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Surveillance accrue des investissements étrangers et année chargée pour le Bureau de la concurrence

Auteur(s) : Shuli Rodal, Michelle Lally, Kaeleigh Kuzma

Le 8 décembre 2020

L’approche du gouvernement canadien à l’égard de l’examen des questions d’investissement étranger et de concurrence est en grande partie inchangée dans le contexte actuel de pandémie de COVID-19. Le gouvernement fédéral a certes publié un énoncé de politique concernant la surveillance accrue de certains investissements étrangers et temporairement prolongé les délais des examens discrétionnaires relatifs à la sécurité nationale des investissements, mais ces changements sont relativement limités par rapport aux mesures prises ailleurs dans le monde. De même, le Bureau de la concurrence (le Bureau) continue à mettre l’accent sur l’application active de la Loi sur la concurrence malgré la COVID-19, en publiant des lignes directrices actualisées dans un certain nombre de domaines, notamment les fusions et les collaborations entre concurrents, et en démontrant qu’elle se concentre de façon continue sur l’application de la loi dans l’économie numérique.

Loi sur Investissement Canada et les investissements étrangers à la lumière de la COVID-19

Bien que le gouvernement canadien ait pris des mesures en 2020 pour rajuster son approche concernant les investissements étrangers au Canada à la lumière de la COVID-19, ces mesures ont été relativement limitées. En contraste flagrant avec l’Australie, où les montants des seuils déclencheurs d’examen des investissements étrangers ont été établis à zéro et où les délais d’examen ont été prolongés, le gouvernement canadien n’a pas abaissé les seuils applicables à l’examen obligatoire ni élargi le champ des investissements soumis à l’examen obligatoire.

Jusqu’à présent, le gouvernement canadien a plutôt mis l’accent sur la communication de son approche en matière d’investissements étrangers. Le 18 avril 2020, le gouvernement a publié un énoncé de politique annonçant que certains investissements étrangers seront soumis à une surveillance accrue en vertu de la Loi sur Investissement Canada pendant la pandémie de COVID-19 pour « protéger la santé et la sécurité de tous les Canadiens et pour stabiliser l’économie ». Les investissements particuliers mentionnés sont ceux liés à la santé publique et aux biens et services essentiels, ainsi que les investissements par des investisseurs publics. L’énoncé de politique a également soulevé une préoccupation potentielle à l’égard des investissements opportunistes. Néanmoins, la seule modification législative apportée au processus d’examen de la Loi sur Investissement Canada a été la prolongation temporaire des délais pour l’examen discrétionnaire des investissements susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale. Pour en savoir davantage, veuillez consulter le bulletin d’actualité d’Osler intitulé « Le gouvernement canadien prolonge temporairement les délais d’examen relatifs à la sécurité nationale » sur osler.com.

Application de la Loi sur la concurrence pendant et après la pandémie

Le Bureau, comme d’autres autorités internationales chargées de l’application de la loi, a souligné dans ses communications publiques que la Loi sur la concurrence sera activement appliquée pendant la pandémie de COVID-19. Le Bureau a continué à mettre l’accent sur l’application de la loi dans l’économie numérique, ainsi que sur la réalisation d’examens des fusions en vertu de la Loi sur la concurrence. Il a également fourni des orientations actualisées sur les collaborations entre concurrents. 

Examen des fusions d’entreprises en déconfiture 

Le Bureau a reconnu que, bien que les principes du droit de la concurrence doivent continuer à être appliqués à tous les examens de fusions en vertu de la Loi sur la concurrence, il doit être prêt à effectuer en temps utile des examens de fusions concernant des entreprises ayant des difficultés économiques.

En vertu de la Loi sur la concurrence, le fait qu’une entreprise cible soit probablement en déconfiture ne constitue pas un moyen de défense pour une fusion autrement anticoncurrentielle. Au contraire, la perte d’influence concurrentielle n’est pas attribuée à la fusion lorsque la déconfiture imminente est probable et que, en l’absence de la fusion, les actifs de l’entreprise seraient vraisemblablement retirés du marché pertinent en raison de l’absence d’une autre option concurrentielle. Bien que le Bureau n’ait pas modifié son approche de longue date en matière d’examen des fusions dans le cas d’une entreprise en difficulté financière, il a récemment publié un résumé détaillé de son examen de l’acquisition de Total Métal Récupération (TMR) inc. par la Compagnie américaine de fer et métaux inc. connue sous l’appellation American Iron & Metal Company Inc. (AIM). Le résumé fournit des orientations actuelles sur les éléments essentiels de l’approche du Bureau en matière de cas de défense portant sur la déconfiture d’une entreprise, ainsi que les délais prévus.

En février 2020, le Bureau a clôturé un examen de trois mois sur l’acquisition de TMR par AIM ne devant pas faire l’objet d’un préavis. Avant la fusion, AIM et TMR étaient les deux plus grandes sociétés de transformation de rebuts métalliques au Québec. Malgré la réduction de la concurrence découlant de la fusion, le Bureau a refusé de prendre d’autres mesures au motif que TMR était une entreprise en déconfiture dont les actifs auraient vraisemblablement été retirés du marché en l’absence de la fusion.

Afin d’évaluer la viabilité de TRM, le Bureau a engagé un expert financier pour examiner les finances de TRM. Cette évaluation a permis de conclure que TMR était insolvable et risquait fort probablement de déclarer faillite dans un avenir immédiat. Une fois qu’elle a déterminé que TRM était susceptible de déconfiture, le Bureau a examiné la vraisemblance de divers scénarios hypothétiques (c.-à-d., une restructuration, une acquisition par un acquéreur privilégié compétitif ou une liquidation) et des niveaux de concurrence attendus dans le marché en fonction de tels scénarios. Le Bureau a déterminé que les tentatives de restructuration de TRM n’auraient pas évité sa déconfiture et ne lui auraient pas permis de survivre en tant que concurrent sérieux. Le Bureau a par ailleurs déterminé que la liquidation des actifs individuels de TMR n’aurait pas été un facteur déterminant pour faciliter l’entrée d’un nouveau concurrent et n’était pas susceptible d’entraîner un niveau de concurrence sensiblement plus élevé que si la fusion n’avait pas eu lieu. Enfin, le Bureau a déterminé que, bien qu’une recherche exhaustive d’autres acheteurs potentiels ait été menée, aucun acheteur de ce type n’existait. Pour plus de détails, veuillez consulter le bulletin d’actualités d’Osler intitulé « Application du droit canadien en matière de concurrence dans le domaine des fusions : (presque) comme d’habitude » sur osler.com

Évaluation des gains en efficience dans le cadre de l’examen des fusions

Un aspect unique du régime d’examen des fusions de la Loi sur la concurrence du Canada est la défense fondée sur les gains en efficience. En vertu de la Loi sur la concurrence, le Tribunal de la concurrence ne peut pas rendre d’ordonnance corrective lorsqu’il estime qu’une fusion est susceptible d’entraîner des gains en efficience qui seront supérieurs aux effets anticoncurrentiels de la fusion et les compenseront, et que les gains en efficience ne seraient probablement pas atteints si une ordonnance était rendue. 

Le processus d’examen par le Bureau de l’applicabilité potentielle de la défense fondée sur les gains en efficience dans les délais légaux applicables au processus d’examen des fusions a souvent été un problème pour les parties à la fusion et le Bureau. En avril 2020, le Bureau a publié un énoncé de position concernant son examen de 2019 de l’acquisition proposée de certains actifs de transport intermodal de H&R Transport Limited (H&R) par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN). Dans le cadre de son examen, le Bureau a, pour la première fois, appliqué son modèle d’accord sur les délais pour les fusions impliquant des allégations de gains en efficience. Le modèle du Bureau prévoit une procédure détaillée et un calendrier à l’égard de l’examen et de la détermination des allégations de gains en efficience sans recourir au litige. Osler représentait H&R dans cette affaire.

Le Bureau a conclu que l’acquisition de H&R par CN était susceptible de réduire considérablement ou d’empêcher la concurrence à l’égard de la prestation de services de transport intermodal réfrigéré en chargement complet dans huit paires de terminaux ferroviaires origine-destination. Les parties à la fusion ont toutefois demandé au Bureau d’examiner si la défense fondée sur les gains en efficience s’appliquait à l’opération. Le Bureau a examiné les gains en efficience allégués par CN, qui concernaient l’élimination des frais généraux et des installations, systèmes informatiques et licences de logiciels faisant double emploi. Le Bureau n’était pas d’accord avec la quantification des gains en efficience allégués par CN, mais il a conclu que les gains en efficience découlant de l’opération l’emportaient sur ses effets anticoncurrentiels et n’a donc pas contesté l’opération. Pour plus de détails, veuillez consulter le bulletin d’actualités d’Osler intitulé « Application du droit canadien en matière de concurrence dans le domaine des fusions : (presque) comme d’habitude » sur osler.com.

Maintien de l’accent sur la défense et l’application du droit de la concurrence dans l’économie numérique

Au début de l’année 2020, le Bureau a publié sa vision stratégique sur quatre ans qui définit l’objectif du Bureau d’être un « organisme de la concurrence de calibre mondial, qui est à l’avant-garde de l’économie numérique ». En juillet de cette même année, le Bureau a été nommé à la présidence du Réseau international de contrôle et de protection des consommateurs pour un mandat d’une année. Le Bureau a l’intention d’axer son mandat sur les questions de confiance des consommateurs dans les marchés numériques. En octobre et novembre de cette année, le Bureau a organisé son premier sommet annuel sur l’application numérique de la loi, qui devait permettre au Bureau et à ses homologues internationaux de partager les meilleures pratiques et d’explorer de nouveaux outils et stratégies pour faire face aux problèmes d’application qui émergent à l’ère numérique.

Le Bureau a continué à enquêter activement sur la concurrence dans l’économie numérique. Plus récemment, en août 2020, le Bureau a sollicité des renseignements des acteurs du marché pour l’aider dans son enquête sur l’abus de position dominante concernant le comportement d’Amazon. Plus précisément, l’enquête du Bureau se concentre sur les politiques d’Amazon qui peuvent avoir un impact sur la volonté des vendeurs tiers de proposer leurs produits à la vente à un prix inférieur sur d’autres canaux de vente au détail ou qui peuvent entraver la capacité des vendeurs tiers à réussir sur le marché d’Amazon sans publicité sur le site Web d’Amazon ou sans l’utilisation de son service d’exécution. Le Bureau étudie également les stratégies qu’Amazon pourrait utiliser pour influencer les consommateurs à acheter des produits Amazon plutôt que ceux proposés par des vendeurs concurrents.

Collaboration entre concurrents pendant la pandémie de COVID-19

Dans une déclaration de politique publiée le 8 avril 2020, le commissaire a reconnu les circonstances extraordinaires de la pandémie de COVID-19 et a informé les entreprises que le Bureau ne contesterait probablement pas les efforts de collaboration de bonne foi entre concurrents visant à répondre à la crise et à satisfaire les besoins essentiels des Canadiens. Le commissaire a également ouvert un canal permettant aux entreprises d’obtenir des conseils informels de la Direction générale des cartels du Bureau à l’égard des projets de collaboration entre concurrents. Ces orientations faisaient suite à des déclarations similaires de souplesse dans l’application de la législation par d’autres organismes internationaux de réglementation antitrust.

Dans sa déclaration, le commissaire a reconnu que les entreprises pourraient avoir besoin de créer des groupes d’achats collaboratifs ou de partager des ressources de la chaîne d’approvisionnement pour livrer des biens essentiels aux Canadiens, et le Bureau ne voulait pas que sa politique d’application actuelle « réfrène » les réponses rapides et efficaces qui pourraient être nécessaires pour aider les Canadiens.

En tant que déclaration d’intention d’application, les orientations du Bureau ne modifient pas les interdictions pénales existantes du Canada concernant les accords anticoncurrentiels portant sur la fixation des prix, la répartition des marchés ou les restrictions de production. En outre, elles ne lient pas le Service des poursuites pénales du Canada, l’autorité chargée de faire appliquer le droit pénal canadien en matière de concurrence. Elles ne protègent pas non plus les entreprises de la possibilité d’intenter des poursuites privées pour obtenir des dommages-intérêts.

Relativement à ce sujet, le 29 juillet 2020, le Bureau a publié pour consultation publique une mise à jour des lignes directrices sur la collaboration entre concurrents publiées en 2009. Ces lignes directrices sont importantes, car elles définissent l’approche du Bureau en matière d’application de la loi à l’égard des collaborations entre concurrents actuels ou potentiels en vertu des dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux ententes criminelles de cartel et aux ententes civiles. Le Bureau propose très peu de changements. Toutefois, les changements reflètent l’expérience du Bureau en ce qui concerne certaines questions comme les conspirations en étoile et les clauses de non-concurrence, ainsi que son approche pour évaluer dans quelle mesure l’intelligence artificielle ou les algorithmes peuvent être utilisés pour faciliter la collusion. La période de consultation est terminée et nous espérons que le Bureau publiera des lignes directrices finales et actualisées au cours de la nouvelle année.

Le Bureau de la concurrence confirme son approche des accords de non-débauchage et de fixation des salaires entre concurrents

Le 27 novembre 2020, le Bureau a publié une déclaration confirmant que les accords de non-débauchage, de fixation des salaires et autres accords entre acheteurs sont assujettis à un examen en vertu des dispositions civiles de la Loi sur la concurrence seulement, et que le Bureau n’évaluera pas ces accords en vertu des dispositions criminelles sur les complots de la Loi sur la concurrence.

À la suite de l’adoption, il y a dix ans, d’un processus à deux voies pour l’évaluation des accords entre concurrents en vertu de la Loi sur la concurrence, il était généralement entendu (en fonction du libellé de la Loi sur la concurrence) que les accords entre concurrents concernant l’achat de produits, par opposition à la fourniture de produits, ne seraient pas traités en vertu des dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence relatives aux complots. Au contraire, ces accords seraient soumis à un examen uniquement en vertu des dispositions civiles relatives aux pratiques susceptibles d’examen. Toutefois, les parties prenantes des milieux juridiques et commerciaux canadiens ont cherché à obtenir confirmation de l’approche adoptée pour les accords en amont entre concurrents au Canada après que le département de la Justice et la Federal Trade Commission des États-Unis ont publié en 2016 des directives indiquant clairement que les accords de non-débauchage ou de fixation des salaires qui ne sont sans rapport ou non nécessaires à une collaboration légitime plus large entre les employeurs feraient l’objet d’enquêtes criminelles.

Le Bureau a désormais fourni cette confirmation. La position du Bureau est claire : il n’enquêtera pas sur les accords de non-débauchage et de fixation des salaires en vertu des dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence relatives aux conspirations; ces accords seront plutôt évalués en vertu des dispositions civiles de la Loi sur la concurrence relatives aux accords entre concurrents. Bien que la politique d’application du Bureau ne lie pas les tribunaux, le Bureau a explicitement indiqué que, pour parvenir à cette conclusion, il a demandé les avis juridiques du ministère de la justice du Canada du le Service des poursuites pénales du Canada.

Les recours disponibles en vertu des dispositions civiles relatives aux accords entre concurrents de l’article 90.1 sont très limités et ne comprennent pas la possibilité de sanctions administratives pécuniaires. Il est important de noter que, contrairement aux dispositions criminelles relatives aux complots, l’article 90.1 ne confère pas aux parties privées un droit légal d’intenter des actions privées pour obtenir des dommages-intérêts en raison du préjudice subi du fait de l’accord.

Les accords entre acheteurs concernant l’achat de produits et de services continuent à être contestés dans d’autres instances non pénales. Comme déjà souligné, le Bureau a indiqué qu’il peut examiner de tels accords en vertu des dispositions civiles de l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence et prendre des mesures d’exécution si cela est justifié. Le Bureau est en train de mettre à jour les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents et a déclaré qu’il a l’intention d’exposer plus en détail son approche en matière d’application des accords entre acheteurs dans les lignes directrices mises à jour. Les entreprises doivent donc rester conscientes qu’elles continuent d’être soumises à une responsabilité civile potentielle en vertu de l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence si elles concluent avec un concurrent un accord de non-débauchage ou de fixation des salaires qui est susceptible d’entraîner une diminution ou un empêchement sensible de la concurrence. Même si les mesures d’exécution ne peuvent pas aboutir à l’imposition de sanctions pénales ou d’une sanction administrative pécuniaire, les enquêtes civiles peuvent être coûteuses et perturbatrices. En outre, si la déclaration du Bureau fournit des preuves solides de la non-application de la disposition criminelle à ces types d’accords, les orientations du Bureau ne lient pas les plaignants privés qui peuvent toujours choisir d’engager une action privée en dommages et intérêts sur la base d’une violation présumée des dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence.

Maintien de l’accent sur la défense du droit de la concurrence

Le commissaire a continué d’être très actif dans l’accomplissement de son mandat de défense des politiques à tous les niveaux de gouvernement qui soutiennent des marchés dynamiques et concurrentiels, en plus de participer à de nombreuses audiences et consultations publiques concernant les marchés des télécommunications, le cadre de conduite de la politique monétaire du Canada, l’agenda numérique et le secteur des soins de santé. Le 20 août 2020, le Bureau a publié un guide étape par étape pour l’évaluation de la concurrence (le Guide) à l’intention des décideurs politiques. Le Guide est conçu pour aider les organismes de réglementation et les décideurs politiques à tous les niveaux de gouvernement à adapter la législation et les politiques de manière appropriée afin de maximiser les avantages de la concurrence pour l’économie. Le Guide propose aux décideurs politiques un processus en cinq étapes pour évaluer les répercussions de la réglementation et des politiques nouvelles et existantes sur la concurrence.

Comme l’a souligné le commissaire dans un récent discours, à l’avenir, nous devrions nous attendre à ce que le Bureau veille principalement à « placer la concurrence au cœur des affaires économiques du Canada » afin d’« aider le Canada à récolter les fruits d’une saine concurrence dans notre économie : une économie plus productive, plus dynamique et plus résiliente qui donne du pouvoir aux consommateurs ».