Une exécution simplifiée des obligations notariées : nouveau mécanisme en droit québécois Une exécution simplifiée des obligations notariées : nouveau mécanisme en droit québécois

14 octobre 2025 8 MIN DE LECTURE

Le 25 juin 2025, le gouvernement du Québec a publié un projet de règlement visant la mise en œuvre d’un mécanisme novateur permettant aux créanciers d’obtenir, sous certaines conditions, l’exécution extrajudiciaire d’une obligation constatée dans un acte notarié. Intitulé « Règlement sur l’exécution forcée du paiement d’une créance résultant de l’inexécution d’une obligation constatée dans un acte notarié » [PDF], le projet de règlement précise les modalités d’application et d’exécution de ce nouveau mécanisme d’exécution forcée, lequel a été introduit dans le droit québécois par le nouvel article 1603.1 du Code civil du Québec. Le règlement et le nouvel article 1603.1 du Code civil du Québec entreront en vigueur de façon simultanée.

Le présent article se veut une synthèse des éléments essentiels du projet de règlement[1] (le « projet de règlement »), dans sa forme actuelle, pour en éclairer les implications pratiques.

Un nouvel outil pour l’exécution forcée

Avec l’ajout de l’article 1603.1 au Code civil du Québec, le législateur cherche à simplifier l’exécution de certaines obligations monétaires constatées dans des actes notariés. Ce nouveau mécanisme offre une procédure plus rapide et accessible, qui pourrait désengorger les tribunaux et faciliter l’accès à la justice. Plus particulièrement, ce nouveau mécanisme permettra aux créanciers d’obtenir, dans certains cas, l’équivalent d’un jugement par défaut sans avoir à recourir aux tribunaux.

L’introduction de ce nouveau mécanisme dans le droit québécois marque un changement important par rapport au cadre actuel, où l’intervention des tribunaux est, en principe, systématiquement requise pour l’exécution forcée d’une obligation.

Conditions d’application et conséquences pratiques

Afin que le nouveau mécanisme d’exécution forcée trouve application, plusieurs conditions doivent être respectées, lesquelles sont prévues dans le projet de règlement.

  • Limité aux obligations monétaires : L’application de ce nouveau mécanisme est strictement limitée aux obligations monétaires, à l’exception de celles expressément exclues par le projet de règlement (par exemple, les recours hypothécaires et les réclamations soumises à l’arbitrage).
  • Obligation monétaire constatée dans un acte notarié : L’obligation monétaire visée par ce nouveau mécanisme doit être constatée dans un acte notarié contenant une clause expresse indiquant que l’obligation est susceptible d’exécution forcée en vertu de l’article 1603.1 du Code civil du Québec. L’inclusion d’une telle clause à l’acte notarié est essentielle pour permettre au créancier de recourir à ce nouveau mécanisme.
  • Consentement éclairé du débiteur : Le débiteur doit avoir donné un consentement éclairé et avoir été informé de la procédure applicable par le biais d’une description sommaire incluse dans l’acte notarié. Ces exigences visent à garantir la transparence et à protéger les droits du débiteur.

Dans l’éventualité où l’acte notarié ne contient pas les mentions requises, le créancier ne pourra pas recourir à ce nouveau mécanisme d’exécution forcée. Ainsi, en pratique, il est fort probable que les notaires intégreront systématiquement cette clause dans certains actes notariés, dont notamment les actes de prêt. Ce mécanisme, bien qu’il simplifie l’exécution d’une obligation pour le créancier, impose donc au débiteur une vigilance accrue pour contester rapidement un ordre de paiement et éviter une exécution forcée.

Précisons que le débiteur conserve ses droits : en cas de contestation, un débat judiciaire aura lieu. Cependant, des questions subsistent quant au fardeau de preuve applicable, soulevant des enjeux pratiques et juridiques qui devront être clarifiés.

Mise en œuvre du nouveau mécanisme d’exécution forcée

Selon la version actuelle du projet de règlement, advenant le défaut du débiteur de respecter une obligation constatée dans un acte notarié conforme aux conditions préalablement établies, le créancier pourra signifier au débiteur un ordre de paiement dans la forme prescrite par le projet de règlement, accompagné d’un formulaire de contestation. Le débiteur (ou toute personne intéressée) disposera alors d’un délai de 30 jours à compter de la signification pour contester cet ordre de paiement devant le tribunal compétent. À défaut de contestation à l’intérieur de ce délai, l’ordre de paiement deviendra exécutoire, au même titre qu’un jugement rendu par un tribunal, et pourra donc être exécuté par huissier.

Débats, enjeux et perspectives

Le projet d’article 1603.1 du Code civil du Québec, et, par le fait même, le nouveau mécanisme d’exécution forcée, avait suscité beaucoup de réactions de la part de divers intervenants dans le monde juridique. Bien que son potentiel à faciliter l’accès à la justice et à désengorger les tribunaux a généralement été reconnu, plusieurs intervenants ont cependant insisté sur la nécessité d’un encadrement rigoureux afin de préserver les droits des débiteurs. Parmi les enjeux soulevés figurent le risque d’un renversement du fardeau de preuve, la vulnérabilité accrue des débiteurs, et le recours à un règlement plutôt qu’à une loi afin de déterminer les éléments essentiels de ce nouveau mécanisme.

Plus récemment, la Chambre des notaires du Québec a formulé plusieurs observations concernant la version actuelle du projet de règlement[2]. Parmi ses recommandations, et dans l’optique d’assurer une compréhension uniforme par les parties, elle suggère notamment de préciser la formulation de la clause en vertu de laquelle l’obligation visée est susceptible d’exécution forcée ainsi que la description sommaire de la procédure d’exécution qui doivent toutes deux être incluses à l’acte notarié. La Chambre des notaires du Québec cherche également à soustraire de l’application de ce nouveau mécanisme les obligations garanties par une hypothèque, estimant que, dans sa forme actuelle, le projet de règlement permet à un créancier hypothécaire d’utiliser ce mécanisme pour contourner les modalités d’exécution particulières prévues pour l’exercice d’un recours hypothécaire.

Il reste à voir si ces recommandations donneront lieu à des modifications au projet de règlement.

Conséquences pratiques et prochaines étapes

En somme, le nouvel article 1603.1 du Code civil du Québec et le projet de règlement instaurent un raccourci procédural inédit : l’acte notarié peut acquérir, sous certaines conditions, une force exécutoire sans intervention judiciaire. Pour les créanciers, il s’agit d’une méthode permettant d’accélérer le recouvrement et de réduire les coûts. Pour les débiteurs, la transparence et la compréhension des conséquences au moment de la signature de l’acte notarié sont cruciales.

En pratique, cette innovation pourrait encourager un recours accru à la forme notariée pour les contrats habituellement conclus sous seing privé (par exemple, les cautionnements), afin de bénéficier du nouveau mécanisme d’exécution. Toutefois, le consentement éclairé du débiteur pourrait devenir un enjeu central lors des négociations contractuelles, les entreprises devant alors concilier rapidité d’exécution et maintien de relations commerciales. Par ailleurs, pour les parties hors Québec, la force exécutoire d’un ordre de paiement non contesté devra encore être reconnue à l’extérieur du Québec; la promesse d’efficacité demeure donc partiellement territoriale. Finalement, les conséquences pratiques de ce nouveau mécanisme d’exécution forcée devraient se limiter essentiellement aux situations procédant par défaut, c’est-à-dire en l’absence de contestation de l’ordre de paiement par le débiteur ou toute personne intéressée, ce qui restreint la portée de l’innovation.

Bien que ce nouveau mécanisme ne soit pas encore en vigueur et que des modifications au projet de règlement demeurent possibles, les entreprises devraient dès maintenant examiner attentivement les contrats qu’elles concluent dans le cadre de leurs activités commerciales et évaluer l’opportunité de faire notarier certains de ces contrats. Cette démarche proactive pourrait leur permettre de bénéficier des avantages liés au nouveau mécanisme d’exécution forcée, notamment en matière de rapidité et d’efficacité dans le recouvrement des créances monétaires. Il sera également crucial de surveiller l’évolution réglementaire et jurisprudentielle de ce nouveau mécanisme.

Cette réforme représente à la fois une promesse d’efficacité et un appel à la prudence contractuelle. Nous continuerons à surveiller les développements à venir en lien avec le nouveau mécanisme d’exécution forcée et vous invitons à communiquer avec nous si vous souhaitez discuter de ce nouveau mécanisme et de son incidence sur vos activités commerciales.


[1]      Gazette officielle du Québec, Partie 2, 25 juin 2025, nᵒ 26, p. 3758.

[2]      Chambre des notaires du Québec, Commentaires sur le projet de Règlement sur l’exécution forcée du paiement d’une créance résultant de l’inexécution d’une obligation constatée dans un acte notarié [PDF], 1er août 2025