PERSPECTIVES JURIDIQUES OSLER 2025

Alimentation de l’IA : évolution des politiques canadiennes de raccordement au réseau électrique Alimentation de l’IA : évolution des politiques canadiennes de raccordement au réseau électrique

4 décembre 2025 10 MIN DE LECTURE

Key Takeaways

  • L’IA exerce une pression sans précédent sur les besoins en énergie électrique au Canada, ce qui oblige les provinces et les territoires à revoir leurs politiques de raccordement à leur réseau électrique.
  • L’objectif des nouvelles politiques est de trouver un juste équilibre entre les besoins des centres de données, la décarbonation et la fiabilité du réseau électrique.
  • Le Québec, l’Alberta, l’Ontario et la Colombie‑Britannique adoptent des cadres législatifs pour la gestion des raccordements à charge importante, mettant l’accent sur les répercussions environnementales et les avantages sur le plan économique.

L’intelligence artificielle (IA) est en voie de remodeler les réseaux d’alimentation électrique au Canada. En effet, dans l’ensemble du pays, les centres de données indispensables au soutien de l’IA et de plusieurs autres systèmes en pleine croissance attendent leur tour en vue de nouveaux raccordements aux réseaux de distribution et leur besoin en électricité est sans précédent. Face à un réseau électrique déjà saturé et à un approvisionnement limité à court terme, les provinces n’ont d’autre choix que de réexaminer leurs politiques de raccordement en vigueur depuis des années.

Compte tenu de l’importance capitale de l’IA dans le tissu économique, les centres de données et les infrastructures de soutien sont indispensables et les autorités doivent maintenant harmoniser les impératifs découlant de la croissance fulgurante de ces centres de données avec certains objectifs possiblement concurrents, tels que la décarbonation, la fiabilité du réseau électrique et le maintien de l’électricité à des tarifs abordables. Les orientations politiques qui se précisent dans les provinces clés influenceront durablement les modalités de raccordement au réseau électrique pour les centres de données et d’autres charges importantes, en 2026 ainsi que dans les années suivantes.

En attente du raccordement au réseau électrique

Pendant des décennies, les réseaux de distribution électrique au Canada ont été façonnés selon le principe du « premier arrivé, premier servi », où les demandes de raccordement de nouvelles charges étaient traitées comme une modalité purement technique fondée sur le principe d’un accès non discriminatoire pour l’ensemble des utilisateurs. Lorsque la demande en électricité augmentait à un rythme prévisible et que les services publics étaient en mesure de fournir – avec l’aide de producteurs d’électricité indépendants – les raccordements au réseau et de nouvelles capacités de production dans des délais comparables, ces politiques étaient bénéfiques pour la population canadienne.

Aujourd’hui, la demande pour alimenter la montée en puissance de l’IA a complètement changé la donne. En effet, un centre de données peut, à lui seul, utiliser autant d’électricité qu’une ville de moyenne envergure. De plus, les services publics ne sont plus en mesure de fournir les quantités demandées à la vitesse recherchée pour permettre aux utilisateurs de tirer parti des occasions à saisir concernant l’IA. Dans certaines provinces, la quantité dont les exploitants de centres de données ont besoin dépasse, à elle seule, la quantité totale d’électricité nécessaire à l’ensemble de la province. Cette demande sans précédent exige de doubler la capacité de production et d’accroître considérablement le réseau électrique. Ces demandes d’alimentation s’ajoutent à celles d’autres secteurs en pleine croissance, notamment celui des véhicules électriques et des infrastructures qui s’y rattachent. En réponse à cette situation, les provinces sont en train de revoir leurs politiques afin de synchroniser la montée en flèche des demandes de raccordement avec leurs programmes d’approvisionnement énergétique en cours de transformation. D’autres objectifs sociétaux plus larges sont également en jeu, notamment la souveraineté des données, les stratégies économiques et industrielles et les répercussions environnementales.

Le Québec se dote d’un nouveau cadre législatif

Au Québec, l’offre abondante d’hydroélectricité à faible empreinte carbone continue d’être un puissant moteur d’attraction pour les centres de données. Malgré cela, sa capacité d’approvisionnement en électricité est actuellement limitée en attendant la nette croissance du secteur des énergies renouvelables décrite dans le Plan d’action 2035 d’Hydro‑Québec. En juin 2025, malgré la controverse, l’Assemblée nationale a adopté le Projet de loi n° 69, Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives. Cette mesure vise, entre autres, à poursuivre la surveillance toujours plus stricte des nouveaux raccordements au réseau amorcée en 2023. Selon cette politique, la ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie est tenue d’approuver toute nouvelle charge atteignant cinq mégawatts (MW) ou plus.

L’autorisation ministérielle repose sur une appréciation de la faisabilité technique, des avantages économiques et des conséquences sociales et environnementales du projet de raccordement. Suivant l’évaluation de ces critères, certaines conditions relatives à l’autorisation pourraient être imposées. Ce cadre opérationnel a été établi pour que les capacités limitées soient attribuées à des projets qui concordent avec les priorités provinciales en matière d’énergie et de politique industrielle, tout en maintenant la fiabilité du réseau.

L’Alberta lance un nouveau programme d’intégration des charges importantes

Devant l’afflux d’un nombre sans précédent de nouvelles demandes de raccordement, en juin 2025, l’Alberta Electric System Operator (AESO) a lancé un programme en deux phases intitulé Large Load Integration Program. La première phase consistait à fixer un plafond global de 1 200 MW pour les charges importantes sollicitant une puissance minimale de 75 MW avant 2028. Ce plafond correspond à la capacité estimée pouvant être attribuée aux centres de données sans compromettre les tarifs appliqués aux utilisateurs ni la fiabilité du réseau.

L’admissibilité à cette capacité limitée était réservée aux projets qui avaient déjà franchi les premières étapes du processus de raccordement et qui répondaient à d’autres exigences. Tous les participants admissibles qui avaient confirmé leur participation à la première phase devaient recevoir une part proportionnelle des 1 200 MW. Toutefois, il est rapidement devenu évident que les attributions seraient largement insuffisantes pour couvrir les besoins en énergie électrique de l’ensemble des participants admissibles. Par conséquent, tous les participants sauf deux se sont retirés du programme, et la capacité disponible a été attribuée à ces deux projets. Jusqu’en 2028, aucun autre centre de données nécessitant plus de 75 MW ne pourra se raccorder au réseau électrique.

Aujourd’hui, l’AESO a amorcé la deuxième phase de ce programme, un engagement réparti sur plusieurs années qui s’inscrit dans le cadre des politiques publiques. Cette phase a pour objectif de tracer des voies durables pour intégrer d’autres charges importantes dans le réseau électrique de l’Alberta, tout en maintenant sa fiabilité et en assurant une répartition équitable des coûts associés à l’acheminement de l’électricité. Les modifications apportées à la politique provinciale et aux règles de raccordement seront mises en œuvre après les consultations qui auront lieu au cours des deux prochaines années. Ce programme reflète, dans son ensemble, une démarche rigoureuse pour répondre aux besoins en électricité des centres de données proposés.

Dans le but d’aider l’AESO à gérer les demandes de raccordement déposées par les centres de données, le gouvernement de l’Alberta a récemment présenté le projet de loi 8 portant sur la modification des lois sur les services publics (la Utilities Statutes Amendment Act, 2025). L’adoption de ce projet de loi permettra au ministre et à l’AESO de mettre en place des dispositions et des règlements concernant les centres de données en marge du cadre habituel d’adoption des règles afin, entre autres, d’accélérer le processus de raccordement au réseau pour les centres de données qui produisent et acheminent leur propre électricité (Bring Your Own Generation ou BYOG).

L’Ontario se dote à son tour d’un nouveau cadre législatif

D’après les estimations, les centres de données pourraient constituer 13 % de l’augmentation de la demande d’électricité en Ontario d’ici 2035. Comme au Québec et en Alberta, la demande de nouveaux raccordements au réseau électrique ontarien dépasse déjà largement les capacités du réseau et l’approvisionnement en électricité disponible. Pour relever ce défi, en juin 2025, le gouvernement de l’Ontario a déposé le Projet de loi 40, Loi de 2025 pour protéger l’Ontario en garantissant l’accès à l’énergie abordable pour les générations futures. Si elle est adoptée, cette loi fixera un nouveau cadre législatif pour le raccordement d’installations à charge spécifique, entre autres les centres de données. En vertu de la nouvelle réglementation, les transporteurs et les distributeurs devront mettre en œuvre un mécanisme de sélection favorisant le raccordement des projets qui apportent des avantages tangibles sur les plans économique, stratégique, sécuritaire et communautaire.

La Colombie‑Britannique accorde priorité à l’alimentation en électricité des projets liés aux ressources naturelles

La Colombie‑Britannique connaît également une croissance sans précédent de la demande en énergie électrique. En plus des centres de données, les nouveaux projets miniers, pétroliers, gaziers et de gaz naturel liquéfié, ainsi que l’industrie manufacturière et les secteurs de la foresterie et de l’hydrogène dépendent d’un approvisionnement important en énergie électrique. Dans le but de promouvoir les projets les plus avantageux pour sa population, le gouvernement de la Colombie‑Britannique a déposé le projet de loi 31 intitulé Energy Statutes Amendment Act, 2025. Si elle est adoptée, cette loi permettra au gouvernement d’instaurer des mécanismes, des exigences, des limites, des interdictions et des charges visant particulièrement le minage de cryptomonnaies, les centres de données et la production d’hydrogène à des fins d’exportation internationale.

Le gouvernement a fait savoir qu’il entend transformer en interdiction permanente le bannissement provisoire du raccordement des opérations de minage de cryptomonnaies. Il a par ailleurs l’intention (en anglais seulement) de lancer en 2026 un processus de sélection concurrentielle visant à restreindre pendant deux ans l’attribution d’électricité à 300 MW pour l’IA, à 100 MW pour les centres de données et à une quantité encore non établie pour les projets d’exportation d’hydrogène. Les projets poursuivant d’autres objectifs, notamment l’exploitation des ressources naturelles, ne feront l’objet d’aucune restriction.

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Évolution de la demande en électricité et modification des politiques à venir

Au Canada, le passage de politiques provinciales de raccordement purement techniques reposant sur le principe du premier arrivé, premier servi à des cadres législatifs plus sélectifs et conformes aux priorités politiques constitue une transformation structurelle de la manière dont les projets à charge importante – en particulier les centres de données soutenant l’IA – auront accès au réseau électrique dans l’avenir. Même si les façons de procéder dans chacune des provinces sont différentes, le cadre d’autorisation ministérielle au Québec, le programme d’intégration progressive avec restriction des capacités en Alberta et les structures législatives actuellement en préparation en Ontario et en Colombie‑Britannique mettent collectivement en évidence plusieurs axes communs, notamment la reconnaissance des limites immédiates en termes de capacité du réseau et d’approvisionnement, la nécessité de protéger la fiabilité du réseau et l’accessibilité des tarifs, ainsi que la priorité accordée aux projets présentant des retombées économiques concrètes. Ces sujets, dans leur ensemble, mettent en lumière des priorités nationales susceptibles d’être orientées par les décisions du nouveau ministère fédéral de l’Intelligence artificielle et de l’Innovation numérique. À l’approche de 2026 et au‑delà, les promoteurs de grands projets à charge importante peuvent s’attendre à devoir composer avec des exigences de documentation plus rigoureuses et plus complètes dans le cadre de nouvelles demandes de raccordement. Ils devraient également anticiper une priorité plus marquée à l’égard de l’emplacement, de l’engagement des communautés et de la participation à l’efficacité du réseau électrique. Pendant que les provinces procèdent à l’adaptation de leurs politiques, une planification stratégique globale s’imposera comme levier indispensable pour assurer le raccordement rapide au réseau électrique dans cette phase de croissance propulsée par la prolifération de l’intelligence artificielle.