Les produits de santé naturels (PSN) sont de plus en plus populaires, grâce à l’offre d’une gamme variée de produits biologiques et de bien-être aux consommateurs canadiens. Le secteur canadien des PSN a connu un essor remarquable, sa valeur passant, selon les estimations, de 4,3 milliards de dollars en 2007 à plus de 13,2 milliards de dollars en 2021.[1] Une telle popularité offre de nouvelles possibilités, mais pour les saisir, les entreprises de ce secteur doivent faire attention de bien gérer leur propriété intellectuelle (PI) et de bien observer la réglementation.
La PI et l’observation de la réglementation forment la base de l’avantage concurrentiel d’une entreprise et de son succès sur le marché. Dans le présent bulletin, nous nous penchons sur ces deux questions essentielles et soulignons comment les entreprises qui adoptent une approche stratégique en matière de propriété intellectuelle et d’observation de la réglementation peuvent bénéficier d’un avantage concurrentiel dans le secteur des PSN en pleine expansion. En outre, nous faisons le point sur les plus récentes modifications législatives et réglementaires ayant une incidence sur les PSN et relevons les modifications imminentes.
Qu’est-ce qu’un produit de santé naturel?
Les PSN sont des substances naturelles utilisées pour rétablir ou maintenir une bonne santé. Souvent appelés « remèdes complémentaires » ou « produits de médecines douces », ils sont vendus sans ordonnance.[2] Ils sont souvent faits à base de plantes, mais peuvent aussi être fabriqués à partir de microorganismes et provenir de sources animales et marines.[3] Les PSN se présentent sous forme de comprimés, de gélules, de crèmes, de solutions et de gouttes, entre autres, et comprennent de nombreux produits tels que les vitamines et minéraux, les remèdes à base de plantes, les remèdes homéopathiques, les probiotiques, les remèdes traditionnels et des produits de consommation d’usage courant comme des dentifrices, des shampooings et des produits pour le visage.
PI afférente aux PSN
Sur un marché encombré de PSN, la PI peut servir à différencier les produits d’une entreprise. Grâce aux droits de PI, un produit peut se forger une identité unique qui le rend plus reconnaissable et plus fiable auprès des consommateurs. Une telle identité est particulièrement précieuse sur un marché réglementé où la confiance des consommateurs est primordiale.
Les brevets procurent à une entreprise un bouclier juridique contre ses concurrents : ils lui confèrent des droits exclusifs d’utilisation et de commercialisation de l’invention, ils dissuadent les autres de copier ou de vendre des produits manifestement similaires et ils lui permettent d’intenter une action en justice en cas de violation de ces droits. Une telle exclusivité peut constituer un avantage concurrentiel important, susceptible d’entraîner une augmentation de la part de marché et du chiffre d’affaires. Pour les entreprises qui souhaitent attirer des investissements ou se développer, un brevet constitue un atout utile qui peut mettre en valeur une nouvelle technologie, encourager la confiance des investisseurs et faciliter la croissance.
Malgré ces avantages, il est remarquable de constater combien de PSN ne sont pas protégés par un brevet. Cela s’explique peut-être par le fait que l’on croit que, du fait qu’ils sont des « produits naturels », les PSN ne sont pas brevetables au Canada. Cependant, comme tout autre produit, les PSN sont brevetables au Canada à condition qu’ils remplissent les critères de brevetabilité, à savoir qu’ils sont nouveaux (c.-à-d. qu’ils ne doivent pas avoir précédemment fait l’objet d’une communication qui les a rendus accessibles au public), non évidents et utiles.
Même si la substance naturelle contenue dans un PSN a fait l’objet d’une communication qui l’a rendue accessible au public, ce qui rendrait la substance naturelle elle-même non brevetable, les éléments suivants sont brevetables :
- des combinaisons de substances naturelles connues qui, ensemble, donnent un résultat surprenant et inattendu
- les procédés appliqués aux substances naturelles (c.-à-d. l’extraction, l’isolation ou la synthétisation de ces substances)
- les nouvelles utilisations des substances naturelles
- les nouvelles compositions de substances naturelles servant à traiter une affection particulière
- de nouvelles posologies ou de nouveaux schémas d’administration des substances naturelles
En se dotant d’un avis quant à la brevetabilité d’un PSN et quant à son savoir-faire spécialisé dans la production et l’utilisation du PSN, une entreprise peut découvrir des façons d’obtenir des droits protégés par brevet, même si le PSN comprend des substances naturelles déjà connues. Si vous entendez déposer une demande de brevet, il est important que vous le fassiez avant de vendre l’invention contenue dans le produit ou de la communiquer au public (bien qu’il y ait une période de grâce d’un an pour le dépôt d’une demande de brevet après une telle communication au Canada et aux États-Unis), afin de préserver vos droits à l’échelle mondiale.
En outre, alors que, pour obtenir une licence de mise en marché d’un PSN, il faut fournir à l’appui des allégations santé des preuves scientifiques, telles que les résultats d’un essai clinique ou des articles scientifiques provenant de sources réputées, ainsi que certaines données reflétant l’utilisation humaine,[4] pour obtenir un brevet, il est possible de fournir à l’appui des allégations d’utilisation des preuves beaucoup plus faibles. Pour satisfaire au critère de brevetabilité d’« utilité » d’une invention revendiquée par un brevet, on peut fournir des preuves tirées d’études in vitro ou sur les animaux. Pour cette raison, une entreprise peut souvent déposer une demande de brevet beaucoup plus tôt dans le processus de développement que lorsqu’elle dépose une demande de licence de mise en marché du PSN. En obtenant des droits de brevet rapidement, une entreprise peut naviguer plus efficacement dans le paysage réglementaire, ce qui garantit que ses produits sont non seulement conformes, mais aussi qu’ils bénéficient d’une plus longue période d’exclusivité sur le marché.
Réglementation des PSN
De manière générale, on considère que les PSN présentent moins de risques que les médicaments pharmaceutiques, mais ils ne sont pas exempts de risques. C’est pour cette raison qu’en 2004, le gouvernement fédéral a adopté le Règlement sur les produits de santé naturels[5] (le Règlement sur les PSN), qui confère à Santé Canada le pouvoir d’encadrer les PSN. Le Règlement sur les PSN confère à Santé Canada la responsabilité de veiller à ce que les PSN soient sécuritaires, efficaces et de haute qualité.[6]
Depuis l’entrée en vigueur du Règlement sur les PSN, pour vendre légalement un PSN au Canada, une entreprise doit obtenir une licence de mise en marché à son égard, et les installations participant à sa fabrication, à son emballage, à son étiquetage et à son importation ont besoin d’une licence d’exploitation. Depuis leur création en 2004, ces licences ont imposé des normes particulières d’étiquetage et d’emballage, le respect de bonnes pratiques de fabrication et la fourniture de preuves d’innocuité et d’efficacité à Santé Canada.[7]
En franchissant des étapes sur la voie réglementaire, telles que l’obtention d’une licence de mise en marché ou d’une licence d’exploitation, une entreprise peut considérablement accroître la valeur de son portefeuille de produits et de PI. En obtenant de telles licences, elle valide la capacité de mise en marché d’un produit. En outre, elle peut exploiter ces licences dans le cadre d’accords de licence, de partenariats, voire de levées de fonds. En suivant de manière proactive les changements réglementaires et en anticipant l’évolution des exigences de conformité, une entreprise peut naviguer habilement dans les processus d’approbation complexes, éviter les retards coûteux et capitaliser sur les avantages de la première arrivée. Il est essentiel qu’une entreprise exerce une telle vigilance pour débloquer les opportunités du marché, favoriser la confiance des consommateurs et, en fin de compte, cimenter sa position dans l’arène concurrentielle des PSN.
Changements récents dans la réglementation
Au cours des dernières années, les entreprises de PSN ont dû faire face à une série de changements dans le cadre réglementaire des PSN. Nous soulignons ci-dessous quelques-uns de ces changements, à savoir :
- les modifications apportées à la Loi sur les aliments et drogues[8] (LAD) par le biais de deux projets de loi omnibus, les projets de loi C-47 et C-69
- les nouvelles exigences en matière d’étiquetage découlant du Règlement modifiant le Règlement sur les produits de santé naturels[9]
- les ajustements de la structure des frais proposés par Santé Canada dans les révisions des frais qu’il a proposées pour les PSN[10]
Les PSN sont des produits thérapeutiques au sens de la LAD
En juin 2023, un projet de loi omnibus (le projet de loi C-47), qui, en partie, modifiait la LAD, a reçu la sanction royale. L’une des modifications les plus notables apportées à la LAD, qui a pris effet immédiatement, était l’élargissement de la définition de « produit thérapeutique » afin d’y inclure les PSN.[11]
Ce seul changement a permis à Santé Canada de renforcer son encadrement des PSN, y compris la capacité d’ordonner le rappel des PSN qui présentent un risque grave ou imminent d’atteinte à la santé humaine, d’exiger un changement d’étiquette ou une modification de l’emballage afin de prévenir un préjudice grave pour la santé et d’imposer des amendes et des pénalités plus lourdes en cas de non-respect de la réglementation.[12]
Bien que, au sens de la LAD, les PSN soient actuellement considérés comme des produits thérapeutiques, cela pourrait changer. Un projet de loi d’initiative parlementaire (le projet de loi C‑368) a été déposé en vue de redéfinir la notion de « produit thérapeutique » dans la LAD, de sorte que les PSN soient à nouveau exclus de la définition. Cette initiative a été motivée par les inquiétudes suscitées par l’augmentation des coûts pour les consommateurs et les entreprises de PSN.[13] Après avoir franchi avec succès l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes le 29 mai 2024, le projet de loi est maintenant passé à l’étape de l’examen en comité.[14]
En juin 2024, un autre projet de loi omnibus (le projet de loi C-69), qui a aussi apporté d’importantes modifications à la LAD, a reçu la sanction royale. Les plus importantes de ces modifications sont l’octroi au ministre de la Santé (le ministre) de nouveaux pouvoirs lui permettant de faire ce qui suit :
Nouveaux pouvoirs ministériels
- soustraire des produits thérapeutiques de certaines exigences de la LAD ou de ses règlements, sous réserve du respect de certaines conditions préalables (relatives au niveau de risque pour la santé, la sécurité ou l’environnement)[15]
- déclarer que certaines exigences de la LAD relativement à un produit thérapeutique sont réputées être respectées sur le fondement d’une décision d’une autorité réglementaire étrangère ou de renseignements émanant de celle-ci, sous réserve du respect de certaines conditions préalables[16]
- prendre des arrêtés pour établir des règles relatives à l’importation, à la vente, aux conditions de vente, à la publicité, à la fabrication, à la préparation, à la conservation, à l’emballage, à l’étiquetage, à l’emmagasinage ou à l’examen du produit thérapeutique, afin de prévenir, de gérer ou de contrôler le risque de préjudice à la santé lorsqu’il estime que l’usage d’un produit thérapeutique qui n’est pas celui auquel le produit est destiné peut présenter un risque de préjudice à la santé, même s’il y a une incertitude quant à ce risque[17]
Le pouvoir de soustraire un PSN de certaines exigences de la LAD ou de déclarer que certaines exigences de la LAD sont réputées être respectées sur le fondement d’une décision d’une autorité réglementaire étrangère peut alléger le fardeau réglementaire qui pèse sur une entreprise de PSN. Les entreprises en quête d’un avantage concurrentiel devraient déterminer si elles peuvent se prévaloir de telles exemptions.
Bien que le nouveau pouvoir ministériel permettant d’établir des règles supplémentaires introduise un certain degré d’imprévisibilité, il peut constituer un puissant atout pour les entreprises prévoyantes qui cherchent à se distinguer de la concurrence. Cette imprévisibilité découle de la vaste étendue de ces règles éventuelles, qui peuvent être adoptées en réponse à des risques incertains liés à des usages non souhaités. En outre, elle est exacerbée par le manque de clarté concernant le moment où ces règles sont susceptibles d’être établies (c.-à-d. avant ou après la délivrance d’une licence de mise en marché). En s’engageant de manière proactive sur la voie réglementaire et en élaborant une stratégie souple en matière de conformité, une entreprise peut s’adapter rapidement aux nouvelles règles, influer possiblement sur leur élaboration et s’assurer une position de chef de file sur le marché.
Modifications imminentes
Modifications touchant l’étiquetage
Le Règlement modifiant le Règlement sur les produits de santé naturels[18] est entré en vigueur le 21 juin 2022. Toutefois, en ce qui concerne les dispositions relatives à l’étiquetage (articles 17 à 22), la date d’entrée en vigueur a été reportée de trois ans, soit au 21 juin 2025.
Les modifications relatives à l’étiquetage prévoient de nouvelles exigences telles que celles relatives à la lisibilité générale des mentions devant figurer sur les étiquettes qui indiquent les sources d’allergènes alimentaires et de gluten. Pour tout PSN qui ne fait pas partie des exceptions prévues, l’étiquette doit également comprendre un tableau d’information sur le produit indiquant les ingrédients médicinaux, les utilisations, les mises en garde et les allergènes.[19]
Il est essentiel que les entreprises se tiennent informées des nouvelles exigences en matière d’étiquetage qui s’appliquent à leurs produits afin d’éviter des retards et des répercussions coûteuses.
Modifications touchant les frais
D’autres modifications ayant une incidence sur le secteur des PSN sont déjà en préparation. Santé Canada propose d’étendre, à partir de 2025, le recouvrement des coûts aux PSN. À l’heure actuelle, les PSN sont la seule gamme de produits de santé pour laquelle Santé Canada n’impose pas de frais et compte plutôt sur le financement des contribuables. Les frais proposés permettront à Santé Canada de recouvrer une partie des coûts de ses activités de réglementation des PSN.[20] Il s’agit d’un changement important, car le secteur des PSN doit désormais assumer une plus grande responsabilité en matière de frais, ce qui pourrait avoir une incidence considérable sur les activités de nombreuses entreprises du secteur.
On peut également s’interroger sur l’intérêt de payer de tels frais pour l’approbation d’un PSN, en particulier lorsque de nombreux PSN ne sont pas protégés par un brevet.[21] Dans ce contexte, il devient essentiel pour les entreprises de renforcer leurs protections en matière de PI. En développant et en se concentrant sur de solides stratégies en matière de PI, une entreprise peut s’assurer de protéger ses innovations et de bénéficier d’une protection commerciale en échange de son investissement dans les frais de réglementation. Une telle approche est d’autant plus cruciale que les entreprises doivent faire face à des frais d’exploitation croissants, tout en veillant à maintenir une forte présence sur le marché et un avantage concurrentiel.
Conclusion
Dans le secteur compétitif et réglementé des PSN, l’interaction entre la gestion de la PI et l’observation de la réglementation n’est pas seulement une nécessité juridique, mais aussi un catalyseur stratégique. Les entreprises qui reconnaissent ces deux domaines et en tirent parti peuvent s’assurer une position formidable sur le marché. En veillant à ce que les enjeux touchant la PI éclairent les stratégies d’observation de la réglementation, et inversement, une entreprise peut protéger ses innovations, se conformer aux normes du secteur et se donner un avantage concurrentiel durable.
[1] Karolina Zarichna, « Plain-Language-Labelling Impact on Industry » (31 mai 2023).
[2] Gouvernement du Canada, « Produits de santé naturels » (dernière modification le 27 juin 2024).
[3] Gouvernement du Canada, « Frais proposés pour les produits de santé naturels » [PDF] (mai 2013).
[4] Gouvernement du Canada, « Cheminement des demandes de licence de mise en marché des produits de santé naturels qui font l’objet d’allégations santé fondées sur des preuves modernes » (dernière modification le 6 juillet 2022).
[5] Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003-196.
[6] Gouvernement du Canada, supra note 2.
[7] Gouvernement du Canada, « Frais proposés pour les produits de santé naturels » [PDF] (mai 2013).
[8] Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27.
[9] Règlement modifiant le Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2022-146, (2022) La Gazette du Canada, Partie II.
[10] Projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, 1re Session, 44e Législature, 2021 (sanctionné le 22 juin 2023); projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024, 1re Session, 44e Législature, 2021 (sanctionné le 20 juin 2024); Gouvernement du Canada, « Révisions des frais proposés pour les produits de santé naturels » (dernière modification le 15 avril 2024).
[11] Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F-27, art. 2.
[12] Gouvernement du Canada, « Loi visant à protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses (Loi de Vanessa) Modifications à la Loi sur les aliments et drogues (projet de Loi C-17) » (dernière modification le 4 juillet 2023).
[13] Paul Cowley, « Red Deer MP’s natural health product bill passes second reading » (31 mai 2024).
[14] Projet de loi C-368, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (produits de santé naturels), 1re Session, 44e Législature, 2021 (deuxième lecture le 29 mai 2024).
[15] Projet de loi C-69, art. 30.05.
[16] Projet de loi C-69, art. 30.06.
[17] Gouvernement du Canada, « Énoncé concernant la Charte – Projet de loi C-69 : Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024 » (Loi no 1 d’exécution du budget de 2024) (dernière modification le 31 mai 2024), art. 30.01.
[18] Règlement modifiant le Règlement sur les produits de santé naturels,DORS/2022-146, (2022) La Gazette du Canada, Partie II.
[19] Ibid., articles 2.1, 2.4 et 5.1.
[20] Gouvernement du Canada, « Révisions des frais proposés pour les produits de santé naturels » (dernière modification le 15 avril 2024).
[21] Stan Bardal, Natural Health Products: The Gap between Perceptions and Realities, UBCMJ, 2015: 7.1 (11-12).