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L’achèvement du contrat a trait à l’exécution du travail, et non à l’état des comptes L’achèvement du contrat a trait à l’exécution du travail, et non à l’état des comptes

23 avril 2025 7 MIN DE LECTURE

Au cours de la dernière année, plusieurs parties ont présenté des demandes de révision judiciaire de la décision d’un arbitre à la Cour divisionnaire de l’Ontario. Nous avons déjà discuté dans ce blogue de certaines de ces affaires (voir, par exemple, nos billets de blogue précédents sur les affaires Ledore, Caledon et Blackstone Paving).Le présent billet traite d’une autre affaire récente.

Dans l’affaire Jamrik v. 2688126 Ontario Inc. o/a Turnkey Construction[1], la Cour divisionnaire a examiné une demande de révision judiciaire qui portait sur la compétence d’un arbitre. L’arbitre a conclu que l’appelant (Jamrik) était tenu de payer à l’intimée, 2688126 Ont. Inc. o/a Turnkey Construction (Turnkey), la somme de 564 812,87 $. Jamrik a contesté la compétence de l’arbitre, soutenant que celui-ci n’avait pas compétence pour rendre cette conclusion parce que les travaux prévus dans le contrat sous-jacent avaient été « achevés » (completed) et que l’arbitre avait commis une erreur en concluant autrement.

Contexte

Jamrik a retenu les services de Turnkey pour effectuer des travaux de construction dans un projet résidentiel, lequel a ensuite entraîné un différend relatif aux paiements. Turnkey a engagé une procédure d’arbitrage en vue d’obtenir une décision concernant un paiement dû, selon elle, par Jamrik. L’arbitre a conclu que le contrat n’était pas « achevé » au sens de la Loi sur la construction (la Loi), car plus de 1 % du prix du contrat était dû et impayé. Jamrik a été sommé de payer le montant non réglé.

Jamrik a demandé une révision judiciaire de la décision de l’arbitre, en s’appuyant sur le paragraphe 13.5(3) de la Loi, lequel dispose expressément que : « [l]’arbitrage intérimaire ne peut commencer si l’avis d’arbitrage intérimaire est donné après la date d’achèvement des travaux prévus au contrat ou au contrat de sous-traitance, sauf accord contraire des parties à l’arbitrage intérimaire »[2].

Paragraphe 2(3) de la Loi sur la construction : « achèvement » réputé

Le paragraphe 2(3) traite de la présomption d’« achèvement » des travaux en vertu de la Loi. Il dispose que les travaux prévus dans un contrat sont réputés achevés lorsque le prix de l’exécution, de la correction d’un vice connu ou des derniers services ou matériaux fournis n’est pas supérieur au moindre de : a) 1 % du prix du contrat; et b) 5 000 $. Comme l’a fait remarquer la Cour divisionnaire, le « prix de l’exécution » (price of completion) au paragraphe 2(3) de la Loi fait référence à la valeur des travaux non achevés, et non au montant des demandes de paiement contestées[3].

La décision de la Cour divisionnaire

La Cour divisionnaire a estimé que l’arbitre avait commis une erreur de droit évidente en concluant à sa compétence. L’arbitre avait de toute évidence mal interprété le sens manifeste de la Loi, il n’avait pas appliqué la jurisprudence établie de longue date sur la définition d’« achèvement » réputé des travaux en vertu de la Loi et il avait mal interprété le régime d’arbitrage prévu par la Loi pour les paiements rapides. Pour ces motifs, l’affaire a été renvoyée à un nouvel arbitrage.

L’importance d’obtenir les observations des parties

La Cour divisionnaire a souligné que l’arbitre n’avait pas demandé les observations des parties sur la question de savoir si les travaux du contrat avaient été achevés, soit le point à l’égard duquel il avait pris sa décision. La Cour a souligné que, bien qu’il incombe à l’arbitre de prendre une décision sur un point à l’égard duquel les parties ne lui ont pas présenté d’observations, sur le plan de l’équité procédurale, l’arbitre devrait aviser les parties de ses interrogations et leur donner l’occasion d’y répondre[4].

La Cour divisionnaire a mentionné que si l’arbitre l’avait fait en l’espèce, les parties l’auraient peut-être persuadé que l’analyse qu’il proposait était erronée, car elle était manifestement contraire aux principes établis. L’avocat des parties aurait été tenu de présenter à l’arbitre les points de droit appropriés pour examen. En soulignant cela, la Cour divisionnaire a clairement indiqué aux arbitres que s’ils souhaitent prendre une décision portant sur un point qui n’a pas été soulevé et argumenté par les parties devant eux, ils doivent chercher à obtenir des observations de leur part, tant pour assurer l’équité procédurale que pour leur propre compte[5].

La Cour divisionnaire a ensuite confirmé de nouveau qu’un arbitre a compétence pour décider si une réclamation lui est dûment présentée en vertu de la Loi. Toutefois, comme indiqué dans l’affaire Caledon v. Bronte Construction, la norme d’examen exige qu’un arbitre soit correct en droit et sur les questions de compétence (mais il aura droit au respect de ses conclusions à l’égard des faits quant à son analyse de la compétence)[6].

« Achèvement » des travaux en vertu de la Loi sur la construction

En ce qui concerne le fond de l’analyse de l’arbitre sur la question de la compétence, la Cour divisionnaire a souligné qu’il avait estimé à tort avoir compétence en l’espèce parce que [traduction] « le paiement dû [était] beaucoup plus élevé que 1 % du prix du contrat »[7]. La Cour divisionnaire a profité de l’occasion pour souligner une nouvelle fois que, bien qu’examiner d’autres interprétations d’un point dans une décision soit laissé à la discrétion de l’arbitre, il est souvent utile aux parties et à l’administration de la justice de tirer des conclusions de fait à l’égard d’autres arguments, de sorte qu’un tribunal chargé de réviser l’affaire dispose des conclusions de fait nécessaires pour évaluer et trancher tous les arguments possibles. En l’espèce, si l’arbitre avait établi les conclusions de fait nécessaires quant à savoir s’il restait des travaux à exécuter pour achever le contrat ou pour déterminer leur valeur, la Cour divisionnaire aurait peut-être été en mesure de statuer définitivement sur la demande de révision judiciaire, au lieu de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit prise[8]

La Cour divisionnaire a plutôt souligné que l’arbitre avait mal compris le critère d’« achèvement » (completion) prévu au paragraphe 2(3) de la Loi, et que l’affaire avait dû être renvoyée à l’arbitrage d’un nouvel arbitre en vue d’une nouvelle décision. Ce faisant, la Cour divisionnaire a souligné que l’idée que la notion d’« achèvement » aux termes de la Loi a trait à l’état d’exécution des travaux contractuels, et non à l’état des comptes entre les parties contractantes, est un principe élémentaire de droit.

Les arbitres seraient bien avisés de respecter les décisions de la Cour supérieure

Turnkey a suggéré à la Cour divisionnaire que l’arbitre n’était pas lié par la jurisprudence parce que cela n’avait pas été décidé dans le cadre d’un arbitrage, ou encore parce que le fait d’obliger les arbitres à consulter la jurisprudence nuirait à l’objectif de rendre une décision rapide, un argument que la Cour divisionnaire a fermement rejeté. La Cour divisionnaire a expressément indiqué que [traduction] « les arbitres sont tenus de respecter les décisions de la Cour divisionnaire et de la Cour d’appel et ils seraient bien avisés de tenir compte des sources convaincantes, dont les décisions des juges et des juges adjoints de la Cour supérieure »[9]. La Cour divisionnaire a mentionné que toute préoccupation concernant la déclaration et l’application adéquates du droit dans le contexte d’un arbitrage devrait être grandement atténuée par le fait que l’arbitre cherche à obtenir les observations des parties sur toute question juridique susceptible d’être soulevée.

Conclusion

Cette décision fournit des directives sur la détermination de l’« achèvement » (completion) du contrat en vertu de la Loi aux fins d’établir la compétence d’un arbitre et, surtout, précise que les arbitres doivent respecter la jurisprudence établie. La décision renforce également le principe que, par souci d’équité procédurale et afin de profiter des observations des parties, les arbitres devraient aviser ces dernières de toute interrogation, et leur donner la possibilité d’y répondre s’ils estiment pouvoir trancher un point sur une question qui n’a pas été soulevée ou que les parties n’ont pas abordée au départ.


[1] Jamrik v. 2688126 Ontario Inc. o/a Turnkey Construction, 2024 ONSC 2854 [Jamrik] [en anglais seulement].

[2] Ibid., paragraphe 9.

[3] Ibid., paragraphe 3.

[4] Ibid., paragraphe 5.

[5] Ibid., paragraphes 5 et 6.

[6] Ibid., paragraphes 7 et 8.

[7] Ibid., paragraphe 10.

[8] Ibid., paragraphes 9 à 14.

[9] Ibid., paragraphe 18.