La Cour du Québec rend une décision clé sur l’accès du public aux demandes d’accès à l’information La Cour du Québec rend une décision clé sur l’accès du public aux demandes d’accès à l’information

21 juillet 2025 8 MIN DE LECTURE

Le 20 mars 2025, dans la décision phare Centre d’acquisitions gouvernementales c. Teva Canada limitée[1], la Cour du Québec a statué que les demandes d’accès à l’information ne sont pas elles-mêmes à l’abri de l’accès en vertu de la législation provinciale en la matière. Teva Canada limitée (Teva) avait obtenu gain de cause devant la Commission d’accès à l’information du Québec (la CAI), dont la décision avait été contestée par le Centre d’acquisitions gouvernementales (le CAG), un organisme public responsable de l’approvisionnement des agences gouvernementales provinciales. Le tribunal a rejeté l’appel et a donné raison à Teva.

Il y a plus de trois ans, le CAG avait refusé de communiquer à Teva des documents que celle-ci avait demandés en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (la Loi sur l’accès)[2]. Les documents demandés étaient des demandes d’accès de tiers que le CAG avait déjà reçues en tant qu’organisme public soumis à la Loi sur l’accès. La question précise que la Cour devait trancher était de savoir si Teva avait un droit d’accès à ces demandes d’accès. Plus généralement, la question était de savoir si le droit d’accès du public s’appliquait aux documents que les organismes publics détiennent en application de la Loi sur l’accès. La Cour du Québec a répondu à ces deux questions par l’affirmative.

Le contexte

En 2021, le CAG a lancé un appel d’offres pour l’acquisition de produits pharmaceutiques par le gouvernement, auquel Teva a participé. L’offre de Teva a été retenue et un contrat a subséquemment été conclu. En mars 2022, le CAG a reçu deux demandes d’accès à l’information (les demandes d’accès) de la part de tiers (les demandeurs) cherchant à obtenir, entre autres documents, le contrat conclu entre Teva et le CAG. Ces demandes d’accès ont été faites en vertu de la Loi sur l’accès, selon laquelle le public a le droit d’accéder aux documents détenus par un organisme public dans l’exercice de ses fonctions.

Après avoir été informée des demandes d’accès, Teva s’est opposée à la communication de son contrat au motif qu’il contenait des renseignements commerciaux et exclusifs hautement confidentiels. Compte tenu de la nature hautement concurrentielle du marché des produits pharmaceutiques, la communication des renseignements demandés pouvait raisonnablement nuire à la position concurrentielle de Teva, affaiblir son pouvoir de négociation, lui infliger des pertes ou permettre à ses concurrents d’obtenir un avantage à ses dépens. En fin de compte, le CAG n’a pas communiqué le contrat de Teva, et les demandeurs n’ont pas donné suite à leurs demandes d’accès. En parallèle, Teva a soumis au CAG sa propre demande d’accès à l’information afin d’obtenir une copie des demandes d’accès. Le CAG a rejeté la demande de Teva.

Teva a demandé à la CAI de réexaminer le refus du CAG. En février 2024, la CAI a accédé à la demande de Teva[3]. Le CAG a ensuite fait appel de la décision de la CAI devant la Cour du Québec.

Les motifs et les conclusions

Les demandes d’accès sont des documents détenus par un organisme public dans l’exercice de ses fonctions

Devant la Cour du Québec, l’argument principal (et nouveau) du CAG était que, en droit, les demandes d’accès ne sont pas des documents « détenus » par un organisme public dans l’exercice de ses fonctions et ne relèvent donc pas du champ d’application de la Loi sur l’accès. Le tribunal a rejeté cet argument. Appliquant le critère de la décision correcte, il a estimé que la CAI n’avait pas commis d’erreur révisable en concluant que les demandes d’accès étaient des documents détenus par un organisme public dans l’exercice de ses fonctions. Au contraire, la CAI a eu raison de conclure que les demandes d’accès étaient des documents ainsi détenus par le CAG.

Le tribunal a statué que les fonctions d’un organisme public aux fins de l’application de la Loi sur l’accès devaient être interprétées de manière large et libérale. Le fait que la loi habilitante de l’organisme public ne prévoit pas expressément que celui-ci a l’obligation de se conformer à la Loi sur l’accès ou à d’autres lois d’application générale ne signifie pas que les documents qu’il détient pour se conformer à ces lois ne sont pas détenus dans l’exercice de ses fonctions. Une conclusion contraire signifierait qu’un organisme public pourrait exercer ses fonctions au sens de la Loi sur l’accès sans se conformer à aucune autre loi que sa loi habilitante. Selon le tribunal, les fonctions d’un organisme public s’étendent non seulement à toutes ses tâches principales énoncées dans sa loi habilitante, mais aussi à toutes les tâches accessoires découlant de ces dernières, aux tâches assumées volontairement et à celles qui lui incombent en vertu de toute loi d’application générale, telle que la Loi sur l’accès.

Il n’y a aucune obligation de préserver l’anonymat de certains demandeurs d’accès

En vertu de la Loi sur l’accès, le droit d’accès du public ne s’étend pas aux renseignements personnels, qui doivent demeurer confidentiels à moins que la personne concernée ne consente à leur communication. En l’espèce, cependant, le tribunal a convenu avec Teva que le nom d’une personne physique agissant en tant que représentant d’une personne morale n’était pas en soi un renseignement personnel confidentiel. Comme dans les faits les demandeurs agissaient pour le compte de personnes morales, le tribunal a jugé que les demandes d’accès ne contenaient pas de renseignements personnels confidentiels empêchant l’accès du public[4]. Selon la Cour, la Loi sur l’accès n’exige pas des organismes publics qu’ils préservent l’anonymat des demandeurs d’accès au-delà de leur obligation de protéger les renseignements personnels confidentiels, bien que le CAG ait invoqué certains arguments de politique publique en faveur d’une telle interprétation. Le tribunal a réitéré le point de vue de la CAI selon lequel il ne lui appartenait pas de créer une nouvelle exception au droit d’accès du public ni de réécrire la Loi sur l’accès afin de préserver l’anonymat des demandeurs d’accès en l’espèce.

Dans son argumentation, le CAG s’est également appuyé sur le Règlement sur la diffusion de l’information et sur la protection des renseignements personnels (le Règlement)[5]. Sous réserve de certaines exceptions, le Règlement exige qu’un organisme public diffuse sur son site Internet les documents transmis dans le cadre d’une demande d’accès, accompagnés de la décision anonymisée du responsable, au sein de l’organisme public, de l’accès aux documents. Selon le CAG, la nécessité d’anonymiser la décision du responsable de l’accès aux documents comportait l’obligation générale, pour les organismes publics, de préserver l’anonymat des demandeurs d’accès. Le tribunal a, pour sa part, estimé que le Règlement n’était pas pertinent dans le cadre de l’appel. En effet, l’appel concernait le droit d’accès du public, et non les obligations réglementaires des organismes publics de diffuser publiquement certains renseignements.

Les motifs des demandeurs d’accès ne sont pas pertinents

Enfin, le tribunal a rejeté diverses affirmations du CAG, non fondées sur des éléments de preuve présentés à la CAI, selon lesquelles la demande d’accès de Teva avait un objectif inapproprié ou pouvaient d’une manière ou d’une autre conduire à un comportement inapproprié. Le tribunal a conclu que le droit d’accès existait indépendamment des motifs du demandeur. Par conséquent, le but ou le motif de la demande de renseignements ne sont absolument pas pertinents dans la décision de l’organisme public de communiquer ou non un document. En tout état de cause, les arguments du CAG fondés sur les raisons motivant la demande d’accès de Teva en l’espèce n’étaient que pure spéculation.

Principaux enseignements

La décision est susceptible de créer un précédent important. Elle confirme le droit d’accès général du public aux documents détenus par les organismes publics dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui inclut toutes les tâches qu’ils accomplissent pour se conformer aux lois d’application générale, telles que la Loi sur l’accès. Puisque cette décision renforce le droit d’accès du public, elle lui permet par le fait même de vérifier que les organismes publics se conforment à la Loi sur l’accès ainsi qu’aux autres lois auxquelles ils sont soumis.

La décision confirme également que les organismes publics ne sont pas soumis à une obligation de préserver l’anonymat des demandeurs d’accès au-delà des règles protégeant les renseignements personnels confidentiels. Le public peut donc avoir accès aux demandes d’accès reçues par un organisme public et à l’identité des demandeurs d’accès, à condition qu’elles ne contiennent pas de renseignements personnels confidentiels, comme c’est le cas lorsque les demandeurs agissent à titre professionnel.


[1] Les auteurs représentaient Teva Canada dans cette affaire.

[2] RLRQ, c A-2.1.

[3] Teva Canada limitée c. Centre d’acquisitions gouvernementales, 2024 QCCAI 58.

[4] Ce qui est conforme à l’article 55 de la Loi sur l’accès, tel que récemment modifié.

[5] RLRQ, c A-2.1, r. 2.