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Sociétaire, Propriété intellectuelle, Ottawa
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Toutes les entreprises mettent en pratique diverses stratégies de marque et de marketing, et sont inévitablement tenues de se conformer aux lois en matière de marques de commerce. Dans le secteur des marques de commerce au Canada, peu de mots ont plus de poids que les termes « emploi » ou « usage » définis dans la loi. Sous leur apparente simplicité, ces termes cachent des notions fondamentales visant à protéger votre marque, à anticiper les litiges coûteux et à mieux vous défendre en cas de conflit inévitable.
L’« usage » et l’« emploi » constituent depuis longtemps les fondements de la définition, de l’application et du maintien des droits afférents aux marques de commerce. L’importance de la compréhension et de l’application de ces termes est sans précédent, comme en témoignent les récents changements apportés à la Loi sur les marques de commerce. Vous trouverez un aperçu de ces changements dans le précédent Bulletin d’actualités Osler.
L’objectif de ce bulletin d’actualités consiste à clarifier la notion d’« emploi » et d’« usage » dans la législation sur les marques de commerce au Canada et d’encourager et d’outiller les entreprises, quels que soient leur secteur ou leur taille, afin qu’elles harmonisent, de manière proactive, l’obligation d’un « usage » conforme des marques dans leurs campagnes de marketing, leurs stratégies de marque et leurs objectifs de croissance à long terme.
À quel moment la notion d’« emploi » ou d’« usage » est-elle importante?
Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada, en matière de marques de commerce, « le mot d’ordre est qu’il faut “les employer sous peine de les perdre” »[1]. La question de l’« emploi » d’une marque se pose régulièrement, notamment dans les situations suivantes :
- Acquisition des droits afférents à une marque de commerce (sans enregistrement). La Loi sur les marques de commerce définit une « marque de commerce » comme « un signe ou une combinaison de signes employés par une personne ou que celle-ci projette d’employer pour distinguer, ou de façon à distinguer, ses produits ou services de ceux d’autres personnes ». Pour acquérir les droits afférents à une marque de commerce (sans dépôt ni enregistrement de la marque au Canada), le propriétaire doit employer la marque dans le but de distinguer ses produits ou services de ceux des autres[2]. L’emploi est une condition nécessaire pour qu’une marque non enregistrée soit valide et opposable en tant que marque[3].
- Enregistrement d’une marque de commerce. Même si les changements apportés à la Loi sur les marques de commerce en 2019 ont levé l’obligation de déclarer l’emploi avant l’enregistrement d’une marque, l’emploi conserve toute son importance pour obtenir une marque enregistrée. L’alinéa 16(1)a) de la Loi sur les marques de commerce prévoit qu’un requérant n’a pas le droit d’enregistrer une marque si, à la date de production de la demande ou à la date à laquelle la marque a été employée pour la première fois au Canada, la première éventualité étant à retenir, la marque a créé de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne[4]. L’emploi antérieur par des tiers d’une marque susceptible de prêter à confusion peut ainsi faire obstacle à l’obtention des protections étendues qu’offre l’enregistrement. La meilleure pratique pour les entreprises consiste à commencer à employer leur marque potentielle le plus tôt possible.
- Maintien en vigueur d’une marque de commerce enregistrée. Si le propriétaire d’un enregistrement cesse d’employer la marque enregistrée au Canada, l’enregistrement peut être radié pour non-usage. Toute personne peut engager des procédures d’annulation en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, sur demande, moyennant le paiement des droits prescrits, à condition que l’enregistrement de la marque soit fait depuis au moins trois ans. Lorsque des procédures d’annulation sont entamées, le propriétaire de l’enregistrement est tenu de fournir, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services (ou des produits ou services contestés par la partie requérante) – qui doivent avoir été enregistrés au Canada au cours des trois années précédentes –, la preuve que la marque de commerce a été employée. Le registraire des marques de commerce peut également lancer des procédures d’annulation sur certaines marques enregistrées choisies au hasard[5]. Si la preuve que la marque de commerce a été employée est insuffisante, l’enregistrement sera radié ou modifié dans le but de supprimer tous les produits ou services enregistrés pour lesquels aucune preuve d’emploi n’a été fournie. De plus, un enregistrement peut être radié par la Cour fédérale si la marque de commerce a été abandonnée, y compris pour cause de défaut d’usage régulier de la marque[6].
- Application des droits afférents à une marque de commerce. Dans une certaine mesure, l’usage de la marque de commerce est soulevé dans pratiquement tous les litiges à cet égard. Selon la nature des demandes principales et reconventionnelles, le requérant peut être tenu de prouver qu’il a employé les marques revendiquées, que la partie défenderesse a employé les marques prétendument en cause (ou toute marque semblable susceptible de créer de la confusion), voire des deux[7]. L’« emploi » d’une marque est une condition préalable à toute réclamation pour violation du droit du propriétaire de la marque de commerce, commercialisation trompeuse ou dépréciation de l’achalandage, ainsi qu’aux recours qui s’y rattachent[8]. Si une action en violation du droit du propriétaire de la marque de commerce ou dépréciation de l’achalandage est intentée dans les trois premières années qui suivent l’enregistrement, le propriétaire de la marque doit prouver qu’il a employé sa marque de commerce au Canada[9].
Comment « employer » une marque de commerce?
La Loi sur les marques de commerce du Canada prévoit une définition distincte des termes « emploi » ou « usage » selon leur application à des produits ou à des services, et il est essentiel de bien comprendre les différentes normes à respecter sur le plan juridique.
L’emploi en liaison avec des produits est défini au paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce :
Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
Cette définition met en lumière trois grands principes permettant de comprendre l’emploi en liaison avec des produits :
- L’emploi de la marque de commerce intervient au moment du transfert des produits. Le simple fait de faire de la publicité pour des produits en employant une marque ne constitue pas un emploi en liaison avec des produits[10]. Un transfert de propriété ou de possession des produits doit avoir eu lieu.
- Les produits doivent être transférés dans la pratique normale du commerce, dans le cadre d’une véritable opération commerciale, exigeant un paiement ou un échange pour les produits ou en anticipation de commandes futures des produits[11]. L’emploi nécessite généralement une vente des produits associés à la marque de commerce. Par exemple, les situations dans lesquelles les produits sont donnés ou des échantillons sont distribués gratuitement (sans qu’aucune vente du produit ne se concrétise par la suite) pourraient ne pas être admises à titre de transfert dans la pratique normale du commerce[12]. Toutefois, la réalisation d’un bénéfice n’est pas une exigence stricte et un transfert sans contrepartie peut, dans certaines circonstances, être considéré comme un transfert dans la pratique normale du commerce[13].
- La marque de commerce doit être en liaison avec des produits au moment du transfert, à tel point qu’un avis est alors donné à l’acheteur de la liaison entre la marque de commerce et les produits. Cet avis peut se faire en veillant à ce que la marque de commerce 1) soit apposée sur les produits; 2) soit apposée sur l’emballage; ou 3) soit par ailleurs en liaison avec le produit afin que l’avis concernant la liaison soit donné à la personne à qui les produits sont transférés. Par exemple, la marque de commerce peut être mise en évidence sur des étiquettes attachées aux produits, sur des éléments visuels ou des présentoirs aux points de vente, sur des sites Web de commerce électronique ou sur des factures, à condition que l’acheteur puisse faire le lien entre la marque de commerce et les produits au moment de la vente.
L’emploi en liaison avec des produits nécessite des preuves qui démontrent, au minimum, que les produits qui y sont associés ont été vendus au Canada (p. ex., les factures ou le registre des ventes) et que la marque de commerce était apposée sur les produits ou associée à ceux-ci au point de vente (p. ex, grâce à des images des produits ou des étiquettes sur lesquels la marque de commerce est apposée). La preuve d’une seule vente de chaque produit enregistré peut être suffisante pour maintenir un enregistrement dans le cadre de procédures d’annulation. Toutefois, la preuve exigée dans les procédures d’application varie selon la nature des demandes principales et reconventionnelles présentées et selon que le propriétaire est la partie demanderesse ou la partie défenderesse.
L’une des particularités du droit au Canada est qu’il peut y avoir usage présumé d’une marque de commerce en liaison avec des produits si la marque de commerce est apposée sur des produits exportés du Canada[14]. Cette particularité peut représenter un avantage stratégique pour les fabricants qui exportent du Canada, puisqu’ils peuvent conserver les droits afférents à la marque au Canada même s’ils sont absents sur le marché national. Pour se prévaloir de cette disposition, le propriétaire de la marque de commerce doit démontrer que celle-ci a été apposée sur les produits ou leur emballage avant leur exportation. Par conséquent, il convient de conserver des preuves (p. ex., les documents d’expédition, fiches de production, images des produits ou étiquettes sur lesquelles la marque est apposée).
L’emploi en liaison avec des services est défini au paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce :
Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.
Les exigences relatives à l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des services sont différentes. En effet, un tel emploi n’exige pas qu’un transfert ait lieu à un certain moment ni qu’une opération commerciale soit conclue. Il suffit que la marque de commerce soit employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.
Les services en liaison avec une marque de commerce doivent être effectués (ou être disponibles en vue d’être effectués) au Canada pour constituer un usage[15]. Comme la notion de services peut comprendre les services primaires ainsi que les services accessoires, même si le service primaire est fourni à l’étranger, le propriétaire de la marque peut toujours être en mesure de démontrer l’emploi en liaison avec le service si les consommateurs tirent des avantages importants des services accessoires ou auxiliaires qui sont fournis au Canada[16]. À titre d’exemple, les « services d’hôtellerie » comprennent des services accessoires de réservation et de paiement, de sorte que l’exécution de ces services au Canada a suffi pour conclure que les « services d’hôtellerie » étaient exécutés au Canada, même si l’hôtel était situé à l’étranger[17].
Les preuves exigées pour démontrer l’emploi en liaison avec des services varient selon la nature des services et comprennent, entre autres, les copies du matériel de marketing, les captures d’écran du site Web du propriétaire, des médias sociaux ou de la publicité en ligne des services affichant la marque, ou les images montrant la marque affichée sur les éléments visuels à l’extérieur ou à l’intérieur du lieu où les services sont rendus. Des preuves de vente ne sont pas absolument nécessaires, mais elles peuvent être utiles.
L’emploi par les licenciés peut être considéré comme un usage par le propriétaire de la marque de commerce qui concède la licence, à condition que certaines conditions supplémentaires prévues à l’article 50 de la Loi sur les marques de commerce soient également respectées. Le propriétaire de la marque doit avoir consenti à son usage par le licencié et exercer, en vertu de la licence, un contrôle direct ou indirect sur la nature ou la qualité des produits ou des services.
Points à retenir
Les marques de commerce sont des actifs commerciaux de grande valeur pour leur propriétaire. Il est important d’adopter des mesures proactives pour assurer l’emploi adéquat des marques afin de protéger les droits qui s’y rattachent, de les maintenir en vigueur et de les faire respecter. Les critères suivants s’inscrivent parmi les pratiques exemplaires à adopter pour instaurer de bonnes habitudes en matière d’emploi des marques de commerce au Canada :
- S’assurer que les marques de commerce sont apposées directement sur les produits ou sur leur emballage et/ou qu’elles sont affichées de manière visible à proximité des produits à l’endroit où ceux-ci sont vendus.
- Les marques de commerce doivent être mises en évidence dans l’annonce et l’exécution des services, y compris (si possible) à l’endroit où ceux-ci sont fournis.
- Le matériel de marketing et les documents commerciaux relatifs à la vente des produits, à l’exécution des services et aux annonces doivent être réunis et conservés, notamment les journaux des ventes, les photographies datées, les factures, les documents d’expédition et les captures d’écran qui prouvent l’emploi d’une marque de commerce de manière ininterrompue.
- Les entreprises qui disposent d’un portefeuille de marques de commerce déposées doivent procéder à un examen périodique afin de confirmer que chacune de ces marques est toujours employée pour chacun des produits et/ou des services protégés par un enregistrement qui demeure pertinent pour l’entreprise.
- L’emploi des marques de commerce du propriétaire par des tiers doit être encadré par une convention de licence conclue par écrit, prévoyant que le propriétaire a un droit de regard sur la nature et la qualité des produits et des services vendus ou fournis par le licencié qui emploie la marque (y compris des inspections périodiques), et obligeant le licencié à tenir des registres détaillés sur la façon dont la marque est employée.
- L’emploi d’une marque de commerce d’un tiers dans tout matériel de publicité comparative doit être soigneusement examiné afin de s’assurer qu’il ne constitue pas un « emploi » de cette marque ou qu’il ne contrevient pas aux droits afférents à cette marque du tiers.
Si vous avez besoin d’accompagnement dans le paysage complexe du droit des marques de commerce au Canada ou de services pour enregistrer, faire respecter ou maintenir les droits afférents à vos marques de commerce au Canada, veuillez communiquer avec un membre du groupe du droit de la propriété intellectuelle d’Osler.
[1] Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, par. 5.
[2] Nissan Canada Inc. c. BMW Canada Inc., 2007 CAF 255, par. 16.
[3] Sandhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd., 2019 CAF 295, par. 39.
[4] Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 16(1)a).
[5] Pour plus de précisions, consultez notre Bulletin d’actualités Osler portant sur le projet pilote lancé par la Commission des oppositions des marques de commerce, dans le cadre duquel, de sa propre initiative, le registraire des marques de commerce engagera des procédures d’annulation d’enregistrements choisis au hasard.
[6] Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, articles 18(1)c) et 57.
[7] Malboro Canada Limitée c. Philip Morris Products S.A., 2012 CAF 201, par. 49; Positive Attitude Safety System Inc. c. Albian Sands Energy Inc. (C.A.F.), 2005 CAF 332, par. 33.
[8] Red Label Vacations Inc c. 411 Travel Buys Limited, 2015 CAF 290, par. 20 à 22.
[9] Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 53.2(1.1).
[10] Loblaws Inc. c. Columbia Insurance Company, 2019 CF 961, par. 131, confirmé par 2021 CAF 29.
[11] Distrimedic Inc. c. Dispill Inc., 2013 CF 1043, par. 302.
[12] Cordon Bleu International Ltd. c. Renaud Cointreau & Cie., [2000] ACF No 1414 (QL); Distrimedic Inc. c. Dispill Inc., 2013 CF 1043, par. 302 et 303.
[13] Voir Cosmetic Warriors Limited c. Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2019 CAF 48, par. 18 à 30.
[14] Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 4(3).
[15] Miller Thomson S.E.N.C.R.L., S.R.L. c. Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134, par. 7.
[16] Miller Thomson S.E.N.C.R.L., S.R.L. c. Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134, par. 152.
[17] Miller Thomson S.E.N.C.R.L., S.R.L. c. Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134.