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Réglementation des services financiers : la tendance est aux initiatives intégrées de protection des consommateurs

Auteur(s) : Lawrence E. Ritchie, Victoria Graham, Elizabeth Sale

Le 13 décembre 2019

Dans la décennie qui a suivi immédiatement la crise financière, la réforme réglementaire des services financiers a largement porté sur la solvabilité et sur les normes de fonds propres. Au cours des dernières années, on a observé un virage notable : les pratiques du marché et la protection des consommateurs sont devenues un point de convergence réglementaire au sein du secteur des services financiers. Parallèlement, les décideurs politiques se sont employés à promouvoir non seulement les modifications législatives, mais aussi une importante réforme du cadre réglementaire et de l’approche de la réglementation. Les organismes de réglementation (enfin!) semblent plus modernes, souples, réactifs et coopératifs. Par conséquent, nous constatons une tendance à l’harmonisation de la réglementation entre les territoires de compétence, les prestataires de services financiers et les services et produits financiers. Cela signifie que les pratiques exemplaires pour assurer la conformité aux pratiques du marché et aux exigences de protection des consommateurs ne sont pas nécessairement propres à un secteur particulier, mais pourraient et devraient provenir d’un vaste éventail de sources à l’échelle des entreprises du secteur.

Nous vous présentons ci-dessous en détail les derniers développements notables dans le domaine des pratiques du marché et de la protection des consommateurs, qui traduisent ces thèmes de l’harmonisation réglementaire et de la collaboration. Ces faits nouveaux mettent en lumière la nécessité de prendre des mesures intégrées en ce qui concerne la conformité. 

Des nouveaux organismes de réglementation en Ontario et en Colombie-Britannique

En 2019, deux nouveaux organismes de réglementation, l’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers (ARSF)[1] et la British Columbia Financial Services Authority (BCFSA), ont vu le jour et assumé les fonctions de réglementation de leurs prédécesseurs provinciaux. Les mandats de ces deux nouveaux organismes sont semblables : favoriser une réglementation efficace et uniforme à l’échelle du Canada, promouvoir l’adoption de codes des pratiques du marché sectoriels et améliorer la réglementation touchant les intermédiaires en assurance ainsi que les courtiers hypothécaires. 

L’ARSF lance son plan d’affaires

Depuis le 8 juin 2019, l’ARSF assume les responsabilités réglementaires qui relevaient avant cette date de la Commission des services financiers de l’Ontario (CSFO) et de la Société ontarienne d’assurance-dépôts (voir le billet sur notre blogue à ce sujet). Auparavant, ces organismes surveillaient les produits d’assurance et les assureurs assujettis à la réglementation provinciale, les caisses populaires, les sociétés de prêt et de fiducie, les régimes de retraite, les courtiers hypothécaires et certains prestataires de services d’assurance automobile. D’après les déclarations et les remarques publiées par l’ARSF à l’intention du secteur, ainsi que notre expérience avec l’ARSF à ce jour, les parties prenantes peuvent s’attendre à une approche de la réglementation fondée sur des principes qui soit plus coopérative et plus souple que ne l’était la norme sous l’égide de la CSFO. Le mandat de l’ARSF consiste notamment à favoriser une réglementation efficace et uniforme à l’échelle du Canada. Dans cette optique, l’ARSF a déclaré qu’elle pourrait exhorter d’autres organismes de réglementation à agir, si l’entité ou la personne en question relève de la compétence de plus d’un organisme. Les frontières pourraient ainsi être abolies entre les provinces (p. ex. un courtier hypothécaire pourrait être inscrit tant en Ontario qu’en Colombie-Britannique) ou entre les secteurs d’activité (p. ex. une personne qui se livre au commerce de plus d’un produit réglementé). 

Le plan d’affaires 2019-2022 de l’ARSF, approuvé par le ministère des Finances de l’Ontario, comporte deux grandes priorités :

  • L’allègement des tâches : l’ARSF passera en revue l’ensemble des 1 100 documents de réglementation et d’orientation hérités de ses prédécesseurs et simplifiera ou supprimera tout document inutile, lorsque ce sera possible. Cette priorité concorde avec le plan du gouvernement de l’Ontario de 2018, qui était de réduire de 25 % les formalités administratives ayant trait à la réglementation, d’ici 2020.
  • L’efficacité réglementaire : l’ARSF assurera l’atteinte des objectifs législatifs et la protection de l’intérêt du public grâce aux moyens suivants : l’accroissement de l’expertise à l’égard des consommateurs, du secteur et de la réglementation; la collaboration, la transparence et des processus efficaces; et le recours à la technologie et à l’innovation.

En plus d’énoncer son mandat général, le plan d’affaires de l’ARSF présente des initiatives réglementaires particulières à certains secteurs.

  • Caisses populaires : l’ARSF prévoit intégrer la surveillance prudentielle de la conduite, moderniser le cadre réglementaire et adopter un code de conduite sectoriel, qui pourrait être identique au Code des pratiques du marché récemment publié par l’Association canadienne des coopératives financières, ou s’en inspirer. Par ailleurs, l’ARSF prévoit garantir un cadre approprié pour la résolution et pour le fonds de réserve d’assurance-dépôts (FRAD). 
  • Assurance : l’objectif de l’ARSF dans ce secteur est d’adopter des normes de conduite efficaces et d’améliorer l’efficacité et l’efficience de l’octroi de permis. Un autre objectif consiste à harmoniser la ligne directrice pour le traitement équitable des consommateurs des services financiers avec l’orientation nationale, comme les lignes directrices du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance et des Organismes canadiens de réglementation en assurance, intitulées Conduite des activités d’assurance et traitement équitable des clients.
  • Courtage hypothécaire : dans ce secteur, l’ARSF prévoit surveiller les investissements dans des hypothèques syndiquées (IHS), mais procédera au transfert harmonieux de la surveillance des offres d’IHS non qualifiées à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO). De plus, l’ARSF s’emploiera à améliorer l’efficacité et l’efficience de l’octroi de permis, et adoptera un code de conduite sectoriel.

En plus de ces objectifs, le gouvernement de l’Ontario a annoncé, dans son Exposé automne 2019, publié le 6 novembre 2019, qu’il procédera à un examen législatif de la Loi de 1994 sur les caisses populaires et les credit unions, de la Loi de 2006 sur les maisons de courtage d’hypothèquesles prêteurs hypothécaires et les administrateurs d’hypothèques et de la Loi sur les sociétés coopératives.

L’examen du cadre législatif des caisses populaires est déjà en cours, car la date limite pour présenter des commentaires sur le document de consultation intitulé Un cadre moderne pour les caisses populaires/credit unions en Ontario : réduire les formalités administratives et accroître les investissements était le 16 août 2019. Le document de consultation sollicitait, entre autres, des commentaires sur ce qui suit : les moyens de permettre aux caisses populaires de faire des affaires plus facilement en Ontario et de stimuler la compétitivité; les processus de règlement des différends et la nécessité d’avoir un ombudsman; le traitement réglementaire des organismes centraux et des fédérations, en faisant remarquer que la plupart des caisses populaires de l’Ontario sont membres de Central 1, centrale réglementée par la Colombie-Britannique; la titrisation et un cadre de financement; les pouvoirs d’affaires et d’investissement, particulièrement en ce qui a trait aux entreprises de technologie financière; l’accès aux capitaux; l’amélioration de l’expérience client et de la protection des clients; le cadre relatif aux dépôts non réclamés; la gouvernance d’entreprise; et les façons de favoriser l’innovation. 

De plus, l’examen de la législation sur les courtiers hypothécaires est également en cours. Le Rapport au ministre des Finances sur l’examen de la Loi de 2006 sur les maisons de courtage d’hypothèques, les prêteurs hypothécaires et les administrateurs d’hypothèques (le Rapport), qui est le fruit de l’examen quinquennal de la loi, a été publié le 30 septembre 2019. Le Rapport note que la création de l’ARSF constitue une occasion d’« adapter » la réglementation aux secteurs qu’elle supervise. Le Rapport comporte une recommandation visant à exiger une formation spécialisée pour l’obtention de permis applicables aux courtiers qui exercent leurs activités dans des domaines de pratique qui nécessitent des connaissances et des compétences supplémentaires.

Nous nous attendons à voir des thèmes émerger au sein des secteurs des caisses populaires, de l’assurance et du courtage hypothécaire, à mesure que l’ARSF modernise la législation, harmonise et regroupe ses lignes directrices, et élabore ou adopte des codes sectoriels traduisant les enjeux communs qui surviennent dans la réglementation de tous ces secteurs. 

La BCFSA prend le relais

Le 1er novembre 2019, la BCFSA a pris le relais en assumant les responsabilités de la Financial Institutions Commission of British Columbia (FICOM), y compris la surveillance des caisses populaires, des sociétés de fiducie, des fournisseurs d’assurance et intermédiaires en assurance, et des courtiers hypothécaires, ainsi que l’administration de la Credit Union Deposit Insurance Corporation. 

Tout comme l’ARSF, la BCFSA a pour mandat d’adopter une approche plus moderne de la réglementation et d’assurer l’uniformité avec les autres organismes de réglementation. La création de la BCFSA découle d’un examen indépendant réalisé en 2017 à la suite du rapport du vérificateur général de la Colombie-Britannique qui faisait état de lacunes à la FICOM, dont le défaut de se conformer aux normes sectorielles internationales. Par conséquent, nous prévoyons que la BCFSA entreprendra des initiatives de modernisation et d’harmonisation semblables à celles qui ont été annoncées par l’ARSF.

Il se profile également à l’horizon des modifications proposées à la Financial Institutions Amendment Act, 2019 (projet de loi 37), qui a franchi l’étape de la troisième lecture le 20 novembre 2019 et a reçu la sanction royale le 28 novembre 2019. Ces modifications comprennent :

  • de nouvelles règles relatives à la vente en ligne d’assurance en Colombie-Britannique, qui seront énoncées dans la réglementation (non encore publiée) ainsi que dans des règles supplémentaires adoptées par la BCFSA;
  • l’exigence, pour les compagnies d’assurance, d’adopter un code de conduite du marché qui sera établi par la BCFSA, et de s’y conformer;
  • l’exigence, pour les caisses populaires, d’adopter un code de conduite du marché, qui, tout comme en Ontario, pourrait s’inspirer du Code de conduite du marché de l’Association canadienne des coopératives financières, qui doit être déposé auprès de la BCFSA;
  • l’exigence, pour les caisses populaires, d’établir des procédures de traitement des plaintes, qui doivent être publiées sur le site Web de la caisse et être accessibles sur demande;
  • l’instauration d’un régime d’octroi de permis restreints d’agents d’assurance à des parties telles que des prêteurs qui vendent des types précis d’assurance connexes à leurs activités commerciales (p. ex. l’assurance crédit). Ce régime pourrait s’apparenter aux régimes d’octroi de permis restreints aux agents en Alberta, au Manitoba et en Saskatchewan. Les règles et les exigences relatives à ce régime seront établies par l’Insurance Council of British Columbia.

Nouvelle commissaire à l’ACFC

Mme Lucie Tedesco a quitté ses fonctions de commissaire le 3 juin 2019, au terme de 11 années auprès de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC). Après une brève période intermédiaire, Mme Judith Robertson a été nommée commissaire, en date du 19 août 2019, pour un mandat de cinq ans. Au moment de sa nomination, Mme Robertson était administratrice à l’ARSF à titre de membre fondateur du conseil; elle avait auparavant été commissaire de la CVMO, de 2011 à 2017. Elle avait précédemment acquis une vaste expérience en tant que cadre supérieure dans les secteurs des marchés financiers et des services financiers. 

En novembre 2019, l’ACFC n’avait affiché aucune nouvelle décision depuis la décision finale de la commissaire Tedesco, soit la décision no 134, affichée le 4 juin 2019. Par conséquent, nous ne disposons d’aucune publication permettant de savoir si l’ACFC abordera les décisions d’une manière différente sous la gouverne de Mme Robertson. Compte tenu de la vaste expérience de la nouvelle commissaire, et plus particulièrement de son expérience auprès de la CVMO, il sera intéressant de suivre l’évolution de l’ACFC sous sa direction.

Des changements notables dans les lois sur la protection des consommateurs

La convenance au client (qui a traditionnellement été le point de mire de la réglementation sur les intermédiaires en assurance et les conseillers en valeurs mobilières) est un concept qui a été adopté à une plus vaste échelle au sein du secteur des services financiers. L’accent a été placé plus particulièrement sur l’amélioration de la réglementation visant à protéger les consommateurs vulnérables comme les aînés et les emprunteurs dont les coûts de crédit sont élevés. Nous abordons quatre faits nouveaux relatifs à cette tendance ci-dessous.

Code de conduite pour la prestation de services bancaires aux aînés

Au terme de nombreuses consultations, l’Association des banquiers canadiens a publié le Code de conduite pour la prestation de services bancaires aux aînés. Ce code de conduite volontaire s’applique aux banques qui offrent des produits et services bancaires aux aînés du Canada, et il est supervisé par l’ACFC. Le terme « aîné » est défini dans le code comme une personne au Canada âgée d’au moins 60 ans et qui effectue des opérations non commerciales. Même si certains aspects du code n’entreront pas en vigueur avant le 1er janvier 2020 ou le 1er janvier 2021, depuis le 25 juillet 2019, les banques devraient : tenir compte des données démographiques du marché et des besoins des aînés lorsqu’elles procèdent à la fermeture de succursales (principe 6) et s’efforcer d’atténuer les préjudices financiers potentiels pour les aînés (principe 5). Le principe 5 pourrait poser des défis, car il exige que les membres du personnel de première ligne établissent l’équilibre entre la sécurité et l’autonomie. De nombreux prestataires de services indiquent qu’ils ont de la difficulté à convaincre les aînés de la réalité des escroqueries amoureuses et d’autres types de fraudes financières, ainsi que d’abus visant les aînés.

Nouveaux régimes de crédit à coût élevé

L’Alberta a emboîté le pas au Manitoba et a instauré un régime de crédit à coût élevé le 1er janvier 2019, alors que le régime du Québec est entré en vigueur le 1er août 2019. La publication de la réglementation visant la mise en œuvre du régime de crédit à coût élevé en Colombie-Britannique (énoncée dans le Bill 7 – 2019: Business Practices and Consumer Protection Amendment Act, 2019) se fait toujours attendre. Ce régime aura une incidence sur les prêteurs et les bailleurs en Colombie-Britannique dont les tarifs sont égaux ou supérieurs au seuil du « coût élevé ». Si la Colombie-Britannique suit les traces de l’Alberta et du Manitoba, ce seuil s’établira au taux effectif de 32 % ou plus par année.

Mise en œuvre du projet de loi 134 au Québec

Les fournisseurs de services financiers qui exercent leurs activités au Québec ont été extrêmement occupés au premier semestre de 2019 alors qu’ils mettaient en œuvre les nombreuses modifications énoncées dans le projet de loi 134, la Loi visant principalement à moderniser des règles relatives au crédit à la consommation et à encadrer les contrats de service de règlement de dettes, les contrats de crédit à coût élevé et les programmes de fidélisation ainsi que les règlements d’application. Les changements les plus importants du projet de loi 134 sont entrés en vigueur le 1er août 2019. Parmi les changements les plus difficiles à mettre en œuvre, on compte les nouvelles exigences concernant les cartes de crédit, notamment l’augmentation controversée des paiements minimums obligatoires, sujet qui a été largement médiatisé au Québec. Les fournisseurs de crédit et les bailleurs sont également tenus d’évaluer la capacité du consommateur à rembourser un prêt ou à effectuer les paiements de location-bail, ce qui n’est exigé par aucune autre loi provinciale en matière de prêts.

Projet de loi C-86

Des consultations auprès des acteurs sectoriels à propos de la réglementation aux termes du nouveau cadre fédéral de protection des consommateurs instauré en octobre 2018 (Loi no 2 d’exécution du budget de 2018) ont eu lieu en 2019. Les institutions financières sous réglementation fédérale continuent de faire face aux vastes répercussions du projet de loi, y compris les dispositions supplémentaires concernant les pratiques de vente.

En conclusion

Étant donné tous les changements en cours, nul doute que l’année 2020 sera fort occupée. En plus de suivre de près ces développements, nous sommes impatients de voir si les cadres de gouvernance et de rémunération convergeront, et comment ils le feront, pour s’harmoniser avec ces objectifs et ces thèmes liés aux pratiques du marché. 


[1] L’associé d’Osler Lawrence Ritchie siège au conseil de l’ARSF.