De nouvelles restrictions et ordonnances de désinvestissement constituent une mise en garde claire concernant les investissements d’entreprises d’État étrangères dans le secteur des minéraux critiques

3 Nov 2022 10 MIN DE LECTURE

Le 28 octobre 2022, l’honorable François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (le ministre), de concert avec l’honorable Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles, a annoncé une nouvelle politique concernant le traitement des investissements d’entreprises d’État étrangères dans le secteur des minéraux essentiels du Canada (la politique) en vertu de la Loi sur Investissement Canada (LIC).

La politique entre en vigueur immédiatement. Elle précise les minéraux qui, selon le gouvernement, sont essentiels à la prospérité du Canada dans des secteurs émergents sobres en carbone et d’autres secteurs technologiques ou encore à d’autres secteurs qui contribuent à la sécurité nationale du Canada en tant qu’intrants essentiels à la défense et aux technologies de pointe. La politique vise à préserver l’accès du Canada aux minéraux critiques et à soutenir la stratégie sur les minéraux critiques du gouvernement, qui vise à son tour à positionner le Canada comme fournisseur mondial de choix des minéraux critiques.

La politique s’applique à tout investissement direct ou indirect d’une entreprise d’État étrangère dans une entreprise canadienne engagée dans la chaîne de valeur du secteur des « minéraux critiques », peu importe l’importance de l’investissement ou le fait qu’un tel investissement puisse être sujet à révision en vertu du cadre général de l’avantage net de la LIC. En somme, la politique stipule que, lorsque le ministre doit déterminer si un investissement de cette nature présente un « avantage net pour le Canada », il ne le fera qu’à titre exceptionnel. En outre, tout investissement d’une entreprise d’État étrangère dans le secteur des minéraux critiques, quelle qu’en soit l’importance ou la valeur, sera assujetti à un examen approfondi aux termes des dispositions discrétionnaires relatives à l’examen de la sécurité nationale.

Moins d’une semaine après la publication de la politique, le ministre a annoncé que le gouvernement fédéral avait ordonné à des investisseurs étrangers de se départir de leurs investissements dans des entreprises canadiennes des secteurs des minéraux critiques. Ces investisseurs comptaient (entre autres) des activités d’extraction de lithium, tant au Canada qu’à l’étranger. Les ordonnances de désinvestissement constituent un changement important, tant dans l’approche que dans le ton, par rapport à des affaires récentes comme l’acquisition récente par Zijn Mining (une société minière appartenant à l’État chinois) de Neo Lithium (une société minière de lithium ayant son siège social au Canada et des actifs en Argentine). Cette acquisition avait été autorisée sans examen de la sécurité nationale en bonne et due forme. Bien que certaines questions soulevées (notamment devant le Comité permanent de l’industrie et de la technologie) au sujet de cette décision aient pu jouer un rôle dans l’officialisation d’une approche plus dure à l’égard des investissements dans le secteur des minéraux critiques, le gouvernement canadien considère depuis un certain temps déjà ces investissements comme un domaine d’importance stratégique. La politique s’appuie également sur l’examen renforcé ayant été appliqué par le gouvernement aux termes des lignes directrices révisées sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements, depuis le début de 2021, comme nous l’indiquions dans notre bulletin d’actualités antérieur.

L’annonce du désinvestissement est également importante en raison de sa transparence relativement aux actions du gouvernement en vertu des dispositions relatives à l’examen de la sécurité nationale. Historiquement, le gouvernement fédéral ne divulgue pas systématiquement le résultat d’un examen relatif à la sécurité nationale par le Cabinet. L’annonce comprend une déclaration selon laquelle, par souci de transparence, le gouvernement fédéral annoncera les résultats des décrets définitifs du Cabinet (c.-à-d., les investissements non approuvés ou les investissements approuvés sous réserve de conditions) de façon prospective.

Type d’investissements étrangers concernés par la politique

La politique s’applique à tout investissement d’une entreprise d’État étrangère dans une entreprise canadienne engagée dans la chaîne de valeur du secteur des « minéraux critiques », peu importe l’importance de l’investissement ou le fait qu’un tel investissement puisse être sujet à révision en vertu du cadre général de l’avantage net de la LIC. Pour comprendre les conséquences de la politique, il est important de décortiquer certaines de ces modalités clés. 

  • Les entreprises d’État étrangères incluent non seulement les entreprises appartenant directement ou indirectement à un gouvernement étranger ou contrôlées directement ou indirectement par lui, mais aussi les entités « influencées directement ou indirectement » par un gouvernement étranger. De plus, la LIC prévoit que le ministre peut déterminer si une entité est contrôlée de fait par une entreprise d’État.
  • La politique s’applique également aux investissements d’investisseurs étrangers privés considérés comme étant étroitement liés à des gouvernements étrangers, en particulier des gouvernements non alliés, ou assujettis à l’influence de ces derniers, ou encore qui pourraient être contraints de se conformer à des directives extrajudiciaires.
  • L’investisseur étranger direct ne doit pas nécessairement être lui-même une entreprise d’État. Au contraire, la propriété indirecte de l’investisseur par une entreprise d’État étrangère est également prise en compte.
  • Bien que l’accent soit manifestement mis sur les gouvernements non alliés, l’application de la politique n’est pas limitée à certains pays seulement.
  • Aux fins de la LIC et de la politique, il n’est pas nécessaire que les entreprises canadiennes soient de propriété canadienne et qu’elles exploitent leurs activités au Canada.
  • Les minéraux critiques désignent les minéraux considérés comme « critiques pour la prospérité économique durable du Canada et de ses alliés », tels qu’ils figurent sur la liste des minéraux critiques du Canada, publiée le 11 mars 2021. Elle comprend les 31 minéraux suivants :

Liste des minéraux critiques

  • Aluminum
  • Antimoine
  • Bismuth
  • Césium
  • Chrome
  • Cobalt
  • Cuivre
  • Fluorine
  • Gallium
  • Germanium
  • Graphite
  • Hélium
  • Indium
  • Lithium
  • Magnésium
  • Manganèse
  • Molybdène
  • Nickel
  • Niobium
  • Métaux du groupe platine
  • Potasse
  • Éléments des terres rares
  • Scandium
  • Tantale
  • Tellure
  • Étain
  • Titane
  • Tungstène
  • Uranium
  • Vanadium
  • Zinc

 

Le secteur des minéraux critiques comprend toutes les étapes de la chaîne de valeur (p. ex., exploration, mise en valeur et production, transformation et raffinage des ressources, etc.).

Nouvelles règles applicables aux investissements d’entreprises d’État étrangères dans le secteur des minéraux critiques

Régime d’avantage net – à titre exceptionnel uniquement

Lorsqu’un investissement effectué par une entreprise d’État étrangère (ou un investisseur privé influencé par des intérêts étrangers, comme décrit ci-dessus) entraîne une « acquisition de contrôle » directe d’une entreprise canadienne et dépasse le seuil applicable à l’examen ministériel préalable à la clôture en vertu du cadre général de l’avantage net de la LIC, l’approbation ne sera accordée qu’« à titre exceptionnel ». Des facteurs à prendre en compte pour établir si un investissement proposé est susceptible de procurer un avantage net au Canada incluent :

  • la mesure dans laquelle un État étranger est susceptible d’exercer directement un contrôle opérationnel et stratégique sur l’entreprise canadienne à la suite de la transaction;
  • le degré de concurrence existant dans le secteur ainsi que le potentiel de concentration importante de la propriété étrangère dans le secteur à la suite de la transaction;
  • la gouvernance d’entreprise et la structure hiérarchique de l’entreprise d’État étrangère;
  • si l’entreprise canadienne faisant l’objet du projet d’acquisition est susceptible de poursuivre ses activités commerciales.

Le renvoi à une approbation délivrée « à titre exceptionnel » rappelle le libellé utilisé dans la déclaration concernant les investissements par des sociétés d’État étrangères de 2012 en ce qui concerne les investissements étrangers dans les sables bitumineux. Ce renvoi vise manifestement à décourager et à restreindre les acquisitions importantes de contrôle dans le secteur des minéraux critiques par des entreprises d’État étrangères.

Régime de sécurité nationale – risque accru

La politique stipule que tout investissement effectué par des entreprises d’État étrangères (ou des investisseurs privés influencés par des intérêts étrangers, comme décrits précédemment) auquel est partie une entreprise ou une entité canadienne exploitant ses activités dans un secteur de minéraux critiques au Canada constituera la base d’une conclusion selon laquelle l’investissement pourrait être « susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale ». L’utilisation de cette phrase laisse entendre que tout investisseur étranger ayant un investissement direct ou indirect dans une entreprise d’État et effectuant un investissement de quelque importance que ce soit dans le secteur des minéraux critiques du Canada doit s’attendre à recevoir un avis, conformément à l’article 25.2 de la LIC, indiquant qu’un examen relatif à la sécurité nationale par le Cabinet de l’investissement peut être ordonné. Il s’agit d’une étape intermédiaire du processus d’examen relatif à la sécurité nationale et, dans nombre de cas, aucune autre mesure n’est prise. Toutefois, l’émission d’un avis au titre de l’article 25.2 fait obstacle à la clôture, si celle-ci n’a pas encore eu lieu, jusqu’à ce que le gouvernement confirme qu’aucune autre mesure ne sera prise.

Bien qu’une déclaration préalable à la clôture puisse entraîner un retard, les récentes ordonnances de désinvestissement du gouvernement font valoir le risque d’un examen après la clôture et une éventuelle mesure corrective pour répondre aux préoccupations relatives à la sécurité nationale dans les cas où un investisseur choisit de déposer un avis obligatoire après la clôture plutôt qu’avant la clôture (dans le cas d’acquisitions de contrôle où l’examen de l’avantage net n’est pas déclenché) ou choisit de ne pas signaler volontairement l’investissement (dans le cas d’investissements sans acquisition de contrôle, comme nous l’indiquions dans notre bulletin d’actualités antérieur).

La politique comprend une liste de facteurs qui peuvent être pris en compte par le gouvernement dans le cadre de son examen relatif à la sécurité nationale :

  • l’importance, l’étendue et l’emplacement de l’entreprise canadienne;
  • la nature et la valeur stratégique pour le Canada des actifs minéraux ou de la chaîne d’approvisionnement en question;
  • le degré de contrôle ou d’influence qu’une entreprise d’État serait susceptible d’exercer sur l’entreprise canadienne ainsi que sur la chaîne d’approvisionnement et l’industrie;
  • l’effet que la transaction peut avoir sur la capacité des chaînes d’approvisionnement canadiennes à exploiter l’actif ou à accéder à d’autres sources (y compris l’approvisionnement national);
  • les circonstances géopolitiques actuelles et l’incidence potentielle sur des relations entre pays alliés.

Pour obtenir d’autres renseignements sur la politique ou si vous avez d’autres questions sur le régime d’examen des investissements étrangers du Canada, veuillez communiquer avec les membres du Groupe du droit de la concurrence et investissement étranger d’Osler.