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La Cour d’appel du Québec clarifie les règles sur la responsabilité des cautions pour les frais juridiques

Auteur(s) : Sandra Abitan, Ad. E. , Etienne Massicotte, Julien Morissette, Mikulas Arendas, Ilia Kravtsov, Asma Berrak

Le 22 avril 2021

Introduction

Le 6 avril 2021, la Cour d’appel du Québec (Cour d’appel) a rendu un jugement autorisant un prêteur à récupérer ses frais juridiques raisonnables auprès d’une caution, lorsque le cautionnement le prévoit expressément. La Cour d’appel a accueilli[1] en partie l’appel interjeté par la Banque de Nouvelle-Écosse (la « Banque ») d’un jugement rendu par la Cour supérieure le 26 novembre 2018. Le litige portait sur l’application d’une clause d’un contrat de cautionnement qui prévoyait notamment que la caution serait responsable des frais juridiques encourus par la Banque pour le recouvrement auprès du débiteur ou de la caution. Selon la Cour d’appel, une telle clause est valide et exécutoire, dans la mesure où les frais juridiques et dépenses réclamés sont raisonnables.

Cet arrêt de la Cour d’appel donne aux prêteurs des lignes directrices utiles sur la responsabilité des cautions pour les honoraires juridiques et autres frais.

Contexte

Davidovit était l’âme dirigeante d’une société qui exploitait une salle d’entraînement. Ayant fait faillite, la société avait une dette envers la Banque en vertu de sa marge de crédit. Comme Davidovit s’était personnellement porté caution de cette dette envers la Banque, cette dernière cherchait à lui réclamer le solde de sa créance, ainsi que les frais juridiques liés.

En première instance, la cour a condamné Davidovit à payer le solde impayé de la dette à la Banque et a rejeté sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts découlant d’une prétendue réalisation abusive par la Banque sur les actifs de la société.

Cependant, s’appuyant sur l’article 1437 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), la cour a conclu que la clause du cautionnement permettant le recouvrement des frais juridiques était abusive et, par conséquent, a refusé de trouver Davidovit responsable des frais juridiques de la Banque.

Décision

Selon la Cour d’appel, le juge de première instance a erré dans son application de l’article 1437 C.c.Q. Le simple fait qu’une partie à un contrat se trouve désavantagée ne permet pas en soi de conclure que le contrat, ou une clause de ce dernier, est abusif. Le juge de première instance a omis de tenir compte de l’article 1617 C.c.Q. selon lequel il est possible de prévoir dans un contrat des dommages-intérêts en plus des intérêts, sans distinguer si cela peut être inclus dans un contrat d’adhésion ou de gré à gré. Le fait que le contrat de cautionnement pouvait être qualifié de contrat d’adhésion n’était pas contesté.

Dans son arrêt, la Cour d’appel juge que les clauses de remboursement d’honoraires, même dans les contrats d’adhésion, ne sont pas nécessairement abusives, mais que leur exécution est soumise au contrôle des tribunaux afin que le droit de réclamer des honoraires soit exercé de bonne foi. L’article 1437 C.c.Q. permet au tribunal de réviser le quantum des honoraires réclamés, lorsqu’approprié. Pour ce faire, le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances, incluant la complexité de l’affaire, le temps requis et consacré à l’affaire, la conduite du dossier et les taux horaires appliqués en fonction de l’expérience de l’avocat.

Dans le cas de Davidovit, la Banque réclamait le paiement d’un montant de 35 000$ pour les honoraires juridiques et autres frais, montant que la Cour d’appel a réduit à 12 000$, ayant exclu les frais réclamés en lien avec l’exercice des droits hypothécaires de la Banque, pour lequel aucune indemnité additionnelle ne peut être exigée en vertu de l’article 2762 C.c.Q., ainsi que d’autres montants réclamés pour un rapport d’expert dont la Cour d’appel ne pouvait constater l’utilité.

Impact

Cet arrêt de la Cour d’appel clarifie la jurisprudence existante dont divers courants étaient contradictoires et établit que les frais juridiques et dépenses raisonnables peuvent être récupérés des cautions, lorsque le cautionnement le prévoit expressément. En revanche, les tribunaux ont la discrétion de réviser le quantum des frais réclamés afin de valider leur raisonnabilité et leur conformité avec les dispositions applicables. Les prêteurs devraient envisager de revoir leurs modèles de cautionnement, afin d’assurer que ceux-ci incluent une obligation claire et non équivoque de la caution de payer tous les honoraires juridiques et dépenses raisonnables encourus par le prêteur dans le recouvrement de ses créances.

 

[1]      Banque de Nouvelle-Écosse c. Davidovit, 2021 QCCA 551