Perspectives juridiques Osler 2024

Obligations à venir en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques au Canada

5 Déc 2024 13 MIN DE LECTURE

En 2024, plusieurs événements importants sont survenus au Canada et à l’étranger en ce qui concerne les obligations de présentation d’informations liées aux changements climatiques. Toutefois, des questions demeurent en suspens quant à l’échéancier et à la nature de ces obligations pour les sociétés ouvertes canadiennes.

Le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) devrait publier en décembre 2024 la version finale des normes canadiennes de présentation d’informations liées aux changements climatiques. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont indiqué que leur projet de règlement sur les obligations de présentation d’informations liées aux changements climatiques tiendra compte des normes du CCNID. Il faut donc s’attendre à ce que ce projet de règlement des ACVM soit publié en 2025. Toutefois, il subsiste une incertitude importante quant au contenu du projet de règlement des ACVM, notamment quant à son application aux émissions de gaz à effet de serre (GES) de portée 3. Les règlements en vigueur en Europe et en Australie ainsi que les normes établies par l’International Sustainability Standards Board (ISSB) et le CCNID exigent la présentation d’informations relativement aux émissions de portée 3. Par contre, plus tôt cette année, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a retiré de la version finale de son règlement l’obligation de présentation d’informations relativement aux émissions de portée 3.

Les sociétés ouvertes du Canada doivent continuer de se préparer à respecter les obligations à venir en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques. Les règles définitives du CCNID comprendront probablement des directives quant à la présentation d’informations liées aux changements climatiques, mais les organisations devront se tenir à l’affût des dispositions prises par les ACVM. Les entreprises doivent également se tenir à l’affût de l’application imprévue, à leurs activités, des obligations d’autres territoires en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques.

Contexte des obligations en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques

Au Canada et à l’étranger, les entreprises publient depuis plusieurs années des informations sur l’incidence des changements climatiques sur leurs activités. Ces informations sont habituellement présentées dans des documents de divulgation volontaire, comme les rapports sur la durabilité. Ces documents ne font pas partie des documents qui doivent être déposés en vertu des lois sur les valeurs mobilières et, en conséquence, contrairement à ces dernières, ils n’engagent pas la responsabilité de l’entreprise.

Les organismes de réglementation des valeurs mobilières rappellent périodiquement aux entreprises que les changements climatiques peuvent avoir des répercussions importantes sur leurs activités et qu’il doit être fait mention de ces répercussions éventuelles dans les documents qu’elles déposent en vertu des lois sur les valeurs mobilières. Cependant, jusqu’à présent, les lois sur les valeurs mobilières n’ont pas imposé d’obligations de présentation d’informations liées aux changements climatiques. En conséquence, le contenu et le format des rapports sur les changements climatiques, ainsi que les emplacements visés par de tels rapports, ont varié d’une entreprise à l’autre, ce qui rend difficile la comparaison des répercussions des risques climatiques sur les activités de différentes entreprises, ainsi que la compréhension du mode de gestion de ces risques par les conseils d’administration et les équipes de direction. Les organismes de réglementation des valeurs mobilières cherchent maintenant à combler ces lacunes.

Mener la charge – Approches aux États-Unis et à l’échelle internationale

Au cours de la dernière année, des changements importants ont été apportés à la façon dont les organismes de réglementation mondiaux tentent d’imposer aux sociétés ouvertes des obligations de présentation d’informations normalisées et comparables liées aux changements climatiques. En mars 2024, la SEC a finalisé les règles applicables aux grandes sociétés ouvertes américaines. Parallèlement, des organismes de réglementation de plus de 20 pays, dont le Canada, ont finalisé ou sont en train de finaliser leurs propres règles en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques par les sociétés ouvertes. La plupart de ces règles tiennent compte du cadre établi par l’ISSB.

Ces changements sont controversés. Certains investisseurs soutiennent que des règles permettant de comparer des aspects très précis sont nécessaires pour leur permettre d’évaluer les risques liés aux changements climatiques. D’un autre côté, de nombreuses entreprises soutiennent que leurs obligations de présentation d’information sont déjà très onéreuses et qu’elles devront engager des dépenses et des ressources déraisonnables pour respecter des obligations de présentation d’informations précises liées aux changements climatiques. Elles soulignent également que les informations présentées pourraient être imprécises et, par conséquent, d’une valeur douteuse. Les entreprises craignent également de faire l’objet de poursuites si les informations qu’elles présentent au sujet d’événements futurs incertains se révèlent erronées.

Presque immédiatement après que les règles de la SEC aient été finalisées, un barrage de poursuites a incité la SEC à suspendre leur application jusqu’à la résolution de ces litiges. On ne sait pas quelle sera l’issue de ces litiges, notamment en raison du résultat des récentes élections générales aux États-Unis.

La perspective canadienne

De nombreuses questions se posent au sujet des conséquences pour le Canada.

Le CCNID mène la charge. Il a pour mandat d’adapter le cadre international de production de rapports sur la durabilité créé par l’ISSB dans l’intérêt public canadien. En mars 2024, le CCNID a publié, aux fins de commentaires publics, sa version d’une norme de présentation d’informations liées aux changements climatiques, soit la norme NCID 2 – Informations à fournir en lien avec les changements climatiques. La NCID 2 est un reflet de la norme de l’ISSB avec un calendrier de mise en œuvre progressive légèrement plus long. Le respect de la norme du CCNID ne sera pas obligatoire. Toutefois, les ACVM ont déclaré publiquement leur intention de tenir compte de la norme définitive de l’ISSB lorsqu’elles établiront des règles de présentation obligatoire d’informations liées aux changements climatiques pour les sociétés ouvertes canadiennes. Les ACVM ont indiqué qu’elles pourraient s’écarter de la norme du CCNID si elles estiment qu’il y a lieu de le faire.

Sans surprise, les commentaires du public sur le projet de norme du CCNID allaient de « pleinement en faveur » à « hautement critique ». Certains aspects du projet de norme du CCNID ne semblent pas particulièrement controversés, notamment les obligations de présentation d’informations concernant les processus de gouvernance régissant la surveillance, la gestion et la supervision des occasions et des risques liés aux changements climatiques, la description des occasions et des risques pertinents liés aux changements climatiques, et la description des stratégies pour gérer ces occasions et ces risques. D’autres aspects du projet de norme ont donné lieu à des débats intenses.

Deux des principales préoccupations soulevées concernent la présentation d’informations relatives aux émissions de GES de portée 3 et l’analyse des scénarios. Les obligations de présentation d’informations relatives aux émissions de GES de portée 3 portent sur les émissions de GES en amont et en aval dans la chaîne de valeur d’une entreprise. Par exemple, les émissions de GES de portée 3 comprennent les émissions liées aux activités de transport en amont et en aval, au transport quotidien des employés, aux voyages d’affaires et à l’utilisation des produits vendus, parmi 10 autres catégories. Les partisans de la présentation d’informations relatives aux émissions de GES de portée 3 soulignent que celles-ci constituent généralement la principale composante de l’empreinte carbone d’une entreprise. Les opposants soulignent l’imprécision inhérente à la délimitation de la portée de la chaîne de valeur et l’incertitude de la mesure pour les calculs des émissions de portée 3. Des ressources importantes sont également nécessaires pour recueillir et traiter les informations utilisées dans la préparation des rapports sur les émissions de GES de portée 3.

L’analyse des scénarios exige qu’une entreprise évalue sa résilience stratégique et opérationnelle aux changements climatiques dans certaines circonstances. Les partisans de cette exigence soulignent l’importance de comprendre le comportement de différents modèles d’affaires dans différents scénarios de changements climatiques. Ses opposants soulignent l’absence de normes en matière d’analyse des scénarios, l’incertitude qui en découle et les coûts importants liés à la préparation de telles analyses. Les règles définitives de la SEC n’imposent aucune obligation quant à la présentation d’informations relativement aux émissions de GES de portée 3 et quant à l’analyse de scénarios.

En plus d’être de nature prospective, les informations liées aux changements climatiques sont fondées en grande partie sur des estimations et sur des renseignements de tiers. La SEC et d’autres organismes de réglementation ont établi de solides dispositions de protection pour la divulgation prospective.

Bien que les derniers détails du cadre de production de rapports sur le climat du Canada restent à définir, il ne fait aucun doute que les entreprises canadiennes seront bientôt confrontées à l’obligation de présenter des informations relativement à l’incidence du climat sur leurs activités.

Pour le marché canadien, l’un des défis est lié au fait que les grands émetteurs qui possèdent les ressources nécessaires pour se conformer aux obligations en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques sont beaucoup moins nombreux que dans d’autres pays et que le cadre du CCNID ne prévoit pas d’exemptions spécifiques pour les petites et moyennes entreprises (PME). Parmi le grand nombre de PME ouvertes au Canada, beaucoup s’inquiètent du fait que les PME dont le personnel et les ressources sont limités seront touchées de façon disproportionnée et qu’elles ne devraient pas être assujetties aux aspects les plus onéreux des obligations en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques. En vertu des règles de la SEC, les déposants admissibles au régime de dépôt accéléré ou les déposants à grande capitalisation assujettis au régime de dépôt accéléré ne sont pas assujettis aux obligations de présentation d’informations au sujet des émissions de GES.

La période de commentaires publics sur les propositions du CCNID a pris fin en juin et la version définitive des normes devrait être publiée en décembre 2024. À ce moment-là, l’attention se tournera vers les ACVM et ses exigences contraignantes en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques. Les ACVM examineront soigneusement les commentaires que le CCNID a reçus du public au sujet de son cadre. Il reste à voir si les ACVM suivront les propositions du CCNID, si elles s’aligneront plus étroitement sur la SEC (compte tenu de l’interconnectivité des marchés des États-Unis et du Canada) ou si elles suivront leur propre voie.  

Les sociétés ouvertes canadiennes ne seront probablement pas les seules entités touchées par les règles de présentation d’informations liées aux changements climatiques, quelle qu’en soit la forme. De nombreuses entreprises privées devront également fournir des informations à leurs clients qui sont des sociétés ouvertes afin que ces derniers soient en mesure de respecter leurs obligations en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques. Le gouvernement fédéral canadien a également fait part de son intention de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour exiger que les grandes sociétés constituées en vertu des lois fédérales, qu’elles soient publiques ou non, présentent des informations financières liées aux changements climatiques. Certains détails doivent encore être réglés, mais d’autres obligations pourraient s’ajouter.

Autre surveillance de la présentation d’informations liées aux changements climatiques – Écoblanchiment

En plus des obligations en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques, les organisations doivent garder à l’esprit que les déclarations publiques liées aux changements climatiques retiennent l’attention des organismes de réglementation. L’adoption de mesures « contre l’écoblanchiment » dans les modifications de la Loi sur la concurrence en constitue un bon exemple. Ces modifications visent à lutter contre les fausses déclarations liées aux changements climatiques faites dans le cadre de la promotion de produits ou d’activités commerciales. Pour en savoir plus à ce sujet, consultez notre article (en anglais) des Perspectives juridiques Osler.  

La suite des choses

Les derniers détails du cadre canadien de présentation d’informations liées aux changements climatiques doivent encore être réglés, mais il ne fait aucun doute que les entreprises canadiennes seront bientôt tenues de présenter des informations concernant l’incidence des changements climatiques sur leurs activités. Pour bon nombre d’entreprises, il s’agira d’un changement important dans leur processus d’information continue. Les émetteurs ont tout intérêt à commencer leurs préparatifs dès maintenant, même si nous attendons toujours ces derniers détails.

Les organisations peuvent prendre de nombreuses mesures dès maintenant pour se préparer. Dans un premier temps, elles peuvent analyser la façon dont leur conseil d’administration ou un comité du conseil d’administration s’acquitte de ses fonctions de surveillance des enjeux liés aux changements climatiques et déterminer ensuite s’il y a lieu d’apporter des changements aux rôles et aux responsabilités ainsi qu’à la charte de ce comité. Les entreprises peuvent également faire appel à des fournisseurs de services externes qui les aideront à produire des rapports sur les enjeux liés aux changements climatiques, notamment des consultants en gestion des GES, des fournisseurs de services de certification et des conseillers juridiques.

En savoir plus sur les obligations des grandes entreprises concernant la présentation d’informations liées aux changements climatiques
En savoir plus

Sur le plan financier, les équipes des finances peuvent évaluer les changements nécessaires à apporter aux contrôles et aux procédures de divulgation actuels, ainsi qu’aux contrôles internes relatifs à l’information financière, afin de s’assurer de la pertinence, de la qualité et de la fiabilité des rapports sur le climat. Elles pourront ainsi mettre en œuvre des systèmes pour assurer une collaboration étroite entre les équipes de la comptabilité, des finances et du développement durable. Les émetteurs peuvent également s’informer des attentes des parties prenantes dans le cadre du processus normal de communication et d’interaction avec les investisseurs. Les commentaires recueillis pourront être pris en compte dans les plans de surveillance des enjeux liés aux changements climatiques et dans le cadre de la préparation de rapport concernant ces enjeux. Après une année 2024 très occupée au cours de laquelle nous avons assisté à l’établissement de normes internationales de présentation d’informations liées aux changements climatiques et à une diminution des aspects pour lesquels des normes canadiennes distinctes doivent être établies,  nous nous attendons à ce qu’en 2025 les entreprises et les investisseurs canadiens aient une idée beaucoup plus précise de leurs obligations en matière de présentation d’informations liées aux changements climatiques, et qu’elles pourront élaborer leurs plans d’action en conséquence.