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Associé, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Associé, Litiges, Toronto
En raison de la pandémie de COVID-19, la clause de force majeure est entrée dans ce qui sera, espérons-le, son seul moment fort. Les clauses de force majeure agissent normalement comme des dispositions de répartition des risques qui excusent l’exécution lorsqu’une partie est incapable d’exécuter ses obligations contractuelles en raison de la survenance d’un événement indépendant de sa volonté.
Pratiquement omniprésentes selon des formules toutes faites dans les contrats commerciaux modernes, les clauses de force majeure ont souvent été peu, voire pas du tout, prises en considération par les parties contractantes (même si une clause de force majeure mal rédigée peut avoir de graves conséquences si une partie n’est pas en mesure d’exécuter ses obligations contractuelles en raison d’un événement indépendant de sa volonté). Cependant, la pandémie de COVID-19 soulève des questions liées à la force majeure comme aucun autre événement avant elle. Dans cet article, nous donnons un aperçu de certains principes juridiques liés à la force majeure et examinons certaines questions soulevées lors de l’interprétation d’une clause de force majeure, notamment dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
Introduction à la force majeure
Dans les territoires de common law du Canada, la force majeure découle des modalités d’une clause de force majeure dans un contrat ; il ne s’agit pas d’une doctrine juridique autonome (contrairement à l’impossibilité d’exécution du contrat). Si un contrat ne prévoit pas de cas de force majeure, la doctrine ne peut alors pas s’appliquer à la relation contractuelle. En revanche, la doctrine de l’impossibilité d’exécution de la common law peut s’appliquer en l’absence d’une clause de force majeure. Une clause de force majeure ne doit pas nécessairement comprendre expressément le terme « force majeure » pour offrir les protections d’une telle clause.
Une clause de force majeure sert généralement à excuser totalement ou partiellement l’inexécution des obligations contractuelles d’une partie, ou à retarder l’obligation d’exécution, dans des circonstances définies (de manière étroite ou large) par le contrat. Ces circonstances doivent généralement être indépendantes de la volonté d’une partie. Dans la décision phare de la Cour suprême du Canada sur le sujet, l’arrêt Atlantic Paper Stock Ltd. c. St. Anne-Nackawic Pulp and Paper Co., la cour a expliqué qu’une clause de force majeure « dispense généralement une partie de l’exécution de ses obligations contractuelles lorsque survient un événement, parfois surnaturel, sur lequel les parties n’ont aucun contrôle et qui rend l’exécution du contrat impossible ».
De par leur nature, les circonstances déclenchant des clauses de force majeure surviennent rarement et ces clauses sont généralement rédigées de manière à refléter la nature inhabituelle des conditions sous-jacentes. En outre, la force majeure étant une question purement contractuelle, les différends concernant l’interprétation et l’application d’une clause de force majeure peuvent être examinés dans le cadre d’une procédure d’arbitrage confidentielle plutôt que devant les tribunaux (les auteurs ont représenté des clients dans le cadre de deux importants arbitrages commerciaux internationaux relatifs à la force majeure depuis 2013). Par conséquent, l’examen judiciaire des clauses de force majeure a été limité au Canada. Cependant, un certain nombre de principes d’interprétation ressortent clairement de la jurisprudence.
Interprétation d’une clause de force majeure
Pour évaluer l’applicabilité d’une clause de force majeure dans une situation donnée, un tribunal doit procéder à un examen détaillé du libellé précis utilisé par les parties. Une clause de force majeure type comprend une liste d’événements (qui peut être exhaustive ou non) et décrit comment un événement doit entraver l’exécution du contrat pour que la clause soit déclenchée.
Comme indiqué dans la décision Atlantic Paper, pour être considéré comme un cas de force majeure, l’événement en question doit généralement rendre l’exécution « impossible » ; un événement qui rend l’exécution simplement peu pratique, non rentable ou commercialement non viable ne suffit généralement pas. Les obligations relatives au paiement d’une somme d’argent sont généralement exclues d’une clause de force majeure, de sorte qu’on ne peut invoquer l’indigence pour excuser ces obligations. Voir, par exemple, le bulletin d’actualités antérieur d’Osler intitulé « L’impact de la COVID-19 sur l’exploitation minière » sur osler.com concernant l’inapplicabilité des dispositions relatives à la force majeure à la plupart des contrats de projet.
Les parties qui tentent d’interpréter une clause de force majeure commencent généralement par examiner si l’événement contesté a été expressément énuméré dans le contrat. Toutefois, si l’événement doit incontestablement être un événement admissible aux termes de la clause, la question centrale et plus difficile dans la plupart des cas sera de savoir si l’exécution d’une ou de plusieurs des obligations contractuelles d’une partie a été rendue impossible. En d’autres termes, qu’est-ce qu’une partie est obligée de faire aux termes du contrat qu’elle ne peut pas faire maintenant?
La question de savoir si un événement est un « événement admissible » aux termes de la clause de force majeure est généralement moins litigieuse, notamment parce que de nombreuses listes de ce type dans les contrats commerciaux ne sont pas exhaustives (par exemple, « y compris, notamment, les tremblements de terre, les incendies, les inondations, etc. »). Si la clause contient une liste non exhaustive d’événements et que l’événement en question n’y figure pas, la question de savoir si cet événement (qui doit être indépendant de la volonté d’une partie) se qualifie comme cas de force majeure dépend généralement de la possibilité d’établir un lien de causalité entre l’événement en question et une obligation contractuelle qui ne peut être exécutée.
Il convient de noter qu’en cas de liste non exhaustive d’événements potentiellement admissibles, le principe de l’ejusdem generis – qui prévoit que lorsque des termes généraux suivent des termes précis, les termes généraux sont limités au même type ou à la même catégorie de choses que les termes précis – peut toujours s’appliquer pour limiter efficacement les types d’événements qui pourraient être admissibles.
Force majeure et COVID-19
En raison des répercussions véritablement sans précédent que la pandémie de COVID-19 a eu sur les entreprises au Canada et dans le monde entier, la clause de force majeure, souvent négligée, est devenue un sujet d’intérêt important pour les parties commerciales et les professionnels. Les parties à des contrats signés avant la pandémie évaluent maintenant souvent si la pandémie de COVID-19 peut être considérée comme un événement de force majeure dans le cadre de leurs contrats, de sorte qu’elles devraient désormais être dispensées de l’exécution. Pendant ce temps, les parties qui concluent des contrats depuis le début de la pandémie se débattent pour savoir comment répartir au mieux les risques liés au fait qu’une pandémie mondiale (qui n’est plus un événement imprévu) peut les rendre incapables de remplir leurs obligations contractuelles.
Pour dire les choses simplement, il n’y a pas de réponse unique à la question de savoir si la pandémie de COVID-19 constitue un événement de force majeure. Comme pour tout événement de force majeure potentiel, la réponse dépendra du libellé du contrat particulier d’une partie, ainsi que de la nature des obligations stipulées par ce contrat.
Une partie cherchant à invoquer la pandémie COVID-19, ou ses effets, comme un événement de force majeure devra d’abord démontrer que la pandémie (ou ses conséquences) relève de la définition applicable dans le contrat. Sous réserve que l’exécution du contrat soit entravée par la pandémie de COVID-19, les clauses qui énumèrent expressément la « maladie », les « épidémies » ou les « pandémies » comme des cas de force majeure vont vraisemblablement englober la COVID-19, qui a été désignée par l’Organisation mondiale de la santé comme une pandémie mondiale. En l’absence d’un tel libellé, la pandémie peut néanmoins être qualifiée de cas de force majeure si la définition contractuelle est non exhaustive et s’applique de manière générale aux circonstances extérieures indépendantes de la volonté des parties qui empêchent l’exécution. En outre, les contrats commerciaux sont souvent assez contraignants en ce qui concerne les obligations particulières de notification ou d’atténuation imposées à une partie qui cherche à se prévaloir d’une clause de force majeure. Les parties qui invoquent, ou répondent à une partie qui cherche à invoquer, une clause de force majeure, doivent par conséquent être conscientes de ces obligations.
Même si une partie touchée peut démontrer que la pandémie de COVID-19 est potentiellement couverte par le libellé d’une clause de force majeure, la question centrale consistera alors à savoir si (et, si c’est le cas, comment) l’exécution du contrat de la partie a été touchée. Selon l’état actuel du droit et le libellé habituel des clauses de force majeure, si la COVID-19 a simplement rendu la prestation d’une partie moins commode, moins rentable ou commercialement irréalisable – par exemple, en provoquant des difficultés financières ou l’insolvabilité, ou en rendant la prestation totalement non rentable – cette partie pourrait ne pas être autorisée à invoquer la force majeure. En outre, une partie touchée peut rencontrer des difficultés si son contrat prévoit qu’un événement de force majeure doit toucher « directement » l’exécution. Dans certains cas, la pandémie de COVID-19 peut ne toucher qu’indirectement l’exécution – par exemple, lorsque les obstacles directs à l’exécution sont des problèmes comme la pénurie de main-d’œuvre, l’indisponibilité de l’approvisionnement ou, éventuellement, les lois adoptées en réponse à la pandémie. Nous observons, selon le libellé du contrat, que ces obstacles indirects peuvent toutefois se qualifier comme cas de force majeure à part entière.
Au moment où nous écrivons ces lignes, très peu de décisions ont été rendues par les tribunaux des provinces de common law concernant le chevauchement de la COVID-19 et de la force majeure. Selon l’expérience des auteurs, cela est dû à la fois à la prédominance des parties qui parviennent à des règlements commerciaux temporaires (ou définitifs), et à la prédominance (mentionnée ci-dessus) des dispositions d’arbitrage confidentiel dans ces contrats. Néanmoins, il ne fait aucun doute que les parties commerciales invoquent la pandémie de COVID-19 (et ses conséquences) comme des événements de force majeure, tant de manière confidentielle que publique.
Par exemple, en juin 2020, Nabis Holdings Inc, une société de placement canadienne, a annoncé (en anglais) son intention d’invoquer une clause de force majeure dans un acte de fiducie pour reporter le paiement des intérêts dus aux détenteurs d’obligations, affirmant que la COVID-19 a rendu pratiquement impossible la mobilisation de capitaux pendant la pandémie mondiale. De manière quelque peu inhabituelle, l’acte de fiducie en question (disponible sur SEDAR) n’a pas exclu l’incapacité de payer de la clause de force majeure. En réponse, le fiduciaire aux termes de l’acte de fiducie aurait engagé (en anglais) une procédure judiciaire, alléguant que Nabis a violé les modalités de l’acte de fiducie en n’effectuant pas les paiements d’intérêts prescrits.
L’une des rares décisions publiées touchant à la notion de force majeure dans le contexte de la pandémie de COVID-19 est la décision Durham Sports Barn Inc. Bankruptcy Proposal (en anglais), concernant un locataire qui soutenait qu’il devait être dispensé de payer le loyer pendant la période où il était empêché d’exercer ses activités comme salle de sport en raison de décrets d’urgence émis par le gouvernement de l’Ontario. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté cet argument, estimant que si la clause de force majeure dans le bail du locataire libérait le propriétaire de l’obligation de fournir une jouissance paisible pendant la fermeture, elle ne libérait pas le locataire de son obligation de payer un loyer. La Cour a refusé de suivre une décision récente (en anglais) de la Cour supérieure du Québec, qui s’est prononcée en faveur d’un locataire dans des circonstances similaires, parce que la clause dans l’affaire du Québec était formulée différemment et parce que cette affaire a été tranchée sur la base d’une doctrine de droit civil qui n’existe pas en Ontario. L’affaire Durhamest conforme au principe d’interprétation selon lequel les tribunaux se concentrent sur le libellé particulier de la clause en question.
Il ne fait aucun doute que la jurisprudence sur l’interaction entre la pandémie de COVID-19 et la force majeure continuera de s’étendre au fur et à mesure que les affaires liées à la pandémie avanceront dans le processus judiciaire et nous nous réjouissons à l’idée de fournir d’autres commentaires à ce sujet.