Auteur
Ancien coprésident national, Associé, Droit des sociétés, Montréal
Les opérations privées de style public sont des opérations de fusion et acquisition entre sociétés fermées, qui sont structurées et menées à bien selon un modèle de répartition des risques similaire à celui des opérations d’acquisition entre sociétés ouvertes.
Ces opérations ont d’abord été observées aux États-Unis, mais leur structure a été reproduite au Canada, notamment dans le cadre d’opérations de capital-investissement majeures qui soulevaient un vif intérêt.
Les capitaux abondent sur les marchés, mais les occasions d’acquisition sont limitées; c’est pourquoi, dans certains cas, les vendeurs ont réussi à transférer davantage de risques aux acheteurs, des risques qu’ils n’assumaient pas jusqu’à tout récemment.
Et cette tendance pourrait bien s’amplifier; il est donc important pour les sociétés de capital-investissement et tout autre acheteur de bien comprendre les enjeux liés à ce type d’opérations et, pour les vendeurs, d’en comprendre le potentiel.
Opérations privées de style public et risques
Les contrats de fusion et acquisition entre des sociétés fermées ont toujours inclus des mesures robustes visant à protéger les acheteurs contre les risques associés à de telles opérations, que les acheteurs soient des fonds de capital-investissement ou non.
Ces mesures de protection consistent en une longue liste de déclarations et de garanties, une communication exhaustive d’information, des indemnités, des entiercements et des retenues, et bien plus parfois!
Ces mesures permettent de limiter la possibilité que des réclamations soient déposées après la conclusion d’une opération, mais également de fournir à un acheteur une base solide pour engager des actions en justice contre un vendeur à la suite de violation des déclarations, de garanties ou d’engagements.
Cette manière de structurer les opérations de fusion et acquisition entre sociétés fermées tranche nettement avec celle des opérations entre sociétés ouvertes, dans le cadre desquelles l’acheteur assume essentiellement tous les risques et les actionnaires vendeurs de la société cible n’ont aucun recours après la conclusion de l’opération. Dans le cas des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes, les actionnaires vendeurs ne fournissent pas d’indemnités, d’engagements après clôture, d’entiercements, de retenues, ni d’autres garanties.
Transférer les risques à l’acheteur
À l’instar des opérations entre sociétés ouvertes, l’acheteur, dans une opération privée de style public, ne pourra pas se prévaloir d’une clause d’entiercement ou de retenue. De plus, et cela est peut-être encore plus étonnant, l’acheteur n’aura accès qu’à une légère protection sous forme d’indemnité.
Plus précisément, autrement qu’aux termes de la protection en cas de violation des déclarations fondamentales ou des engagements clés ou encore en cas de procédures frauduleuses, l’acheteur ne pourra pas déposer de réclamation, au titre d’une indemnisation ou autrement, contre le ou les vendeurs.
Et ce, même à la suite d’une violation des principales déclarations et garanties (ne s’applique pas aux clauses « fondamentales »), notamment celles qui concerne les états financiers, les litiges, l’impôt, les contrats importants, l’absence de changement défavorable important, le cours normal des activités, l’environnement ou la propriété intellectuelle, etc.
L’acheteur assume donc pratiquement tous les risques. La société fermée vendeuse est traitée presque de la même façon que l’actionnaire d’une société ouverte lorsque celui-ci vend les actions qu’il détient dans cette dernière.
Atténuer les risques associés aux opérations privées de style public
Pour atténuer les risques associés à de telles opérations, les acheteurs n’ont pas d’autres choix que de scruter à la loupe l’ensemble des renseignements de nature financière, technique, commerciale, fiscale, juridique fournis, ainsi que ceux relatifs aux ressources humaines et les autres éléments de contrôle diligent.
Les acheteurs doivent, de surcroît, souscrire et payer eux-mêmes une assurance déclarations et garanties (ADG), laquelle, essentiellement, assure le transfert de la responsabilité en cas de violation de plusieurs (mais pas de la totalité) des déclarations faites par les vendeurs à une tierce partie.
Dans un contexte de vive concurrence, l’ADG pourra éventuellement permettre à un acheteur de prendre l’avantage dans le processus d’appels d’offres (dans la mesure où le vendeur y verra l’occasion de se soustraire à une clause d’indemnisation ou d’entiercement) et, en général, cette assurance constitue la seule solution de rechange réaliste aux dispositions d’indemnisation habituelles, qui sont très efficaces, et favorisent l’acheteur.
Les acheteurs devraient néanmoins garder à l’esprit que l’ADG ne constitue pas nécessairement la solution de rechange ultime aux clauses d’indemnisation en faveur du vendeur, et ils devraient s’assurer de bien comprendre l’incidence de cette solution sur la répartition des risques.
L’ADG peut ne pas couvrir toutes les responsabilités, être coûteuse, ne pas s’appliquer aux renseignements qui ont été déclarés durant le processus, exiger du temps et un contrôle diligent rigoureux, et, dans certains cas, ne pas être offerte.
Autres points à considérer
D’autres points liés aux opérations privées de style public sont à prendre en considération : en fait, tout, depuis les définitions (notamment les clauses de sauvegarde) jusqu’aux dispositions de financement.
Les acheteurs doivent examiner en profondeur tous ces points et en tenir compte durant le processus d’appels d’offres, de même qu’au moment de fixer les coûts et d’établir les modalités de l’opération.
Les vendeurs, pour leur part, doivent déterminer si l’actif qu’ils offrent à la vente « convient » bien à ce type d’opération.
Il conviendra aux actifs les plus importants et les plus prisés. Les actifs de valeur moindre et les actifs qui ne génèrent pas un intérêt marqué sur le marché ne se prêteront pas à ce type de structure d’opération; les acheteurs ne le permettraient pas.
Les acheteurs seront disposés à accepter une opération privée de style public seulement si la concurrence est vive pour acquérir l’actif visé. Le plus souvent, ce type d’opération se voit dans les ventes entre promoteurs de sociétés de capital investissement. Ce sera rarement la solution choisie par les acheteurs stratégiques ni par les propriétaires-exploitants de petites sociétés.
Dernières réflexions
Compte tenu de la situation actuelle sur les marchés, dans laquelle les capitaux abondent, mais les occasions de fusion et acquisition sont limitées, les opérations privées de style public deviendront vraisemblablement de plus en plus fréquentes, surtout dans le secteur du capital-investissement.
Les vendeurs chercheront à profiter de la vive concurrence sur les marchés pour négocier des modalités qui leur sont favorables, et qui, dans certains cas, ne comporteront pas de clauses d’indemnisation ni d’autres protections habituelles.
Il est important que les acheteurs comprennent bien et évaluent avec soin tous les risques et les avantages avant de procéder à une opération privée de style public. Les vendeurs devraient envisager d’exiger de telles structures.
*Remarque : Cet article avait paru à l’origine dans The PE Hub Network.