la Cour a conclu qu’un recours relatif à des redressements à la hausse du prix de transfert ne peut être tranché que par la Cour de l’impôt, mais qu’une contestation de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’ARC d’autoriser un redressement à la baisse du prix doit être portée devant la Cour fédérale, de toute évidence parce que la Cour de l’impôt n’a pas compétence pour ordonner une mesure de redressement appropriée.

Cette dichotomie persistante est onéreuse pour le contribuable qui risque d’engager des dépenses inutiles et d’être confronté à des retards dans le traitement des contestations de compétence et, dans le pire des cas, à une conclusion selon laquelle sa contestation a été portée devant le mauvais tribunal. Le contribuable serait bien avisé de retenir les services d’un conseiller juridique pour explorer pleinement les deux voies de recours et la meilleure stratégie pour pallier l’incertitude éventuelle à l’égard de la compétence, y compris la question de savoir s’il est approprié de poursuivre des procédures parallèles devant les deux instances.

Modifications législatives pour étendre les pouvoirs de vérification

Des modifications législatives susceptibles de modifier l’équilibre des pouvoirs entre l’ARC et les contribuables se profilent à l’horizon. En 2024, le gouvernement fédéral a proposé des modifications législatives importantes visant à étendre les pouvoirs de l’ARC en matière de collecte de renseignements au cours d’une vérification et à imposer des sanctions pénales en cas de non-conformité. Les pouvoirs de l’ARC font l’objet de trois principales propositions de modifications qui, si elles sont adoptées, auront une incidence sur la façon dont les contribuables abordent les vérifications à l’avenir.

Selon la première proposition, l’ARC aura le pouvoir d’exiger que des renseignements soient fournis sous serment ou sous affirmation solennelle lors d’une vérification. Étant donné que l’ARC ou la Couronne pourrait utiliser ces renseignements à une étape ultérieure du litige, les contribuables devront faire preuve de diligence et s’assurer que toute personne interrogée par l’ARC a été convenablement préparée et est correctement représentée par un avocat afin de garantir la mise en place de garanties procédurales appropriées.

Selon la deuxième proposition, lorsque l’ARC obtient d’un juge de la Cour fédérale une ordonnance exigeant qu’une personne fournisse les renseignements demandés, une pénalité sévère pourrait être imposée au contribuable. Dans une telle situation, le contribuable serait passible d’une pénalité obligatoire de 10 % du montant total de l’impôt dont il est redevable pour chaque année d’imposition à laquelle l’ordonnance se rapporte. Cette pénalité s’appliquerait indépendamment du fait que les renseignements obtenus par l’ARC aboutissent ou non à une nouvelle cotisation. La possibilité d’une pénalité aussi sévère et disproportionnée pourrait avoir un effet dissuasif sur les contribuables qui contestent légitimement les demandes de renseignements de l’ARC, même celles qui ont trait à la portée du secret professionnel de l’avocat.

Selon la troisième proposition de l’avant-projet de loi, l’ARC serait autorisée à émettre un avis de non-conformité. Contrairement à une ordonnance d’exécution, un avis de non-conformité dispenserait l’ARC d’obtenir une ordonnance d’un tribunal. L’ARC pourrait alors émettre un tel avis si, à tout moment, elle détermine qu’un contribuable ne s’est pas conformé à une demande de renseignements. L’avant-projet de loi prévoit un processus d’examen en deux étapes : d’abord un examen par l’ARC, puis un examen par la Cour fédérale. Toutefois, le juge de la Cour fédérale ne pourra annuler l’avis que si la décision de l’ARC dans le cadre du premier examen est jugée déraisonnable.

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Un avis de non-conformité peut avoir deux conséquences. Le contribuable s’expose à une pénalité de 50 $ pour chaque jour où l’avis est en suspens, jusqu’à concurrence de 25 000 $. De plus, le délai de prescription pour une nouvelle cotisation est prolongé pour le contribuable ou toute personne ayant un lien de dépendance avec le contribuable entre le moment où l’avis de non-conformité a été envoyé et le moment où il a été respecté.

Conséquences à venir pour les contribuables

Compte tenu du partage des compétences entre la Cour de l’impôt et la Cour fédérale, confirmé dans les décisions récentes, il est probable que les contribuables continueront à rencontrer des difficultés pour obtenir un redressement approprié.

Par ailleurs, le fait que l’ARC soit autorisée à émettre un avis de non-conformité, ainsi que le risque d’une pénalité correspondante, pourrait l’inciter à présenter des demandes trop larges et potentiellement déraisonnables, décourageant ainsi les contribuables à les contester légitimement devant les tribunaux. À cet égard, si les propositions législatives sont adoptées, il sera encore plus pertinent pour les contribuables d’établir de bonnes relations de travail avec l’ARC afin de s’assurer que les demandes de renseignements sont formulées de manière appropriée et qu’il est possible de s’y conformer.