Passer au contenu

Le projet de loi fédéral sur la DNUDPA devient une loi

Auteur(s) : Sander Duncanson, Kelly Twa et Maeve O’Neill Sanger

Le 22 juin 2021

Le 16 juin, le Sénat canadien a voté pour l’adoption du projet de loi C-15, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la Loi sur la DNUDPA ou la Loi). La Loi sur la DNUDPA a reçu la sanction royale le 21 juin, marquant une étape historique dans la mise en œuvre par le Canada de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA ou la Déclaration).

La Loi sur la DNUDPA est la première mesure importante prise par le Canada pour s’assurer que les lois fédérales reflètent les normes établies par la DNUDPA. Par conséquent, la Loi a plusieurs répercussions potentiellement importantes pour les groupes autochtones, les autorités gouvernementales et les promoteurs de projets de ressources, en particulier en ce qui concerne les dispositions de la DNUDPA exigeant que les États obtiennent le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » (Consentement) dans leurs consultations avec les peuples autochtones.

Dans le présent bulletin d’actualités, nous présentons un aperçu des principales dispositions de la Loi sur la DNUDPA, les questions en suspens concernant l’application et les répercussions de la Loi, ainsi que nos commentaires sur la façon dont la mise en œuvre de la DNUDPA par le Canada façonne déjà, et continuera de façonner, le milieu des affaires canadien et le développement des ressources naturelles.

Principales dispositions de la Loi sur la DNUDPA

La DNUDPA est un instrument international non contraignant qui énonce « les normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde. » Une majorité de l’Assemblée générale des Nations unies a voté pour l’adoption de la DNUDPA en 2007, et le Canada a officiellement approuvé la DNUDPA en 2016.

Le préambule composé de 22 paragraphes de la Loi sur la DNUDPA introduit noblement la Loi. Il reconnaît, entre autres, le droit inhérent à l’autodétermination et affirme que la DNUDPA est une source d’interprétation du droit canadien. Bien que le préambule ne soit qu’une introduction à la Loi, il sera probablement utilisé comme outil d’interprétation de l’objet de la législation.

La Loi elle-même présente deux objectifs clés :

  • affirmer la DNUDPA comme un instrument universel, international et relatif aux droits de la personne, qui s’applique en droit canadien;
  • fournir un cadre pour la mise en œuvre de la Déclaration par le gouvernement du Canada (le Gouvernement).

Les dispositions de fond de la Loi prévoient la façon dont ces deux objectifs doivent être poursuivis en rendant les lois canadiennes conformes à la DNUDPA et en préparant et en mettant en œuvre un plan d’action pour atteindre les objectifs de la DNUDPA.

Veiller à ce que les lois du Canada soient conformes à la DNUDPA

L’article 5 de la Loi sur la DNUDPA exige que le Gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les lois fédérales du Canada sont conformes à la Déclaration, et ce, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones. Pour atteindre cet objectif, l’article 6 exige que le ministre désigné par le Cabinet fédéral (le ministre) élabore et mette en œuvre un plan d’action pour réaliser les objectifs de la DNUDPA en consultation et en coopération avec les peuples autochtones et d’autres ministres fédéraux.

Le plan d’action, qui sera rendu public, doit être terminé le plus tôt possible et au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur de l’article 6.[1] Afin d’assurer les obligations et la transparence relatives à la mise en œuvre de la Loi, le ministre doit également élaborer un rapport annuel accessible au public sur les progrès réalisés par le Gouvernement pour s’assurer que les lois canadiennes sont conformes à la DNUDPA, ainsi que sur les progrès du ministre dans la réalisation du plan d’action.

Mise en œuvre de la DNUDPA dans le droit canadien

Dès 2012, les tribunaux canadiens ont reconnu que la DNUDPA peut servir à éclairer l’interprétation des lois de trois façons :

  • privilégier une interprétation d’une loi qui est plus conforme aux obligations internationales du Canada;
  • éclairer l’approche contextuelle de la Cour en matière d’interprétation des lois; et
  • définir les valeurs et les principes qui devraient guider l’interprétation législative.[2]

Cependant, en plus du préambule de la Loi sur la DNUDPA qui affirme que la DNUDPA est une source d’interprétation du droit canadien, l’article 4 de la Loi affirme que la DNUDPA constitue « un instrument universel garantissant les droits internationaux de la personne et trouve application au Canada » [c’est nous qui ajoutons l’italique]. Les répercussions juridiques de cette disposition ne sont pas claires. Le ministre de la Justice du Canada, l’honorable David Lametti, a déclaré que la Loi ne signifie pas que la DNUDPA peut l’emporter sur les lois canadiennes, mais confirme plutôt que « les normes en matière de droits de la personne énoncées dans le projet de loi peuvent fournir une orientation pertinente et convaincante aux fonctionnaires et aux tribunaux. » L’objectif, comme l’a déclaré le ministre Lametti, consiste à reconnaître les principes juridiques existants, plutôt que de donner à la Déclaration elle-même un effet juridique direct au Canada.[3] En d’autres termes, bien que la Déclaration ait une « application » dans le droit canadien, elle n’a pas pour but d’établir de nouveaux principes juridiques dans le droit canadien (comme le Consentement, dans la mesure où le Consentement est incompatible avec le droit canadien existant). Le sens de l’article 4 fera sans doute l’objet de litiges futurs.

Mise en œuvre de la DNUDPA dans le secteur des ressources naturelles

Avec l’entrée en vigueur de la Loi sur la DNUDPA, les articles de la DNUDPA eux-mêmes n’auront pas force de loi, mais les législateurs fédéraux devront tenir compte de la conformité avec la DNUDPA lors de l’adoption de nouvelles lois et de modifications, et les tribunaux utiliseront la DNUDPA comme outil d’interprétation du droit au Canada. Au fur et à mesure que le gouvernement fédéral élabore son plan d’action pour mettre en œuvre DNUDPA, il est probable qu’il y ait des progrès législatifs et politiques.

Bien que l’intention déclarée ne soit pas que le Consentement soit considéré comme un droit de « veto » pour les groupes autochtones,[4] le concept peut influer sur les changements dans les approches de consultation actuelles et les attentes pratiques de toutes les parties participant à de tels processus. Le Consentement est susceptible de déclencher, au minimum, un processus de consultation plus robuste et proactif avec les groupes autochtones potentiellement touchés lorsqu’un projet proposé entraîne l’application de toute loi fédérale. Bien que le partenariat avec les communautés autochtones soit depuis longtemps une préoccupation pour les initiateurs de projet, l’application de la Loi sur la DNUDPA renforcera les incitations pour les promoteurs à s’associer avec des groupes autochtones dans le développement de projets et pourrait augmenter les incitations à l'actionnariat autochtone.


[1] Loi sur la DNUDPA, par. 6(4).

[2] Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CSC 445, paragraphes 350 à 354, confirmée 2013 CAF 75

[3] Débats de la Chambre des communes, 43-2, n° 60 (17 février 2021) 1810 (Hon David Lametti).

[4] Débats de la Chambre des communes, 43-2, n° 60 (17 février 2021) 1815 (Hon David Lametti).