2022 : Une grosse année pour la réforme des taux interbancaires de référence

11 Jan 2023 12 MIN DE LECTURE

Au cours des dernières années, le marché financier canadien a observé avec intérêt les pays ayant délaissé leurs taux interbancaires de référence au profit de taux sans risque. En particulier, le marché canadien a suivi de près le passage du taux interbancaire offert à Londres (London Interbank Offered Rate ou « taux LIBOR ») en dollars américains au taux de financement à un jour garanti (Secured Overnight Financing Rate ou « taux SOFR »). Bien que le marché financier canadien ait ressenti certaines des répercussions de ce passage, il attendait également la venue d’un changement encore plus important au sein du marché.

En 2022, le tour du Canada est enfin arrivé! En mai, Refinitiv Benchmark Services (UK) Limited (« RBSL ») a annoncé qu’elle cesserait de publier le taux de référence canadien, le taux moyen des acceptations bancaires canadiennes pour des échéances déterminées (Canadian Dollar Offered Rate ou « taux CDOR »). Des clauses de repli pour les prêts ont été publiées et le marché financier canadien a pris de vastes mesures pour faire passer ses instruments financiers du taux CDOR au taux des opérations de pension à un jour (Canadian Overnight Repo Rate Average ou « taux CORRA »).

Le taux CDOR est le taux de référence pour un large éventail d’instruments financiers et d’opérations dans le monde entier, avec une exposition théorique brute de plus de 20 000 milliards de dollars. Les instruments en question incluent des prêts aux entreprises, des obligations, des produits dérivés, des contrats à terme, des prêts hypothécaires et d’autres produits financiers. À ce titre, les prêteurs, les emprunteurs, les émetteurs, les détenteurs de billets et les autres participants aux marchés financiers mondiaux doivent relever le défi créé par l’abandon du principal taux de référence canadien d’ici juin 2023. Nous abordons ci-dessous un certain nombre de questions d’importance.

Le Groupe de travail sur le taux de référence complémentaire pour le marché canadien

Le Groupe de travail sur le taux de référence complémentaire pour le marché canadien (le « Groupe de travail sur le TARCOM ») mène la charge dans le cadre du passage du taux CDOR au taux CORRA sur le marché canadien. Ce groupe a été créé en mars 2018 par le Forum canadien des titres à revenu fixe, comité sectoriel de haut niveau établi par la Banque du Canada, afin de piloter la réforme des taux de référence au Canada et de faire en sorte que le régime de taux d’intérêt de référence du Canada soit robuste, pertinent et efficace. Ses membres comprennent des représentants de haut niveau de diverses parties prenantes du système financier canadien.

Le Groupe de travail sur le TARCOM avait comme principal objectif, entre autres, d’analyser le statut du taux CDOR et son efficacité en tant que taux de référence et, à partir de cette analyse, de formuler des recommandations sur la pertinence de ce taux comme taux de référence dans l’avenir. Il a formé un certain nombre de sous-groupes chargés de se concentrer sur des questions précises liées au taux CDOR, notamment le sous-groupe chargé des questions comptables, fiscales et réglementaires, le sous-groupe sur le taux CORRA à terme, le sous-groupe sur les titres au comptant et le sous-groupe sur les produits dérivés.

Abandon du taux CDOR

Le 16 décembre 2021, le Groupe de travail sur le TARCOM a publié un livre blanc [PDF] dans lequel il résume ses constatations et conclusions sur le taux CDOR. Dans son livre blanc, il recommande que RBSL, l’administrateur du taux CDOR, cesse de calculer et de publier le taux CDOR après le 30 juin 2024. Il a également recommandé que le taux CORRA soit adopté comme taux de référence de rechange.

En janvier 2022, RBSL a lancé une consultation publique [PDF] (en anglais seulement) afin de recueillir des commentaires sur l’incidence de l’abandon éventuel du taux CDOR sur les parties prenantes concernées. À la suite de cette consultation, le 16 mai 2022, RBSL a annoncé [PDF] (en anglais seulement) qu’elle cesserait de calculer et de publier le taux CDOR, toutes échéances confondues, immédiatement après sa publication finale le vendredi 28 juin 2024.

La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) ont toutes deux autorisé RBSL à cesser de fournir le taux CDOR. L’International Swaps and Derivatives Association, Inc. (l’« ISDA ») a également publié une déclaration (en anglais seulement) en réponse à l’annonce de RBSL. L’ISDA a confirmé que l’annonce de RBSL constituait un « cas d’abandon de l’indice » (Index Cessation Event) selon ses définitions et ses protocoles de repli.

Adoption du taux CORRA

Avant la publication de son livre blanc, le Groupe de travail sur le TARCOM avait déjà commencé à jeter les bases de l’utilisation du taux CORRA comme nouveau taux de référence. En novembre 2021, il a publié deux documents, les conventions recommandées pour les obligations à taux variable fondées sur le taux CORRA [PDF] et les modalités recommandées pour les prêts fondés sur le taux CORRA [PDF], qui s’inscrivaient dans le cadre d’un vaste effort visant à élaborer et à promouvoir des normes de marché pour les produits faisant référence aux taux sans risque sur le marché canadien. Avant les publications de novembre, en juillet 2021, le Groupe de travail sur le TARCOM avait également publié les clauses de repli recommandées pour les obligations à taux variable fondées sur le taux CDOR [PDF]. Ces recommandations suivaient de près les clauses de repli pour le taux CDOR proposées par l’ISDA.

Le 3 août 2022, dans un livre blanc, le Groupe de travail sur le TARCOM a publié ses clauses de repli recommandées (les « clauses recommandées par le Groupe de travail ») [PDF] très attendues pour les contrats de prêt qui utilisent le taux CDOR comme taux d’intérêt de référence, ainsi qu’un aperçu de ces clauses.

Les clauses recommandées par le Groupe de travail prévoient le passage automatique du taux CDOR au taux CORRA à la date à laquelle Refinitiv cessera de publier le taux CDOR en juin 2024. Elles comprennent également un certain nombre d’autres caractéristiques importantes.

Par exemple, les clauses recommandées par le Groupe de travail prévoient la possibilité pour les agents administratifs en vertu des contrats de prêt d’apporter les changements techniques, administratifs ou opérationnels qu’ils jugent appropriés pour refléter l’adoption et la mise en œuvre du taux CORRA et pour permettre l’administration du taux CORRA.

De plus, le Groupe de travail sur le TARCOM a proposé un ordre de priorité en deux étapes pour déterminer le taux qui remplacera le taux CDOR. À la première étape, le taux de rechange est le taux CORRA à terme, plus un ajustement pour l’écart de crédit. Le taux CORRA à terme n’est pas encore offert sur le marché, mais il a fait l’objet d’une consultation [PDF], qui s’est terminée en juin 2022. Les résultats de cette consultation devraient être publiés prochainement. À la deuxième étape, le taux de rechange est le taux CORRA quotidien composé (Daily Compounded CORRA), qui est déjà publié, plus un ajustement pour l’écart de crédit prédéfini.

Les écarts de crédit servent à rendre compte de la différence économique entre le taux CDOR et le taux CORRA. Bloomberg Index Services Limited a publié les écarts de crédit qui sont inclus dans l’ordre de priorité du taux de référence de rechange en vue de leur utilisation dans les contrats de l’ISDA. Les écarts de crédit ont été cristallisés à la date de l’annonce par RBSL, le 16 mai 2022, de son intention de cesser la publication du taux CDOR en juin 2024.

Les clauses de repli pour les prêts reposaient sur les clauses publiées par l’Alternative Reference Rates Committee (l’« ARRC ») et la Loan Syndications & Trading Association (la « LSTA »), qui sont liées au taux LIBOR et au taux SOFR. Les participants du marché étaient déjà familiers avec ces clauses. Cependant, il existe un certain nombre de différences entre les clauses de repli pour les prêts et les clauses de l’ARRC et de la LSTA, notamment en ce qui concerne l’option de transition par anticipation, la remontée de l’ordre de priorité et les acceptations bancaires.

Les clauses de l’ARRC prévoyaient une option de transition par anticipation permettant aux parties de passer au taux SOFR avant l’abandon du taux LIBOR. Le Groupe de travail sur le TARCOM a décidé de ne pas inclure ce mécanisme dans les clauses de repli pour les prêts, et ce, pour plusieurs raisons, notamment le fait que l’option de transition par anticipation n’a pas été largement utilisée au Canada pour le passage du taux LIBOR au taux SOFR et qu’elle a entrainé beaucoup de confusion sur le marché canadien. De plus, le mécanisme de transition par anticipation n’était pas tout à fait efficace en soi.

Une caractéristique des clauses de repli pour les prêts qui n’était pas incluse dans les clauses de l’ARRC est le mécanisme de « remontée de l’ordre de priorité ». Ce mécanisme est pertinent dans les cas où le taux CORRA quotidien composé a été adopté comme solution de rechange au taux CDOR vu que le taux CORRA à terme ne sera pas offert au moment de l’abandon du taux CDOR. Le mécanisme de « remontée de l’ordre de priorité » donnerait à l’agent administratif d’un prêt, une fois le taux CORRA à terme offert, la possibilité de remettre un avis à l’emprunteur et aux prêteurs concernant le remplacement du taux CORRA quotidien composé par le taux CORRA à terme.

De nombreuses facilités de crédit canadiennes sont financées à l’aide d’acceptations bancaires (les « AB »). Toutefois, comme l’indique le Groupe de travail sur le TARCOM dans son livre blanc, tout porte à croire que de nombreuses banques canadiennes délaisseront le modèle de financement par voie d’AB au moment de l’abandon du taux CDOR.

Pour remédier à cette situation, les clauses de repli pour les prêts donnent aux agents administratifs la possibilité, après notification aux prêteurs et à l’emprunteur, de délaisser le financement par voie d’AB au moment où le taux CDOR sera abandonné. Advenant que les « prêteurs majoritaires » aux termes du contrat de crédit ne s’y opposent pas dans un délai de cinq jours ouvrables, il y aura plusieurs conséquences importantes. En premier lieu, le mécanisme de financement par voie d’AB sera remplacé par des « prêts fondés sur le taux CORRA ». Ensuite, toute demande de prêt visant la reconduction ou la conversion d’un prêt sous la forme d’une AB sera ineffective. Enfin, si une demande de prêt vise une nouvelle AB, alors le prêt en question deviendra un « prêt fondé sur le taux CORRA ». La question de savoir si le seuil relatif aux prêteurs majoritaires est atteint dépendra du contrat de crédit applicable. Toutefois, le seuil est généralement atteint du fait du soutien des prêteurs représentant la majorité ou plus des deux tiers des engagements totaux aux termes de la facilité.

Les AB qui sont déjà en circulation continueraient d’arriver à échéance en vertu des clauses de repli pour les prêts, puisque le taux est fixé à l’émission des AB. Bien que cela règle la question de l’abandon du taux CDOR et de l’abandon des AB, il y a une autre étape que les parties devront franchir, soit l’intégration d’un mécanisme de financement fondé sur le taux CORRA dans le contrat de crédit. Les clauses de repli pour les prêts ne prévoient pas un tel mécanisme et il appartiendra aux parties au contrat d’inclure de telles clauses.

Ce que l’avenir nous réserve

Bien que des progrès importants aient été réalisés au Canada au cours de l’année écoulée en ce qui concerne le passage du taux CDOR au taux CORRA, des questions importantes doivent encore être réglées avant que le taux CDOR ne cesse d’être publié en juin 2024. Les participants du marché doivent se familiariser avec le taux CORRA et le comprendre. Ils devront également modifier leurs contrats pour y inclure des clauses de repli adéquates et devront éventuellement intégrer un mécanisme de financement fondé sur le taux CORRA dans leurs contrats. Les prêteurs devront mettre à jour leurs systèmes pour rendre opérationnelle l’utilisation des taux d’intérêt fondés sur le taux CORRA, et les banques canadiennes devront décider si elles abandonnent le modèle de financement par voie d’AB.

De plus, les commentaires recueillis lors de la consultation sur le taux CORRA à terme ont révélé une forte demande au Canada pour un taux de référence à terme prospectif fondé sur le taux CORRA. Par conséquent, nous nous attendons à ce que le taux CORRA à terme soit élaboré, calculé et publié, et qu’un administrateur soit choisi pour ce taux.