Auteurs(trice)
Sociétaire, Fiscalité, Montréal
Associé, Respect de la vie privée et gestion de l'information, Toronto
Sociétaire, Fiscalité, Montréal
Dans ce bulletin d’actualités :
- Le 17 juin 2022, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision dans l’affaire Collins Family Trust concernant la possibilité d’une annulation en equity et de recours en equity, de façon plus générale, pour corriger des erreurs ayant une incidence fiscale.
- La CSC a admis l’argument du gouvernement selon lequel les principes évoqués dans ses décisions antérieures concernant la rectification s’appliquent à toute réparation en equity, et il existe une interdiction générale à la planification fiscale rétroactive.
- Les contribuables seront liés par les résultats fiscaux d’opérations qu’ils ont conclues et disposeront de très peu de recours à l’égard de tout genre d’erreur de planification fiscale.
Contexte de l’appel
En 2016, la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Fairmont :[1] elle y limitait les possibilités de recours en equity pour obtenir une rectification dans un contexte fiscal lorsque l’entente réelle n’était pas consignée adéquatement dans un document écrit régissant les rapports juridiques. Autrement dit, le simple fait qu’une entente donnée ne produise pas les résultats fiscaux escomptés ne suffit pas pour se voir accorder une rectification.
Collins Family Trust[2] aborde la possibilité du recours en equity distinct que constitue l’annulation dans le contexte d’erreurs ayant une incidence fiscale imprévue et indésirable. Contrairement à la rectification, qui permet aux parties de corriger les erreurs dans les documents écrits où leur entente réelle n’avait pas été adéquatement consignée, l’annulation permet de rescinder une opération, dans les cas où une erreur est suffisamment importante et où il serait inique de ne pas annuler l’opération. Ce critère d’application du recours à l’annulation a été exprimé par la Cour suprême du Royaume-Uni dans Pitt c. Holt,[3] et adopté par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans Pallen Trust.[4] Plus précisément, la Cour suprême du Royaume-Uni a conclu qu’une erreur ayant une incidence fiscale peut être une erreur pertinente aux fins de ce critère.
Dans l’affaire Pallen Trust, dont la décision a été rendue avant celle de l’affaire Fairmont, la Cour a autorisé l’annulation à l’égard de dividendes versés aux termes d’un plan fiscal qui impliquait de déclencher délibérément la règle anti-évitement figurant à la sous-section 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et qui peut être déclenchée par l’apport de biens dans une fiducie. Une fois le plan fiscal mis en œuvre, la Cour d’appel fédérale a statué que la sous-section 75(2) n’est pas déclenchée lorsque le bien concerné est déposé en contrepartie égale à la juste valeur marchande, contrairement à l’interprétation courante de l’Agence du revenu du Canada et des professionnels de la fiscalité. Par conséquent, la sous-section 75(2) ne s’appliquait pas au plan fiscal en cause dans Pallen Trust, et le plan fiscal ne fonctionnait plus. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que l’erreur du contribuable quant à l’interprétation appropriée et à l’application de la sous-section 75(2) atteignait le seuil justifiant le recours à l’annulation.
Collins Family Trust portait sur l’application d’une annulation relativement à des faits essentiellement semblables à ceux qui étaient en cause dans Pallen Trust; la question était de savoir si la décision de la Cour suprême dans Fairmont, et en particulier ses déclarations sur le fait que les contribuables n’ont pas le droit de recourir à la rectification pour effectuer de la planification rétroactive, entraînait un résultat différent. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que les recours de rectification et d’annulation sont distincts du point de vue de la loi et que l’arrêt Fairmont ne devrait pas être interprété comme bloquant tout recours en equity lorsqu’un avantage fiscal peut être obtenu. La rectification et l’annulation sont plutôt offertes, chacune, si les critères pertinents sont remplis, quelles que soient les conséquences fiscales.
En appel devant la Cour suprême, la Couronne a soutenu que dans l’arrêt Fairmont, la Cour avait formulé comme des principes fondamentaux le fait que les contribuables devraient être imposés sur ce qu’ils ont réellement fait, et non sur ce qu’ils auraient pu faire, et que les opérations conclues librement et volontairement ne peuvent pas être modifiées rétroactivement dans le but d’éviter des conséquences fiscales non souhaitées. La Couronne a instamment demandé à la Cour de ne pas adopter l’arrêt Pitt c. Holt, mais d’adopter plutôt un critère d’annulation en equity conforme à ces principes, soutenant plus particulièrement que le droit canadien interdit tout genre de planification fiscale rétroactive et que les conséquences fiscales d’une erreur dans la planification fiscale ne devraient pas être considérées comme injustes. Le critère approprié, selon la Couronne, devrait être le fait que le contribuable a, ou non, convenu que l’opération devait être conclue; si le contribuable en avait convenu, il devait assumer les conséquences fiscales de l’opération.
L’intimé a soutenu que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique n’a pas commis d’erreur dans son analyse et qu’il était approprié d’adopter le critère retenu dans l’arrêt Pitt c. Holt, comme plusieurs autres pays du Commonwealth l’ont fait.
Décision majoritaire
Une majorité formée de huit juges a statué en faveur de la Couronne. Les juges majoritaires ont rejeté l’application de l’arrêt Pitt c. Holt en droit canadien, concluant que les principes énoncés dans l’arrêt Fairmont ne se limitaient pas à la rectification, mais qu’ils étaient plus largement applicables à tous les recours en equity, dans le contexte d’erreurs fiscales. Cette application générale a pour effet d’interdire globalement un recours en equity dans le but de réaliser une « planification fiscale rétroactive », même lorsque le contribuable ne pouvait pas avoir raisonnablement prévu les résultats fiscaux préjudiciables, à moins que le critère de rectification établi dans les affaires Fairmont et Jean Coutu puisse être rempli.
Plus particulièrement, les juges majoritaires ont décrit les principes pertinents de l’application générale découlant de l’arrêt Fairmont comme suit :
- « Les conséquences fiscales ne découlent pas des motivations ou des objectifs des parties. Elles découlent plutôt de leurs rapports juridiques librement choisis, tels qu’établis par leurs transactions. »
- Même si les contribuables peuvent structurer leurs affaires de façon à réduire leur impôt à payer, c’est là une arme à double tranchant : ils peuvent également être considérés comme ayant structuré leurs affaires d’une manière qui a fait augmenter leur impôt à payer, et ils ne se voient pas accorder d’avantage fondé sur ce qu’ils auraient pu faire s’ils l’avaient su.
- La question à poser est ce que le contribuable a convenu de faire; tout gain fortuit apparent pour le Trésor public provenant de la perte d’un avantage par le contribuable, ou le fait que le contribuable obtienne un avantage, n’est pas pertinent.
- Un tribunal ne modifierait pas un document simplement parce qu’une partie a découvert que son exécution entraîne une obligation fiscale préjudiciable et imprévue.
Les juges majoritaires ont conclu que le fait que la Cour d’appel se soit fiée à l’arrêt Pitt c. Holt va à l’encontre des principes énoncés précédemment. L’écart entre Pitt c. Holt et le droit canadien est explicable, parce que le droit anglais ne comporte pas l’interdiction relative à la planification fiscale rétroactive énoncée dans Fairmont et Jean Coutu. De plus, la Cour a noté que la conclusion dans Pitt c. Holt ne tient pas compte du fait qu’en vertu du droit canadien, le ministre du Revenu national est tenu d’appliquer les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu aux opérations effectuées par des contribuables. Il s’agit là d’une caractéristique fondamentale du système fiscal canadien qui assure que le public est convaincu que le ministre applique les mêmes lois fiscales, de la même façon, à chacun, sans exercer de pouvoir discrétionnaire de manière irrégulière, ce qui pourrait saper l’intégrité du système dans son ensemble.
La dissidence
La juge Côté, seule dissidente, a souscrit en grande partie au raisonnement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Elle a souligné que l’arrêt Fairmont ne soutient pas la proposition selon laquelle les recours en equity ne peuvent jamais être accordés dans un contexte fiscal, mais que le critère de rectification devrait plutôt être appliqué sans distinction, tant aux affaires fiscales que non fiscales. Il s’ensuit que les recours en equity, plus particulièrement les rectifications, demeurent possibles dans un contexte fiscal, pourvu que le critère requis soit rempli. Cependant, l’arrêt Fairmont n’abordait que le critère exigé pour la rectification, et non les circonstances dans lesquelles l’annulation serait possible. La juge Côté a soutenu que le critère d’annulation énoncé dans l’arrêt Pitt c. Holt est compatible avec le droit canadien. Il ne procure pas au ministre le type de vaste pouvoir discrétionnaire allégué par les juges majoritaires, car l’annulation ne sera possible que si le critère exigé est rempli.
Conséquences et points à retenir
La décision de la Cour suprême du Canada a pour effet de limiter considérablement la possibilité de réparations en equity, en contexte fiscal, des affaires dans lesquelles les critères de rectification établis dans Fairmont et Jean Coutu peuvent être remplis. Cela pourrait englober, par exemple, l’établissement d’erreurs d’écriture dans une entente écrite ou la présentation de preuves convaincantes qu’une entente ou une opération n’a pas été consignée correctement.
[1]Fn Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 C C 56. La Cour a également tenu compte d’un recours équivalent en droit civil au Québec, dans une affaire connexe dont la décision a été rendue la même date, soit Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 5. Il n’y avait pas d’affaire connexe, en droit civil, à l’affaire Collins Family Trust.
[2] Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26.
[3] Pitt c. Holt, 2013 UKSC 26.
[4] Re Pallen Trust, 2015 BCCA 222.