La validité du non-remboursement des droits de franchise

19 Avr 2018 6 MIN DE LECTURE

Dans Mancilla c. Franchises Coq & Rico inc., la Cour supérieure du Québec a traité des obligations des parties à un contrat de franchise. Dans sa décision, la Cour a confirmé qu’un franchisé a l’obligation de s’informer avant de s’aventurer dans l’exploitation d’une franchise, et qu’une clause qui exige le non-remboursement du droit de franchise est tout à fait valide. En outre, la Cour a déclaré que d’après les faits de cette affaire, le fait que des franchisés aient parlé à un journaliste de leur mauvaise expérience auprès d’un franchiseur ne constituait pas de la diffamation.

Contexte

Arnoldo Mancilla (Mancilla) et Lenix Gonzalez (Gonzalez) (collectivement, les franchisés) se sont lancés en affaires comme exploitants d’une franchise Coq & Rico. Mancilla a communiqué avec le franchiseur des marques Salvatore et Coq & Rico (le franchiseur). Après avoir présenté un projet de contrat de franchise, les franchisés ont versé les droits de franchise initiaux qui, d’après le contrat, n’étaient pas remboursables, sauf si le franchiseur rejette la demande des franchisés. Les franchisés ont alors signé le contrat.

Comme ils n’ont pu obtenir le financement nécessaire, les franchisés ont demandé au franchiseur de leur rembourser les droits de franchise. Le franchiseur a refusé, en faisant valoir que les droits prévus au contrat de franchise ne sont pas remboursables. Il a plutôt proposé qu’ils acquièrent une franchise Salvatore, qui est mieux connue dans le secteur des services alimentaires, et pour laquelle les franchisés devraient pouvoir obtenir du financement. Les franchisés ont convenu d’acquérir un restaurant existant grâce au financement du vendeur.

Une fois la transaction finalisée, Mancilla a semblé se désintéresser de la franchise. Il n’a pas participé à toutes les formations offertes par le franchiseur avant de s’envoler vers la Colombie, laissant ainsi à Gonzalez le fardeau de gérer toute seule l’entreprise, sans lui donner accès au compte bancaire de l’entreprise. Gonzalez est donc devenue incapable de verser l’argent qu’elle devait au franchiseur et à ses fournisseurs. Par la suite, les franchisés ont complètement cessé d’exploiter la franchise.

Le franchiseur a résilié le contrat de franchise parce que les franchisés ne se sont pas investis complètement dans l’entreprise et n’ont pas continué l’exploitation de la franchise. De plus, les franchisés n’ont pas versé les redevances de 8 % au franchiseur.

Après la résiliation, le Journal de Québec a fait paraître un article dans lequel il citait les anciens franchisés qui prétendaient avoir été escroqués par le franchiseur.

Les franchisés ont intenté une action contre le franchiseur, entre autres défendeurs. Ils ont plaidé qu’ils ont été des victimes du comportement du franchiseur qui aurait dû, d’entrée de jeu, prendre note de leur incapacité à exploiter la franchise. Selon les franchisés, la clause prévoyant le non-remboursement des droits de franchise est abusive, car elle fait partie d’un contrat d’adhésion. Ils ont soutenu avoir été piégés par le refus du franchiseur de rembourser les droits de franchise, ce qui les a contraints à exploiter l’autre franchise que leur offrait le franchiseur.

Les franchisés ont demandé l’annulation des contrats de franchise, le remboursement de l’argent versé au franchiseur ainsi que des dommages-intérêts. Au moyen d’une demande reconventionnelle, le franchiseur a demandé des dommages-intérêts pour diffamation en plus de l’argent dû par les franchisés aux termes du contrat de franchise.

Motifs et conclusions

Le non-remboursement des droits de franchise et la responsabilité de l’échec de la franchise

Il faut satisfaire à deux conditions pour qu’il existe un contrat d’adhésion : le contrat doit avoir été rédigé par la partie qui a imposé ses modalités à l’autre partie, et cette dernière doit vraiment avoir été incapable de négocier librement les modalités. Le défaut de négocier ne suffit pas pour remplir cette deuxième condition.

Dans ce cas particulier, les franchisés n’ont jamais tenté de négocier les modalités du contrat de franchise et dans les faits, ils n’ont jamais consulté un professionnel pour obtenir des conseils. Il n’a donc pas été satisfait à la deuxième condition susmentionnée. Comme il s’agit d’un contrat de gré à gré, la clause attaquée par les franchisés ne peut être qualifiée d’abusive. De plus, la Cour a précisé que la nature non remboursable des droits de franchise est une pratique commerciale courante et légitime dans le contexte du franchisage, parce qu’elle garantit au franchiseur le sérieux du franchisé.

La Cour a également réitéré les obligations qui régissent un contrat de franchise. Le franchiseur doit agir de bonne foi à l’égard du franchisé, par exemple, en divulguant tous les renseignements pertinents relatifs à la franchise. Quant à lui, le franchisé doit s’informer adéquatement avant de s’aventurer dans l’exploitation d’une franchise.

Dans ce cas, la Cour était d’avis que les franchisés ne se sont pas acquittés de leurs obligations. D’une part, ils n’ont pas déployé d’efforts pour obtenir des renseignements sur l’exploitation future de leur entreprise. D’autre part, ce sont les franchisés eux-mêmes qui ont cessé ultérieurement d’investir dans la franchise, et donc dans sa viabilité financière.

La Cour a conclu que le franchiseur n’a aucunement trompé les franchisés et qu’il n’était donc pas responsable. De fait, la Cour a jugé que la réclamation du franchiseur était justifiée, à hauteur de 67 000 $, en raison des pertes et des montants dus aux termes du contrat de franchise.

La diffamation

Qu’en est-il de la réclamation du franchiseur pour diffamation à la suite de la publication de l’article dans le Journal de Québec?

Selon la Cour, cette demande doit être rejetée. La rencontre entre les franchisés et le journaliste n’était pas malveillante. La liberté d’expression des franchisés leur accordait le droit de partager leur expérience avec un journaliste parce qu’ils croyaient véritablement avoir été victimes.

Commentaires

Cette décision de la Cour supérieure du Québec rappelle aux franchisés qu’ils ont l’obligation importante de s’informer, notamment s’ils possèdent peu ou pas d’expérience dans le domaine des affaires. Un franchiseur doit agir de bonne foi au cours de la mise en marché et de la vente d’une franchise; cependant, cela ne signifie pas qu’il doit dédommager un franchisé qui néglige de s’informer.

En ce qui a trait à la diffamation, nous constatons que la réclamation du franchiseur était fondée sur le régime général de responsabilité civile. Dans cette affaire, rien n’indique que le contrat de franchise comportait la clause d’usage interdisant aux franchisés de nuire à la réputation du franchiseur. L’existence d’une telle clause aurait pu modifier l’analyse de la Cour.