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Le meilleur des mondes (fiscaux) : Ce que les Canadiens devraient savoir au sujet de la réforme fiscale aux États-Unis

Auteur(s) : Julie Geng, Ramin Wright

Le 5 janvier 2018

Maintenant que la réforme fiscale aux États-Unis a été transposée dans la législation, nous assisterons à un profond remaniement du système de planification fiscale transfrontalier Canada/États-Unis. Les modifications apportées par la nouvelle loi (intitulée « Tax Cuts & Jobs Act » ou TCJA), promulguée le 22 décembre 2017, font du fracas et renversent des normes vieilles de plusieurs décennies. Comme c’est souvent le cas suivant l’adoption d’importants textes de loi, il y a des gagnants et des perdants et une crise temporaire, mais cette réforme permettra de repenser complètement la manière dont les entreprises transfrontalières et les placements internationaux devraient être structurés, exploités et réalisés. La nouvelle loi bouscule les principes fondamentaux de la politique fiscale américaine à un point tel qu’il faudra attendre longtemps avant de pouvoir mesurer pleinement la portée de la réforme. Cela dit, étant donné que la plupart des dispositions les plus importantes entraient en vigueur le 1er janvier 2018, les contribuables n’auront pas le temps d’inventer toutes sortes d’hypothèses et devront plutôt analyser rapidement le nouveau régime d’imposition afin de prendre des décisions à court terme optimales et ainsi jeter les fondements d’un nouveau système de planification à long terme.

Ce bulletin donne un aperçu de la nouvelle politique fiscale américaine. Il ne se veut pas un examen technique de la mécanique des règles pertinentes, mais plutôt un survol des dispositions législatives qui, selon nous, devraient principalement intéresser les entreprises et les investisseurs canadiens qui effectuent des opérations transfrontalières. Nos clients et amis qui auraient des questions particulières ou complexes peuvent communiquer avec l’un des membres de notre groupe spécialisé en droit fiscal américain en tout temps.  Par ailleurs, notre groupe spécialisé en droit fiscal américain organisera des conférences à l’intention des clients aux lieux et à l’heure indiqués ci-après :

Réflexion générale sur le régime d’imposition définitif adopté aux États-Unis

La « réforme » introduite par le nouveau régime d’imposition aux États-Unis ne vise pas à démolir l’ancien régime et à le reconstruire, mais plutôt à redéfinir les règles existantes. En d’autres mots, pour l’essentiel, la structure de base de l’« ancien » régime d’imposition américain demeure inchangée, malgré le remaniement profond de certaines règles fiscales. Le nouveau régime d’imposition n’est donc pas un effort de simplification tangible des règles fiscales américaines, même que, au contraire, à de nombreux égards (particulièrement en ce qui concerne la perception transfrontalière des impôts), la cohabitation difficile des « anciennes » et des « nouvelles » règles fiscales rehausse le degré déjà élevé de complexité du régime. De manière générale, le degré accru de complexité du régime concerne les investissements sortants des États-Unis (ce qui s’applique par exemple aux multinationales dont le siège social est situé aux États-Unis, mais qui exercent également des activités à l’extérieur des États-Unis). Cela dit, les règles du jeu ont également énormément changé en ce qui a trait aux investissements étrangers entrants aux États-Unis, et les Canadiens qui exercent des activités aux États-Unis seront sérieusement touchés par ces changements. De plus, compte tenu de l’extrême interconnectivité des marchés canadien et américain, le régime d’imposition applicable aux investissements sortants des États-Unis ou entrants aux États-Unis pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les entreprises canadiennes (comme il est discuté en détail ci-après).

En outre, parce que le projet de loi a été soumis au Congrès de façon précipitée, le libellé définitif de la loi comporte de nombreuses lacunes et laissent ouverts de nombreux détails importants. On peut donc raisonnablement s’attendre à ce que le Département du Trésor des États-Unis soit forcé de publier une quantité extraordinaire de directives réglementaires en guise de soutien. La publication de ces directives réglementaires provoquera sans doute d’autres séismes qui auront de multiples répliques dans les prochaines années. À cette onde de choc s’ajoutera le fait que les dispositions clés du nouveau régime d’imposition seront soit appliquées progressivement soit graduellement éliminées au fil du temps. Cette dynamique rendra encore plus complexe la planification fiscale au cours des années à venir et, selon nous, il devient encore plus important que les entreprises s’assurent de préserver une certaine flexibilité et une diversité des solutions afin de s’adapter au contexte évolutif du nouveau régime et ainsi mieux se synchroniser avec le calendrier des principaux événements fiscaux.

Incidence de la modification des règles fiscales américaines sur les marchés transfrontaliers

Ce bulletin vise surtout à présenter les modifications qui ont apporté à la perception transfrontalière des impôts, mais il est important de mentionner que les nouvelles règles fiscales américaines allègent considérablement la charge fiscale de nombre d’entreprises américaines. Cet allègement fiscal devrait profondément transformer la concurrence au sein du marché américain (qui est de loin le plus important marché étranger pour les Canadiens) et devrait réduire les énormes avantages systémiques dont profitent les multinationales dont le siège social est situé à l’étranger par rapport à leurs concurrents américains. De plus, les entreprises canadiennes qui exercent des activités des deux côtés de la frontière par le truchement de filiales ou de succursales aux États-Unis seront forcées de repenser la manière (peut-être complètement) dont les nouvelles règles fiscales américaines commanderont leurs décisions en ce qui a trait à la répartition de leurs dépenses d’affaires courantes et de leurs dépenses en immobilisations, à l’examen de leurs « occasions d’affaires », au lieu de création de la propriété d’un bien intellectuel, à l’embauche des employés, à la gestion de la chaîne d’approvisionnement et au financement. Sachant cela, les plus importantes modifications apportées aux règles fiscales américaines sont les suivantes :

  • diminution du taux d’imposition des entreprises : le taux d’imposition des entreprises aux États-Unis passe de façon permanente de 35 % à 21 % et l’impôt minimum de remplacement est éliminé;
  • comptabilisation immédiate des charges : la totalité des charges liées à un bien admissible (généralement, un bien matériel ayant une durée de vie d’au plus 20 ans) peut être comptabilisée immédiatement. Qui plus est, cette règle de la comptabilisation immédiate des charges s’applique à la fois aux nouveaux biens et aux biens déjà « utilisés », sous réserve de certaines exceptions. Toutefois, elle sera progressivement éliminée de 2023 à 2026;
  • utilisation restreinte des pertes d’exploitation nettes : les pertes d’exploitation nettes subies en 2018 et ultérieurement, lorsqu’elles seront reportées sur des années d’imposition subséquentes, ne pourront pas être utilisées pour contrebalancer plus de 80 % du revenu imposable d’un contribuable pour l’année en question. De plus, les pertes d’exploitation nettes subies en 2018 et par la suite (i) ne peuvent plus être reportées sur les années d’imposition précédentes (auparavant, les pertes d’exploitation nettes pouvaient faire l’objet d’un report rétrospectif sur les deux années d’imposition précédentes); mais (ii) peuvent être reportées sur les années d’imposition subséquentes indéfiniment (auparavant, elles pouvaient être reportées sur les vingt années d’imposition subséquentes). En outre, contrairement à une proposition antérieure dans un projet de la Chambre, les pertes d’exploitation nettes ne porteront pas intérêt pour tenir compte de la valeur temporelle de l’argent, ce qui signifie que leur valeur « réelle » diminuera au fil du temps. Les pertes d’exploitation nettes subies avant 2018 ne sont généralement pas soumises à cette nouvelle règle;
  • limite à la déduction des intérêts : le nouveau régime d’imposition resserre considérablement la portée du paragraphe 163j) qui limite le dépouillement des gains.  Plus précisément, le nouveau paragraphe 163j) limite la déduction au titre des « intérêts des entreprises » (business interest) annuels à 30 % (par rapport à 50 %) du « revenu imposable modifié » (RIA) (adjusted taxable income), sans que la règle refuge emprunts/capitaux propres s’applique. De 2018 à 2021, le RIA correspondra essentiellement au BAIIA (à l’instar de l’« ancienne » règle), mais, à compter de 2022, le RIA sera ajusté de manière à être approximativement équivalent au BAII, c’est-à-dire au résultat avant intérêts et impôts, sans tenir compte de l’amortissement. La diminution de la limite (à 30 %) et la baisse du RIA (au BAII, plutôt qu’au BAIIA) sont « doublement néfastes », car elles restreignent considérablement l’accès aux déductions des intérêts pour de nombreuses entreprises.
    • Contrairement à l’« ancien » paragraphe 163j), cette nouvelle limite s’applique à tous les intérêts des entreprises, peu importe que la dette sous-jacente soit auprès d’une partie liée (ou garantie par elle).
    • Les intérêts qui ne sont pas admis à titre de déduction peuvent être reportés sur des années d’imposition subséquentes indéfiniment, sous réserve de certaines restrictions lorsque l’entreprise assujettie à l’impôt change de propriétaire.
    • Pour ce qui est des sociétés de personnes et des autres entités intermédiaires, le nouveau paragraphe 163j) s’applique au niveau de la société de personnes. Tout report prospectif d’intérêts non admis est réparti entre les associés. Un associé peut uniquement déduire sa quote-part des intérêts reportés sur des années d’imposition subséquentes du revenu imposable qui lui est attribué par la société de personnes relativement à l’activité qui a donné lieu au report prospectif.
    • Aucun droit acquis pour les dettes acquises avant 2018;
  • « allègement du régime de taxation de la propriété intellectuelle » (patent box) : comme il est expliqué plus en détail ci-après (voir la discussion sur le « revenu étranger tiré d’un bien incorporel » ou le foreign derived intangible income, en anglais), le revenu que tire une société par actions américaine (i) de la vente ou de l’octroi de licences d’utilisation de la PI à des personnes qui ne résident pas aux États-Unis; ou (ii) de la prestation de services à des personnes qui ne sont pas des personnes résidant aux États-Unis, peut être admissible à un taux d’imposition des entreprises spécial réduit à l’égard d’une partie de ce revenu. À compter de 2018, les sociétés par actions américaines pourront bénéficier d’un taux d’imposition effectif de 13,125 % à l’égard de ce revenu (et à un taux d’imposition effectif de 21,875 % pour les années d’imposition commençant le 1er janvier 2026 ou par la suite);
  • diminution des taux pour les entités intermédiaires : à compter de 2018 (et jusqu’en 2025), les propriétaires non constitués en société d’entités intermédiaires et les entreprises à propriétaire unique exerçant certains types d’activités auront droit à une déduction de 20 % à l’égard du « revenu d’entreprise admissible » généré au pays (qualified business income). La capacité des contribuables de demander cette déduction est assujettie à certaines restrictions et à certains plafonds, et ne s’applique généralement pas aux entreprises de services professionnels. En tenant compte de cette déduction de 20 %, cela signifie que l’associé d’une société de personnes, qui est un particulier résidant aux États-Unis, assujetti à l’impôt sur le revenu américain au taux marginal le plus élevé, c’est-à-dire 37 %, bénéficiera d’un taux d’imposition effectif aux États-Unis de 29,6 % pour le revenu d’entreprise admissible qu’il tire de la société de personnes.

Commentaires d’Osler

  1. Incidence sur les états financiers : La diminution du taux d’imposition aura une incidence immédiate sur les états financiers des entreprises américaines. Plus précisément, les entreprises américaines seront obligées d’utiliser des fonds propres puisque la diminution du taux d’imposition des entreprises fera en sorte que leurs actifs d’impôts comptabilisés (comme les pertes d’exploitation nettes ou les crédits) apporteront de moins gros avantages fiscaux pour les contribuables. Voici un exemple très simplifié, si le taux d’imposition effectif d’une société par actions américaine passe de 35 % à 21 %, une perte d’exploitation nette de 1 $ devrait lui procurer une « valeur » de seulement 0,21 $ (plutôt que 0,35 $), compte non tenu de la valeur temps.
  2. Augmentation de la valeur après impôt des flux de trésorerie aux États-Unis : En revanche, à l’avenir, la valeur actualisée des flux de trésoreries futurs après impôts d’une entreprise américaine devrait faire monter ou baisser proportionnellement la valeur nette de l’entreprise américaine (sinon déjà prise en compte). Cela pourrait accroître la capacité des entreprises américaines d’obtenir des prêts ou du capital-risque auprès de tiers comparativement à leurs concurrents étrangers. À court terme, nous craignons la montée de différends entre les acheteurs et les vendeurs dans le cadre d’opérations transfrontalières qui pourraient ne pas s’entendre sur l’évaluation appropriée de ces avantages fiscaux.
  3. Repenser le système de planification? Depuis de nombreuses années, la valeur d’une déduction de 1 $ aux États-Unis était, toutes choses étant égales par ailleurs, supérieure à la valeur d’une déduction de 1 $ au Canada. Cette réalité toute simple explique que des milliards de dollars d’arrangements et de paiements circulent des deux côtés de la frontière Canada/États-Unis. Bien que les impôts étatiques, provinciaux et locaux doivent tous être pris en compte, les nouvelles règles fiscales américaines décrites précédemment rompent avec cette réalité d’une manière dont nous ignorons encore toute la portée. Les entreprises canadiennes exerçant des activités au-delà de la frontière devraient donc systématiquement repenser leurs arrangements transfrontaliers, à partir de zéro, et évaluer de façon réaliste leur valeur de pérennité. Dans certains cas, aucune mesure ne devra être prise, tandis que dans d’autres cas, un plan d’action devrait être envisagé.
  4. Se constituer en société aux États-Unis? Arrivés à certains stades du cycle de vie de leur entreprise au Canada, les propriétaires peuvent être contraints de se demander s’il vaut mieux se constituer en société aux États-Unis ou au Canada.  Dès les premiers stades du cycle, prendre une telle décision pourrait s’avérer judicieux pour attirer du capital-risque en provenance des États-Unis en vue de financer la continuité de leurs activités. À des stades ultérieurs, une telle décision pourrait devoir être prise dans le cadre d’une opération transfrontalière de fusion et acquisition ou de premier appel public à l’épargne. Bien qu’il soit dangereux de trop généraliser, dans la majorité de ces cas, il existe d’excellentes raisons « fiscales » qui justifieront que le propriétaire préférera se constituer en société au Canada (si possible). Les nouvelles règles fiscales américaines décrites précédemment viennent compliquer cette prise de décision et, dans de nombreux cas, les propriétaires d’entreprises pourraient bien choisir de se constituer en société aux États-Unis à l’avenir. Les conséquences d’un tel revirement sur la planification fiscale transfrontalière Canada/États-Unis sont très sérieuses et cela démontre à quel point la réforme fiscale amorcée aux États-Unis nécessite de revoir les systèmes « établis » de planification fiscale et les normes relatives aux structures d’entreprise.
  5. Tendance constatée en planification fiscale transfrontalière – « Rapprochement » : La combinaison de la comptabilisation immédiate des charges et de la déduction limitée des pertes d’exploitation nettes devraient complexifier la tâche des contribuables américains qui chercheront à établir des « rapprochements » entre leurs dépenses et leurs revenus pour l’exercice en cours. Tout particulièrement, lorsque les dépenses pour l’exercice en cours dépassent les revenus pour la même période, les dépenses « en trop » sont traitées comme des pertes d’exploitation nettes. De manière très générale, une dépense de 1 $ réclamée à titre de déduction pour l’exercice en cours (rattachée au revenu pour la même période) vaut davantage pour un contribuable qu’une perte d’exploitation nette de 1 $, puisque le report de pertes d’exploitation nettes sur des années subséquentes ne peut plus contrebalancer plus de 80 % du revenu de ce contribuable au cours de l’année du report. Par conséquent, à long terme, les contribuables américains qui sont des entreprises (y compris les succursales américaines d’entreprises canadiennes) qui parviendront à élaborer des stratégies leur permettant d’établir de meilleurs rapprochements entre leurs dépenses et leurs revenus apprécieront sans doute davantage la diminution des taux d’imposition réels aux États-Unis que ceux qui n’y parviendront pas. Bon nombre de ces stratégies viseront d’abord à fournir aux contribuables la flexibilité nécessaire pour accélérer ou décélérer la prise en compte des éléments de charges ou autrement contrôler la série de déductions. Les entreprises canadiennes ou non américaines pourraient bien arriver plus facilement que les entreprises « purement » américaines à établir de tels rapprochements.
  6. Erreurs de rapprochement liées aux dépenses et bénéfices : Nous nous attendons à ce que la comptabilisation immédiate des dépenses entraîne de plus fréquentes et de plus importantes erreurs de rapprochement entre le revenu imposable et les dépenses et bénéfices pour les entreprises américaines. Notamment, les dépenses d’entreprise admissibles peuvent être déduites immédiatement afin d’établir le revenu imposable, mais, pour établir les dépenses et bénéfices, ces coûts sont généralement amortis selon la méthode linéaire sur la durée de vie de la catégorie d’actif. Par conséquent, toute chose étant égale par ailleurs, une société par actions pourrait avoir des dépenses et bénéfices importants pour l’exercice en cours (mais avoir un revenu imposable très peu élevé) pour l’année au cours de laquelle l’actif a été acquis. Faute d’une bonne gestion, cela risque d’empêcher les filiales américaines de redistribuer de manière avantageuse sur le plan fiscal leurs trésoreries excédentaires à leur société mère canadienne. Par conséquent, les entreprises canadiennes ayant des filiales aux États-Unis devront élaborer une stratégie permettant de prévenir ces erreurs de rapprochement, de manière à pouvoir organiser un rapatriement avantageux sur le plan de l’impôt des bénéfices qu’elles réalisent aux États-Unis. Nous croyons que toutes ces complications réitèrent la pertinence de l’utilisation d’une dette transfrontalière comme moyen avantageux sur le plan fiscal de rapatrier au Canada les bénéfices réalisés aux États-Unis (même si la déduction des intérêts que permet cette dette crée moins de valeur pour le contribuable en vertu du nouveau paragraphe 163j) et en raison de la diminution des taux d’imposition des entreprises aux États-Unis).
  7. Fonds d’investissement – les entités faisant obstruction endettées (leveraged blockers) sentent la pression : L’application du nouveau paragraphe 163j) au niveau de la société de personnes pourrait avoir une incidence défavorable majeure sur les fonds de capital-investissement, les fonds immobiliers aux États-Unis, les fonds de capital-risque et les autres fonds d’investissement qui établissent des « entités faisant obstruction endettées » pour les investisseurs canadiens. Plus précisément, parce que le calcul est effectué au niveau de la société de personnes conformément au paragraphe 163j), ces mécanismes d’obstruction donneront généralement droit à des déductions d’intérêts distinctes au niveau de l’entité faisant obstruction uniquement si le fonds d’investissement dispose d’une « capacité inutilisée » au titre du paragraphe 163j) qui est attribué aux entités faisant obstruction. Ce fonctionnement, combiné à la diminution de 50 % à 30 % de la limite prévue au paragraphe 163j) relativement au revenu imposable modifié, signifie que de nombreuses entités faisant obstruction auront de la difficulté à se prévaloir de ces déductions d’intérêts au cours de la période de détention du placement. On ignore encore si les entités faisant obstruction pourront reporter sur des années subséquentes les charges d’intérêts n’ouvrant pas droit à déduction pour contrebalancer les gains en capital éventuellement réalisés au niveau de l’entité faisant obstruction au moment de la vente du placement.
  8. Entreprises de services publics : Les services publics a) ne sont pas assujettis au nouveau paragraphe 163j) qui concerne la déduction des intérêts; et b) n’ont pas la possibilité de comptabiliser immédiatement les charges.
  9. Incidences sur les opérations de fusions et acquisitions : Les modifications décrites précédemment devraient, selon plusieurs, donner lieu à des cessions d’actifs (ou à des opérations boursières traitées comme des cessions d’actifs pour les besoins de l’impôt américain en vertu du choix prévu à l’alinéa 338h)(10)) plus intéressantes que par le passé. En général, une telle situation se produit lorsque les acheteurs sont en mesure de prendre immédiatement en charge le prix d’achat des actifs commerciaux admissibles, plutôt que d’attendre de profiter des avantages liés aux déductions pour amortissement sur plusieurs exercices. Nous nous attendons par ailleurs à ce que les contribuables cherchent des solutions de rechange à l’obtention d’un financement par emprunt dans le but de réaliser une acquisition, ce qui pourrait très bien entraîner une multiplication d’acquisitions réalisées par la création de sociétés de personnes ou de prétendues structures « UP-C » américaines financées au moyen d’une participation ayant priorité dans une société de personnes, plutôt que par un financement par emprunt.

Principales modifications du régime d’imposition de l’investissement étranger aux États-Unis

Nous considérons que les modifications du régime d’imposition de l’investissement étranger aux États-Unis décrites ci-après sont particulièrement d’intérêt pour les entreprises canadiennes ayant des filiales ou des succursales aux États-Unis ainsi que pour les investisseurs canadiens possédant des actifs situés aux États-Unis.

Dispositions visant à neutraliser les effets des montages hybrides entre parties liées : contrer la double déduction

Le nouveau paragraphe 267A élimine la possibilité de déduire les intérêts ou les redevances versés ou cumulés, s’ils (1) donnent lieu à un « montant d’opération entre parties liées exclu » (disqualified related-party amount); et s’ils (2) sont versés dans le cadre d’une opération hybride ou encore par ou pour une entité hybride.

En général, un « montant d’opération entre parties liées exclu » désigne tout montant d’intérêts ou de redevances versés à une partie liée ou cumulés par elle si a) ce montant n’est pas inclus par la partie liée pour les besoins de l’impôt dans son pays de résidence ou dans le pays où elle est assujettie à l’impôt; ou si b) la partie liée a le droit de déduire ce montant (à titre d’intérêts ou de redevances) en vertu du régime d’imposition de son pays.

Une « opération hybride » désigne une opération, une série d’opérations, une entente ou un instrument dans le cadre desquels le ou les paiements sont traités comme des intérêts ou des redevances aux fins de l’impôt américain, mais ne sont pas traités comme des intérêts ou des redevances aux fins de l’impôt entre les mains du destinataire. Une « entité hybride » désigne une entité considérée comme une entité transparente sur le plan fiscal aux fins de l’impôt américain, mais qui n’est pas considérée comme une entité transparente sur le plan fiscal dans le pays du destinataire, ou vice versa. Deux parties sont généralement considérées comme liées aux fins de l’impôt américain si l’une ou l’autre des parties « contrôle » l’autre (ce qui signifie, à cette fin, que l’une des parties possède directement ou indirectement plus de 50 % des titres comportant droits de vote de l’autre partie ou de la valeur de ses titres), ou si les deux parties sont contrôlées par une tierce personne. Le paragraphe 267A ne s’applique pas aux intérêts ou aux redevances traités comme un « revenu visé par la sous-partie F » (Subpart F income) entre les mains d’un actionnaire américain.

Ce paragraphe devrait interdire la déduction d’intérêts versés aux termes de certaines structures de financement transfrontalier répandues, notamment la déduction des intérêts versés par un payeur américain à une partie liée située au Canada dans le cadre d’un rachat (notamment une mise en pension de titres). Il est important de mentionner que cette disposition législative confère au Département du Trésor des États-Unis le très vaste pouvoir d’accroître la portée de ce paragraphe, notamment pour (i) interdire la déduction d’intérêts qui sont exonérés entre les mains du bénéficiaire en raison d’un système d’exemption de participation; (ii) interdire la déduction des intérêts découlant du financement par conduit mettant en cause une opération ou une entité hybride; (iii) ajouter les succursales étrangères aux entités visées par la disposition; et (iv) ajouter certaines opérations structurées aux opérations visées par la disposition.

Le nouveau paragraphe 267A s’applique aux années d’imposition commençant après le 31 décembre 2017 et ne prévoit pas une formule de droits acquis pour les arrangements existants.

Commentaires d’Osler

1. Bien qu’il soit évident que le Congrès américain ait l’intention d’élargir le pouvoir du Département du Trésor des États-Unis en ce qui a trait à la lutte contre l’utilisation d’instruments et d’entités hybrides dans le cadre de mécanismes de financement, la portée actuelle des composantes fonctionnelles du paragraphe 267A, dans l’intervalle, n’est pas claire. Pour en établir la portée, les contribuables devront donc interpréter les termes clés de la disposition, notamment a) ce qu’on entend par « séries d’opérations » (series of transactions) (aux fins de la définition d’une « opération hybride »); et b) ce qu’on entend par le fait qu’une partie liée détenant une dette aux États-Unis a le droit de déduire le paiement des intérêts rattachés à cette dette (allowed a deduction with respect to the payment).

2. Si le paragraphe 267A s’applique, il interdit la déduction des intérêts ou des redevances visés, sans toutefois définir les types de montants qu’il est interdit de déduire aux fins de l’impôt américain. Par conséquent, comme il a été mentionné précédemment, il pourrait malgré tout encore être pertinent d’envisager de recourir à une dette transfrontalière ou à un arrangement interentreprises pour rapatrier d’une manière avantageuse sur le plan fiscal les bénéfices réalisés aux États-Unis.

L’impôt visant à lutter contre la fraude fiscale et à préserver la base d’imposition s’applique aux grandes entreprises

Le nouveau paragraphe 59A fonctionne effectivement pour soumettre les contribuables qui sont des entreprises et qui sont visés par ce paragraphe à un impôt minimum de remplacement, et est conçu pour prévenir le dépouillement de surplus transfrontalier par les contribuables américains. L’impôt anti-abus contre l’érosion de l’assiette fiscale (Base Erosion and Anti-Abuse Tax) (l’« impôt anti-abus » ou le « BEAT », en anglais) astreint le contribuable visé à un taux d’imposition minimum (5 % pour l’année d’imposition 2018; 10 % pour les années d’imposition de 2019 à 2025; et 12,5 % par la suite) sur son « revenu imposable modifié » (modified taxable income). L’impôt anti-abus soumis au contribuable constitué en société au cours d’une année d’imposition donnée peut être calculé ainsi :

BEAT = 10 % du « revenu imposable modifié » – « taux d’imposition normal » (regular tax liability) (moins les crédits d’impôt applicables)

Le « revenu imposable modifié » (modified taxable income) désigne généralement le revenu imposable d’un contribuable calculé sans la déduction pour les « paiements contre l’érosion de l’assiette fiscale » (base erosion payments). Pour les besoins de cette disposition, les « paiements contre l’érosion de l’assiette fiscale » (base erosion payments) comprennent généralement les paiements déductibles d’intérêts versés à des parties liées étrangères à 25 % ou cumulés par elles, les déductions pouvant être demandées à l’égard d’actifs amortissables acquis auprès de parties liées, et les déductions rattachées à certaines primes d’assurance payées par ces parties liées. Le revenu imposable modifié ne comprend pas le « pourcentage d’érosion de la base d’imposition » (base erosion percentage) (défini ci-après) applicable aux pertes d’exploitation nettes reportées sur des années subséquentes. Les « paiements contre l’érosion de l’assiette fiscale » (base erosion payments) ne comprennent pas non plus (x) les paiements provenant de sources américaines assujettis à une retenue sur la base de leur montant brut et sur lesquels le montant total d’impôt à payer (c’est-à-dire 30 %) a été retenu en vertu des articles 1441 et 442 du Code (sous réserve d’une règle de calcul au prorata, si le taux de retenue à la source est plus bas conformément à une convention fiscale); (y) les paiements de services facturés selon le prix de revient, sans majoration, et pouvant être soumis à méthode de calcul du prix de revient aux termes des règles américaines relatives au prix de transfert; ou (z) les paiements rattachés à certains instruments dérivés évalués à la valeur du marché. 

Cet impôt s’applique aux contribuables constitués en société qui ont (x) des recettes brutes annuelles moyennes d’au moins 500 millions de dollars pour les trois années d’imposition antérieures; et (y) un « pourcentage d’érosion de la base d’imposition » d’au moins 4 %. Les sociétés par actions faisant partie du groupe des sociétés contrôlées à 80 % se regroupent généralement pour ces raisons. Pour calculer le montant des recettes brutes pris en compte relativement aux sociétés étrangères, seules les recettes brutes directement rattachées à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis sont prises en considération. De manière générale, le « pourcentage de l’érosion de la base d’imposition » (base erosion percentage) d’un contribuable pour une année d’imposition donnée est le pourcentage obtenu en divisant le montant total des avantages fiscaux liés à l’érosion de la base d’imposition obtenus par le contribuable par rapport aux déductions totales (incluant celles relatives aux avantages fiscaux de l’érosion de la base d’imposition, mais excluant les pertes d’exploitation nettes reportées sur des années d’imposition subséquentes, les déductions au titre de l’exemption de participation et certaines autres déductions) du contribuable.

Concernant les sociétés par actions américaines et les membres de leur groupe qui ont procédé à une « inversion » après le 9 novembre 2017, dans le cadre de laquelle le critère de participation de 80 % se rapportant à la « société mère étrangère de substitution » (surrogate foreign parent) n’a toutefois pas été dépassé aux fins du traitement fiscal de la société américaine (c’est-à-dire, les soi-disant inversions à 60 %), les paiements contre l’érosion de l’assiette fiscale comprennent les paiements donnant lieu à une réduction des recettes brutes (comme dans le cas de l’acquisition d’un bien dont le prix est pris en compte dans le coût des biens vendus par une société par actions américaine) si le paiement des intérêts versés ou cumulés est effectué à une partie étrangère liée à 25 %.

Les plafonds et les taux applicables aux banques et aux courtiers en valeurs mobilières inscrits, et aux membres de leur groupe, diffèrent. Pour ces contribuables, le « pourcentage de l’érosion de la base d’imposition » (base erosion percentage) qui déclenche l’application de l’impôt anti-abus est fixé à 2 %, et non à 3 %, et le montant d’impôt minimal à payer au titre de l’érosion de la base d’imposition est calculé au taux normalement appliqué aux autres contribuables, majoré de 1 %.

L’impôt anti-abus s’applique aux « paiements contre l’érosion de l’assiette fiscale » (base erosion payments) d’intérêts versés ou cumulés pour les années d’imposition commençant après le 31 décembre 2017.

Commentaires d’Osler :

  1. L’impôt anti-abus, ou le BEAT, en anglais, constitue un instrument d’arrière-garde novateur (mais peu mis à exécution) visant à empêcher toute érosion excessive de la base d’imposition aux États-Unis. En fait, cette disposition permet essentiellement d’empêcher que les paiements faits à des parties liées étrangères dans le but de minorer l’assiette fiscale ne réduisent de plus de 50 % le revenu imposable du contribuable américain (calculé sans égard aux paiements érodant la base d’imposition).
  2. Le fonctionnement de l’impôt anti-abus est particulièrement grave pour les banques non américaines. Premièrement, parce que les paiements érodant l’assiette fiscale sont calculés sur la base de leur montant « brut » (et non pas net), les paiements d’intérêts faits à des parties liées étrangères par des contribuables américains sont « considérés » (counted) comme faits dans le but de minorer l’assiette fiscale; or, les énormes montants d’intérêts payés par des contribuables étrangers à des parties liées américaines ne sont pas utilisés en réduction des paiements d’intérêts sortants. Pour les banques, le transfert d’importantes sommes d’argent (et d’autres catégories d’actif) au-delà de la frontière au moyen de prêts interentreprises ou d’autres arrangements est essentiel à l’exécution de leur modèle d’affaires et au respect de certaines exigences réglementaires auxquelles elles sont assujetties. Le fonctionnement de l’impôt anti-abus ne tient pas convenablement compte de la réalité du secteur bancaire. Deuxièmement, les banques canadiennes exercent fréquemment des activités aux États-Unis par l’intermédiaire de leurs filiales et de leurs succursales américaines. Aux termes de l’impôt anti-abus, il semble que les paiements déductibles faits par une filiale américaine à une succursale américaine seront traités comme directement remis au propriétaire de la succursale (la banque canadienne). Si c’est le cas, ces paiements pourraient être considérés comme des paiements faits dans le but d’éroder l’assiette fiscale et pourraient être assujettis à l’impôt anti-abus, et ce, malgré le fait qu’il n’en découlera en réalité aucune « érosion », puisque la succursale américaine sera tenue d’inclure ces paiements dans son revenu imposable aux États-Unis. Comme le soulignent de nombreux critiques, il en résultera une double imposition pour un même poste de revenu aux États-Unis. L’Institute of International Bankers (IIB) exprime ses préoccupations dans une lettre d’observations envoyée à Kevin Brady, président de la Tax Conference, le 7 décembre 2017. Les questions soulevées par l’IIB n’ont pas véritablement été abordées dans le texte définitif de la loi, mais pourraient éventuellement faire l’objet de directives réglementaires publiées par le Département du Trésor des États-Unis.

Paragraphe 163j)

Comme il a déjà été mentionné à la rubrique intitulée Incidence de la modification des règles fiscales américaines sur les marchés transfrontaliers, le paragraphe 163j) a été modifié pour limiter de manière plus stricte la déduction des charges d’intérêts nettes par les contribuables américains. Cette disposition, combinée à l’impôt anti-abus, pourrait sérieusement restreindre l’efficacité des structures de financement transfrontalier et des systèmes de planification fiscale transfrontalière.

Commentaires d’Osler

Pression accrue sur les mécanismes de prêt transfrontaliers? L’incidence combinée du nouveau paragraphe 163j) et de l’impôt anti-abus pourrait être déconcertant et éventuellement nuire à la croissance des marchés de prêts transfrontaliers. Plus précisément, la stricte limite imposée à la déduction des intérêts en vertu du paragraphe 163j) entraînera une hausse du coût en capital pour les emprunteurs américains, ce qui pourrait freiner les emprunts. À cela s’ajoute le fait que l’impôt anti-abus pourrait accroître considérablement le prix qu’il en coûte aux banques canadiennes pour consentir des prêts à des emprunteurs américains, ce qui pourrait décourager le financement transfrontalier soit en resserrant les marges des banques, soit en haussant le coût du capital pour les emprunteurs. On ignore encore si la réduction du taux d’imposition des sociétés par actions américaines et des entités intermédiaires suffira à contrebalancer les répercussions économiques de ces pressions.

Autres modifications apportées au régime d’imposition international des États-Unis

Principales modifications apportées aux règles relatives aux investissements des entreprises américaines à l’étranger

Certaines des modifications les plus importantes apportées au régime d’imposition international des États-Unis dans le cadre de la réforme fiscale touchent les règles régissant les investissements effectués par des entreprises américaines à l’étranger. Ces modifications sont particulièrement importantes pour les entreprises canadiennes dont certains investisseurs résident aux États-Unis et pour les entreprises canadiennes qui ont des filiales américaines possédant elles-mêmes des activités, des actifs ou des filiales à l’étranger. Ces modifications pourraient par ailleurs avoir des conséquences inattendues pour les entreprises canadiennes qui ont des filiales aux États-Unis, comme il est décrit ci-après.

Modification de la définition de SEC : le nombre de SEC pourrait augmenter

Les règles en matière de propriété implicite sous le régime applicable aux sociétés étrangères contrôlées (SEC) ont été modifiées, avec prise d’effet pour la dernière année d’imposition ouverte avant 2018, afin de supprimer la règle qui, avant cela, empêchait l’attribution à une personne des États-Unis soumise à un taux d’imposition moins élevé des actions détenues en propriété par une personne étrangère. L’application des règles d’attribution descendante (downward attribution rules) pourrait avoir des conséquences inattendues. Cela pourrait, par exemple, faire en sorte que les filiales non américaines d’une multinationale non américaine seraient traitées comme des sociétés étrangères contrôlées en raison de l’existence de filiales américaines dans le groupe, et ce, même si les filiales non américaines ne sont pas contrôlées par les membres du même groupe américains et même si les membres du même groupe américains ne détiennent pas de participation directe dans les filiales non américaines. Si les filiales américaines détiennent une participation directe dans les filiales non américaines (que ce soit une participation minoritaire ou négligeable), alors ces filiales américaines pourraient être assujetties à des inclusions au titre du revenu fictif sous le régime d’imposition applicable au revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels (global intangible low-taxed income), à l’impôt de rapatriement unique (one-time repatriation tax) dont il a été question précédemment, de même qu’au régime d’imposition de la sous-partie F existant. Ces modifications pourraient de plus soulever de l’inquiétude concernant la structure des SEC multiples et alourdir les obligations de divulgation de l’information pour les filiales américaines faisant partie d’une multinationale.

Par ailleurs, la définition du terme « actionnaire des États-Unis » (United States shareholder) a été modifiée pour inclure les actionnaires des États-Unis qui détiennent 10 % des titres comportant droits de vote d’une société par actions étrangère ou 10 % de la valeur de l’ensemble des titres de celle-ci (contrairement à l’ancienne définition, qui incluait seulement 10 % des titres comportant droit de vote). Cette modification, combinée à la nouvelle règle d’attribution décrite précédemment, pourrait avoir une incidence importante sur les personnes des États-Unis qui investissent dans des entreprises canadiennes et dans des multinationales.

Adoption d’un régime d’imposition « semi »– territorial

Dans le cadre de la tentative de création d’un régime territorial dont il a tant été question, le nouveau paragraphe 245A du Code stipule qu’une société par actions nationale qui détient au moins 10 % des titres comportant droits de vote d’une société étrangère admissible, ou 10 % de la valeur de l’ensemble des titres de celle-ci, et qui a droit à un dividende de 100 %, peut déduire les dividendes admissibles que lui verse cette société étrangère. Ce soi-disant système d’exemption de participation comporte des restrictions. Il ne s’applique qu’à la portion des dividendes provenant de sources étrangères et qu’aux actionnaires constitués en société aux États-Unis et il exige une période de détention d’au moins 365 jours sur une période de 731 jours chevauchant la date ex-dividende. Les dividendes hybrides, pour lesquels la société étrangère bénéficie d’une déduction dans un territoire étranger, ne sont pas déductibles. Pour calculer la perte (mais pas le gain) éventuellement subie au moment de la vente subséquente des actions de la filiale étrangère, la participation de la société mère américaine dans cette action est réduite par le montant de tout dividende admissible à l’exemption de participation. Finalement, contrairement à de nombreux systèmes d’exemption de participation européens, le paragraphe 245A ne prévoit généralement pas d’exemption relativement aux produits tirés de la vente directe ou indirecte d’une filiale étrangère (sauf si ce gain est redéfini comme un dividende en vertu de l’article 1248 du Code).

Impôt unique de rapatriement

Durant la transition vers le régime d’imposition « semi »– territorial décrit précédemment, qui permet le rapatriement à l’abri de l’impôt des gains étrangers postérieurs distribués (distributed future foreign profits), un impôt unique de rapatriement s’appliquera aux gains réalisés à l’étranger et reportés antérieurement (deferred offshore earnings) par les contribuables américains.

En vertu du nouvel article 965, les actionnaires des États-Unis, y compris les actionnaires non constitués en société, détenant 10 % des titres de « sociétés étrangères déterminées » (specified foreign corporations) sont tenues d’inclure dans leur revenu pour une année d’imposition qui comprend la dernière année d’imposition de cette société par actions étrangère ouverte avant 2018 (c’est-à-dire, pour les actionnaires des États-Unis et les sociétés étrangères dont l’exercice correspond à l’année civile, l’inclusion tombe en 2017) les gains différés cumulés de ces sociétés étrangères en date du 2 novembre 2017 ou du 31 décembre 2017, selon le plus élevé des deux montants. Les « sociétés étrangères déterminées » (specified foreign corporations) désignent des SEC et des sociétés par actions étrangères dont au moins un actionnaire constitué en société détient 10 % de leurs titres.

En ce qui concerne les actionnaires constitués en société détenant 10 % des titres d’une SEC ou d’une société par actions étrangère, cet impôt unique de rapatriement réputé s’appliquera à un taux de 15,5 % à la partie des gains qui constitue de la trésorerie, tandis que le reliquat sera imposé à un taux réduit de 8 % Diverses règles de cumul s’appliquent aux actionnaires des États-Unis affiliés et aux actionnaires qui sont des actionnaires des États-Unis en ce qui a trait aux sociétés étrangères multiples, notamment des règles permettant que les déficits contrebalancent les bénéfices cumulés. L’impôt dû aux termes de cette disposition peut être payé sous forme de huit versements annuels, les versements étant de plus en plus élevés jusqu’à la huitième année. Certains événements, notamment la vente de tous les actifs du contribuable, peuvent entraîner une accélération des versements.

Revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels -- Un nouveau type de « revenu fictif »

Les propositions relatives au « revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels » (global intangible low-taxed income ou GILTI) figurent parmi les dispositions les plus intéressantes et les plus déstabilisantes de la nouvelle législation adoptée aux États-Unis. En fait, le nouveau paragraphe 951A du Code cantonne essentiellement le revenu gagné par une « société étrangère contrôlée » (une SEC, au sens donné à ce terme dans l’article 957 du Code) qui dépasse un rendement « ordinaire » de 10 % sur les biens corporels et suppose que ce revenu « extraordinaire » est attribuable aux biens incorporels (que ce soit ou non réellement le cas). Ce revenu excédentaire, appelé « revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels » (global intangible low-taxed income ou GILTI) est traité, essentiellement, comme s’il constituait une nouvelle catégorie de revenu visé par la sous-partie F et est réputé être immédiatement distribué aux actionnaires des États-Unis détenant une participation de 10 %.  Bien que le fonctionnement de ces dispositions soit complexe, l’inclusion du revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels annuel d’un actionnaire des États-Unis détenant une participation de 10 % pourrait être calculée selon la formule suivante :

GILTI = « revenu fondé sur les bénéfices nets » (net-tested income) – « revenu fondé sur les bénéfices nets réputés tirés d’un bien corporel » (net-deemed tangible income return)

Selon laquelle :

  • Le « revenu fondé sur les bénéfices nets » (net-tested income) correspond à la quote-part de l’actionnaire des États-Unis détenant une participation de 10 % du revenu net total des SEC concernées, excluant (i) le revenu visé par la sous-partie F; (ii) le revenu qui est directement rattaché à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis; (iii) le revenu qui aurait été considéré comme un revenu visé à la sous-partie F, mais qui, aux termes de la soi-disant « exclusion du revenu soumis à un taux d’imposition élevé » (high tax kick-out) qui exonère le revenu visé par la sous-partie F, a été assujetti à des taux d’imposition effectifs étrangers élevés (au moins 90 % du taux d’imposition aux États-Unis); (iv) les dividendes reçus de parties liées; et (v) certains revenus étrangers tirés d’activités pétrolières et gazières.
  • Le « revenu fondé sur les bénéfices nets réputés tirés d’un bien corporel » (net-deemed tangible income return) pour l’actionnaire des États-Unis détenant une participation de 10 % correspond effectivement à 10 % de la valeur fiscale de certains biens commerciaux corporels détenus par chacune des SEC concernées, déduction faite des intérêts nets pris en compte dans le calcul du « revenu fondé sur les bénéfices nets » (net-tested income). Aux fins de ce calcul, la valeur fiscale des biens concernés des SEC est réputée correspondre à leur coût amorti selon la méthode linéaire sur la durée de vie associée à la catégorie d’actif.

Une société par actions américaine qui a un GILTI a droit de demander une déduction (en vertu de l’article 250 du Code) qui réduit le taux d’imposition effectif aux États-Unis appliqué au GILTI. De 2018 à 2025, il sera possible de déduire 50 % du GILTI, ce qui équivaut à un taux d’imposition effectif aux États-Unis de 10,5 %. À compter de 2026, la déduction au titre du GILTI chutera à 37,5 % (pour un taux d’imposition effectif aux États-Unis de 13,125 %). Il est important de noter que seules les sociétés par actions bénéficient de la déduction au titre du GILTI.

Les sociétés par actions américaines qui ont un GILTI peuvent également demander des crédits pour impôt étranger à l’égard de ce GILTI, malgré un taux de décote de 20 %.  En pratique, cela signifie que dans de nombreux cas, tant que le GILTI sous-jacent sera assujetti à un impôt étranger d’au moins 13,125 %, aucun impôt supplémentaire ne devra être payé aux États-Unis à l’égard de ce GILTI. Ainsi, le GILTI gagné par une société par actions canadienne qui est une SEC ne devrait généralement pas donner lieu à un impôt à payer sur le GILTI pour leur propriétaire américain. Cependant, parce que les règles de cumul utilisées dans le calcul du GILTI peuvent combiner les revenus soumis à des taux d’imposition élevés ou les revenus soumis à des taux d’imposition faibles, rien ne garantit que ce sera réellement le cas.

Revenu étranger tiré d’un bien incorporel (un régime de taxation de la propriété intellectuelle allégé)

Le revenu étranger tiré d’un bien incorporel (foreign derived intangible income ou FDII) est lié au GILTI, sur le plan conceptuel, mais il est plutôt assimilé au revenu de source étrangère tiré d’un bien incorporel (foreign source intangible income) gagné par les sociétés par actions constituées aux États-Unis. Plus précisément, le FDII annuel d’une société par actions américaine peut être établi à l’aide de la formule de base suivante :

FDII = DEI x [DEI étranger/DEI]

Selon laquelle :

  • Le DEI correspond essentiellement :
    1. au revenu brut d’une société par actions américaine (compte non tenu de certains types de revenus, notamment le revenu visé par la sous-partie F et le GILTI), moins les déductions (y compris les déductions d’impôts) auxquelles donne droit ce revenu brut, moins
    2. un montant correspondant à 10 % de la valeur fiscale aux États-Unis du bien commercial corporel de la société.
  • Le DEI étranger correspond au DEI qui est tiré (i) d’un bien vendu ou pour lequel une licence est octroyée à des personnes ne résidant pas aux États-Unis qui ont l’intention de l’utiliser à l’étranger (foreign use); ou encore tiré (ii) de services fournis à des personnes ne résidant pas aux États-Unis ou fournis relativement à des biens qui ne sont pas situés aux États-Unis.

De 2018 à 2025, les sociétés par actions américaines applicables bénéficieront d’une déduction correspondant à 37,5 % du FDII, ce qui équivaut à un taux d’imposition effectif aux États-Unis de 13,125 %. Après 2025, la déduction chutera à 21,875 %, pour un taux d’imposition effectif aux États-Unis de 16,406 %.

Commentaires d’Osler

1. Les modifications apportées aux règles d’attribution applicables aux SEC et à la définition du terme « actionnaire des États-Unis » font augmenter la probabilité qu’une entreprise canadienne (ou ses filiales non américaines) soit traitée comme une SEC (et, dans certaines circonstances, comme une « société de placement étrangère passive » ou SPEP). Ainsi, les entreprises canadiennes qui ont des propriétaires ou des investisseurs américains importants devraient revoir les critères établis pour déterminer si une entreprise est une SEC ou une SPEP et réfléchir aux éventuelles conséquences de ces nouvelles règles d’attribution sur les ententes qu’ils ont conclues antérieurement avec leurs investisseurs ou leurs actionnaires américains. Les entreprises canadiennes qui souhaitent attirer des investissements américains devraient également réfléchir à la manière dont les nouvelles règles s’appliquent aux dispositions relatives à l’impôt et à la répartition des impôts contenues dans les ententes qu’ils négocient avec leurs éventuels investisseurs américains. Ces modifications sont particulièrement importantes pour les entreprises canadiennes exerçant des activités dans les secteurs suivants :

  • marchés émergents;
  • fonds d'investissement.

2. Les multinationales canadiennes ayant des filiales américaines et non américaines devraient songer aux conséquences éventuelles des modifications apportées aux règles d’attribution applicables aux SEC sur leur structure, notamment en ce qui a trait à l’augmentation de leurs obligations d’information concernant leurs filiales américaines. Si une filiale américaine d’une multinationale détient une participation dans des membres du même groupe qui ne sont pas situés aux États-Unis, il faudra vérifier si cette filiale américaine n’est pas tenue d’inclure un revenu fictif dans le calcul de son revenu (et si elle est assujettie à un impôt de rapatriement pour l’année d’imposition 2017) et réévaluer la pertinence de cette structure.

3. Exemption de participation : L’ampleur des gains étrangers réellement admissibles à une déduction pour exemption de participation est plus petite qu’elle ne paraît à première vue. Cela s’explique par le fait que le revenu visé par la sous-partie F, les inclusions prévues à l’article 956 et le GILTI gagné par une filiale étrangère ne sont pas admissibles à la déduction pour exemption de participation. En fait, a) le revenu visé par la sous-partie F gagné par une filiale étrangère qui est une SEC est soumis à un impôt entre les mains de l’actionnaire des États-Unis à un taux d’imposition normal, peu importe que des gains aient réellement ou non été attribués à cet actionnaire des États-Unis au cours de l’année d’imposition durant laquelle ils ont été réalisés; et b) le soi-disant GILTI (voir la discussion ci-après) est soumis à l’impôt américain aux termes des règles applicables au revenu visé par la sous-partie F, mais bénéficie d’un taux d’imposition effectif réduit.

Compte tenu de ce qui précède (et du sens large de GILTI), il semble que l’avantage que procure l’exemption de participation ne soit principalement limité qu’au revenu annuel gagné par l’entreprise étrangère qui correspond à 10 % de la valeur fiscale des biens commerciaux corporels de cette entreprise.

4. Régime d’imposition « semi »– territorial : Dans l’ensemble, dit simplement, les nouvelles règles relatives aux intérêts sortants des États-Unis laissent entendre que les États-Unis souhaitent adopter un régime de pleine inclusion des bénéfices courants à l’égard du revenu produit ailleurs dans le monde par des filiales étrangères (en offrant de faibles crédits pour impôt étranger, malgré un taux d’imposition réduit généralement pour le GILTI), sous réserve d’une exception limitée pour le revenu annuel correspondant à 10 % de la valeur fiscale aux États-Unis des biens commerciaux corporels de cette filiale étrangère. Ce n’est toutefois pas l’objectif qui a été « mis en marché ».

5. Les entreprises canadiennes dotées d’une structure transfrontalière, comme une structure dite d’actions échangeables, devraient réfléchir aux conséquences éventuelles de ces règles sur le coût aux fins de l’impôt anticipé de leur structure.

6. Maintien en vigueur de l’article 956 : Tout au long du processus législatif des projets de la Chambre et du Sénat, l’article 956, la règle exigeant l’inclusion des bénéfices courants associés aux gains des SEC investis dans des biens situés aux États-Unis par des actionnaires des États-Unis, n’a pas été modifié. Par conséquent, les limites visant les garanties des SEC et la mise en gage d’actions de SEC dans le cadre d’opérations de financement par emprunt conçues pour éviter de devoir inclure les dividendes réputés devraient également continuer de s’appliquer.

Traitement fiscal des gains réalisés par une personne étrangère au moment de la vente d’une participation dans une société de personnes

L’Internal Revenue Service (IRS) est depuis longtemps d’avis que les gains tirés de la vente par une personne étrangère d’une participation dans une société de personne doivent être traités comme directement rattachés à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis si ces gains sont attribuables à des biens de la société de personnes utilisés pour l’exploitation de ce commerce ou de cette entreprise. La Cour de l’impôt des États-Unis a exprimé son désaccord avec cette position en 2017 dans l’affaire Grecian Magnesite Mining Indus. & Shipping Co. v. Commissioner, 149 T.C. No. 3 (2017). Le 15 décembre 2017, l’IRS a déposé un avis d’appel à l’égard de la décision Grecian devant la cour d’appel américaine compétente.

Le nouvel alinéa 864c)(8) annule la décision Grecian en codifiant de manière efficace la position de longue date de l’IRS sous forme de dispositions portant sur les participations dans des sociétés de personnes le ou vers le 27 novembre 2017. Un tel gain (ou une telle perte) est limité dans la mesure où l’associé vendeur aurait réalisé un gain directement rattaché, ou subi une perte directement rattachée, à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis si la société de personnes avait vendu la totalité de ses actifs à la juste valeur du marché à la date de la cession réelle. Une règle de coordination réduit le montant de ce gain ou de cette perte dans la mesure où il serait comptabilisé deux fois en raison de l’application des règles de la FIRPTA (applicables aux cessions de biens immobiliers situés aux États-Unis).

Qui plus est, les nouvelles règles vont de pair avec un système de retenue selon lequel le cessionnaire de la participation dans une société de personnes doit retenir 10 % du montant réalisé à la cession, lorsqu’une partie de ce gain pourrait être directement rattachée à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis aux termes de la nouvelle règle. Si le cessionnaire omet de retenir ce montant, la société de personnes elle-même doit alors procéder à la retenue sur les distributions éventuellement versées au nouvel associé cessionnaire. Il existe une exception à cette règle, lorsque le cédant atteste qu’il n’est pas une personne étrangère. En revanche, il n’existe aucun moyen pour la société d’attester que la vente de ses actifs n’aurait pas donné lieu à un gain directement rattaché à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis. Cette faille peut entraîner des retenues prudentes et des demandes de remboursement fondées sur celles-ci pendant que les règlements sont en cours d’élaboration. Cependant, l’Avis 2018-8 de l’IRS, publié peu après l’adoption de la TCJA, a temporairement suspendu l’obligation de retenir de l’impôt (mais pas le traitement des gains directement rattachés à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis) sur les cessions de participations dans des sociétés de personnes ouvertes.

Commentaires d’Osler

En tant qu’agent chargé de la retenue de soutien, de manière à appliquer ces règles de manière appropriée, une société de personnes doit être au courant de tous les détails liés à la vente de ses participations. Elle doit connaître le prix d’achat, le montant retenu et la remise ou non par la personne visée d’un certificat attestant qu’elle n’est pas une personne étrangère.  En pratique, à court terme, nous nous attendons à ce que la confusion concernant le fonctionnement du système de retenue crée des différends entre les acheteurs, les vendeurs et les sociétés de personnes durant la négociation d’opérations touchant des participations dans des sociétés de personnes. À moyen terme, nous nous attendons à ce que les ententes visant des fonds d’investissement et des coentreprises soient rédigées de manière à inclure de plus strictes obligations de partage d’informations afin de veiller au respect des obligations en matière de retenue d’impôt et de manière à inclure des dispositions permettant aux sociétés de personnes de récupérer toute distribution qui aurait pu être faite sans que le montant approprié ne soit retenu.