Dans l’affaire Boal v. International Capital Management Inc., la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée sur la norme relative aux actes de procédure dans le cadre d’un recours collectif proposé pour manquement à l’obligation fiduciaire à l’encontre de conseillers en placement en relation avec la recommandation et la vente d’un placement particulier. La Cour d’appel a estimé que la réclamation révélait une cause d’action raisonnable pour manquement à l’obligation fiduciaire, car, dans l’ensemble, elle plaidait suffisamment que la relation entre tous les membres du groupe proposé et les conseillers en placement en était une de vulnérabilité, de confiance et de créance (vulnerability, trust, and reliance), dans laquelle les conseillers en placement s’engageaient à agir dans l’intérêt des membres du groupe proposé.
La question centrale
La question centrale devant la Cour d’appel était de savoir si la réclamation révélait, pour tous les membres du groupe proposé, une cause d’action pour manquement à l’obligation fiduciaire – et, par conséquent, si le demandeur avait rempli la condition relative aux actes de procédure du critère de certification d’un recours collectif (alinéa 5(1)a) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs). La réclamation alléguait que les conseillers en placement-défendeurs avaient une obligation fiduciaire ad hoc envers leurs clients investisseurs et qu’ils avaient manqué à celle-ci en recommandant l’achat de certains billets à ordre sans divulguer les faits suivants :
- les conseillers en placement et les membres de leur famille immédiate détenaient 75 % des actions de la société émettrice des billets à ordre;
- les conseillers en placement recevaient une commission pour chaque billet à ordre vendu;
- les billets à ordre constituaient un placement à haut risque.
En Ontario, bien que la relation entre des conseillers financiers professionnels et leurs clients ne soit pas toujours de nature fiduciaire, des conseillers en placement peuvent avoir une obligation fiduciaire ad hoc envers leurs clients dans certaines circonstances. La Cour suprême du Canada a indiqué qu’il s’agissait de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances en présence, une partie pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’autre agisse dans l’intérêt de la première relativement au sujet en cause. Les tribunaux de l’Ontario ont généralement recours à une analyse multifactorielle pour déterminer si une obligation fiduciaire ad hoc doit être reconnue dans les circonstances particulières d’une affaire.
Les décisions des tribunaux inférieurs
Juge des motions en certification
Le juge des motions en certification, le juge Perell, a estimé que la déclaration ne révélait pas une cause d’action raisonnable pour manquement à l’obligation fiduciaire, car elle ne plaidait pas les faits substantiels établissant l’existence d’une obligation fiduciaire ad hoc. Lejuge Perell a également estimé que l’existence d’une telle obligation dépendait des circonstances propres à chaque relation conseiller-client (telles que la situation financière, la valeur nette, la subtilité d’esprit et l’expertise) et a déclaré que, [traduction libre] « dans chaque cas, il est contestable que la relation avec l’investisseur ait été une relation fiduciaire et, dans chaque cas, le manquement à l’obligation fiduciaire constitue une question particulière et non pas une question commune ». En conséquence, il a rejeté la motion en certification du demandeur.
Appel initial devant la Cour divisionnaire
En appel, la Cour divisionnaire a, à la majorité, confirmé la décision du juge Perell, estimant que l’allégation de manquement à l’obligation fiduciaire est « essentiellement et intégralement » (essentially and in its entirety) fondée sur des règles, des règlements et des statuts professionnels, tels que ceux de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels. La majorité a estimé que la reconnaissance d’une obligation fiduciaire à l’échelle d’un groupe sur la base de l’allégation plaidée aurait transformé « de manière inappropriée » (inappropriately) l’existence de règles professionnelles en seul facteur permettant de déterminer si une obligation fiduciaire ad hoc existe.
Dissidente, la juge Sachs a estimé qu’il n’était pas évident et manifeste que l’allégation de manquement à l’obligation fiduciaire ne pouvait pas être retenue. La juge Sachs a conclu que, outre les normes professionnelles, le demandeur avait suffisamment étayé son allégation selon laquelle les conseillers en placement étaient plus que de simples « preneurs d’ordres ». Elle a estimé que, pour tous les membres du groupe proposé, la déclaration plaidait que les conseillers en placement-défendeurs avaient sollicité leurs clients et leur avait recommandé le placement, qu’ils avaient profité du placement et qu’ils avaient eu accès à tous les renseignements concernant le placement. La juge Sachs a également estimé que, malgré les commentaires du juge des motions sur la nécessité de prendre en compte les circonstances propres à chaque client, une obligation fiduciaire a été constatée dans certains cas [traduction libre] « sans tenir compte de la subtilité d’esprit du client et en dépit du fait que la décision finale concernant le placement incombait au client ».
La Cour d’appel
La Cour d’appel a accueilli le pourvoi, essentiellement pour les motifs invoqués par la juge Sachs. Elle a estimé que, dans l’ensemble, la relation plaidée entre les membres du groupe proposé et les conseillers en placement en était une de vulnérabilité, de confiance et de créance (vulnerability, trust, and reliance), dans le cadre de laquelle les conseillers en placement s’engageaient à agir dans l’intérêt de leurs clients.
En conséquence, la Cour d’appel a estimé que la réclamation remplissait la condition relative aux actes de procédure du critère de certification et a renvoyé l’action à la Cour supérieure de justice pour que celle-ci détermine à nouveau si les conditions du critère de certification portant sur les questions communes et le meilleur moyen de les régler étaient remplies. La Cour d’appel a convenu avec la juge Sachs qu’il revenait à un tribunal de première instance de déterminer si ces conditions étaient remplies; s’il s’occupait d’une telle détermination, un tribunal d’appel pourrait interférer avec les droits d’appel futurs des parties concernant ces questions.
Points à retenir
La condition relative aux actes de procédure du critère de certification d’un recours collectif n’est pas difficile à remplir : il suffit que le demandeur établisse qu’il n’est pas « évident et manifeste » que la réclamation n’a aucune chance raisonnable d’être retenue. Toutefois, la présente affaire démontre utilement pourquoi il peut être difficile d’appliquer une telle norme dans le contexte des recours collectifs afin de déterminer si la cause d’action révélée dans les actes de procédure est suffisamment étayée non seulement pour le représentant du groupe proposé, mais aussi pour tous les membres du groupe proposé. Et, bien que la Cour d’appel ait finalement estimé que l’action avait rempli la condition relative aux actes de procédure du critère de certification, il reste à la Cour supérieure à déterminer si la preuve remplit les conditions relatives aux questions communes et au meilleur moyen de les régler.