Auteurs(trice)
Associée, Droit des sociétés, Toronto
Associée, Services financiers, Toronto
Stagiaire en droit, Montréal
Le 12 août 2024, le ministère des Finances a lancé sa consultation sur les propositions en vue de renforcer le secteur financier canadien, ce qui représente la troisième phase de son examen des lois régissant les institutions financières fédérales du Canada. En même temps, il a publié une autre proposition visant à modifier les dispositions du Code criminel relatives au taux d’intérêt criminel, accompagnée d’un avant-projet de loi. La période de consultation pour les deux propositions se termine le 11 septembre 2024, période qui est extrêmement courte compte tenu de la nature des consultations et du fait que l’été est encore là.
Consultation du secteur financier
Le ministère des Finances a donné le coup d’envoi à la troisième phase de son examen des lois régissant les institutions financières fédérales du Canada. La première phase a débuté en octobre 2023 et la deuxième en décembre 2023. Les propositions législatives présentées dans le cadre de cette troisième phase s’articulent autour de cinq thèmes : la concurrence, la protection des consommateurs, la modernisation du cadre régissant le secteur financier, les risques géopolitiques et la mise en place d’un cadre réglementaire solide. Nous examinons ci-dessous les principales propositions soumises à la consultation.
Concurrence et choix des consommateurs
Empêcher les regroupements de grandes banques
La Loi sur les banques prévoit, en matière de propriété, des règles qui diffèrent en fonction de la taille de la banque, la banque dont les capitaux propres sont égaux ou supérieurs à 12 milliards de dollars étant considérée comme une grande banque. Le ministère des Finances envisage des mesures législatives pour interdire l’acquisition du contrôle d’une grande banque par une autre grande banque et leur fusion, sous réserve d’exemptions en matière de stabilité financière et prudentielle. La consultation ne vise pas expressément à obtenir des commentaires sur la question de savoir si une telle activité doit être interdite, ce qui est la position de principe depuis de nombreuses années, mais plutôt si d’autres exemptions devraient être envisagées.
Renforcer le processus de demande au Ministère
En vertu des lois régissant les institutions financières, diverses questions sont assujetties à une approbation ministérielle, notamment l’entrée dans le secteur, les fusions et les transferts de titre. Le ministère des Finances propose d’introduire des mesures exigeant des demandeurs qu’ils tiennent des consultations publiques concernant les demandes soulevant d’« importantes » préoccupations d’intérêt public, et demande des commentaires sur les circonstances dans lesquelles des consultations publiques seraient requises, ainsi que sur la manière dont elles devraient être menées.
Le document de consultation indique également que le ministère des Finances envisage de modifier les lois afin que le pouvoir de la ministre des Finances de prendre en compte d’autres facteurs dans le cadre d’une demande, tels que le respect des obligations liées à la taxation ou à la lutte contre le blanchiment d’argent, soit élargi et que son pouvoir d’imposer des conditions ou d’exiger des engagements aux fins d’une approbation s’étende aux questions liées à l’emploi.
Élargir la participation aux activités de location d’automobiles
La Loi sur les banques interdit depuis longtemps aux banques de se livrer à des activités de location de véhicules à moteur légers, ce qui a façonné le marché du crédit-bail de véhicules automobiles pendant des décennies. Le ministère des Finances souhaite recueillir des avis sur la possibilité d’autoriser les institutions financières fédérales (IFF) à se livrer à des activités de location de véhicules à moteur légers aux consommateurs, sous réserve de mesures limitant les répercussions négatives sur la structure du marché existant. Le ministère des Finances note que ces mesures pourraient inclure l’obligation d’obtenir l’accord des fabricants automobiles.
Réglementer le contrôle des banques sur les filiales de courtiers en dépôt
Le ministère des Finances envisage de modifier la Loi sur les banques afin d’empêcher les banques d’exercer un contrôle sur leurs filiales de courtiers en dépôt d’une manière qui pourrait limiter l’accès des petites et moyennes banques.
Protection des consommateurs
Accroître les responsabilités en matière de lutte contre la fraude
Le ministère des Finances propose deux mesures visant à réduire les risques pour les consommateurs et à responsabiliser davantage les banques à l’égard de la fraude. La première mesure exigerait d’une banque qu’elle empêche ou retarde les opérations qu’elle estime frauduleuses. Étant donné que les consommateurs souhaitent généralement des transferts instantanés et qu’une banque peut avoir de la difficulté à repérer de telles opérations en temps réel, il sera important que les institutions soumettent leurs commentaires sur les circonstances dans lesquelles cela pourrait se faire.
Le ministère des Finances souhaite également savoir si les banques devraient être tenues de permettre aux consommateurs de désactiver ou d’ajuster les fonctionnalités de leur compte afin de prévenir la fraude. Enfin, il souhaite recueillir des avis sur l’introduction d’un seuil de responsabilité maximal pour les victimes, similaire à la responsabilité maximale de 50 $ en cas d’utilisation non autorisée d’une carte de crédit.
Le ministère des Finances envisage également d’autres obligations d’information pour les banques, suivant lesquelles celles-ci seraient tenues de recueillir des données anonymes et agrégées sur la nature des fraudes et des arnaques, et de communiquer ces données à l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (l’ACFC).
Accroître les exigences et la communication de renseignements concernant les réseaux de succursales
Deux propositions concernent les succursales de banques. Selon la première des deux, les banques qui comptent fermer une succursale devraient ajouter à leurs avis au public et à l’ACFC certains renseignements, y compris une évaluation des répercussions de la fermeture sur la collectivité touchée. Le Ministère sollicite également des avis sur l’exigence pour les banques qui ferment des succursales de faciliter le transfert des clients vers d’autres institutions financières, sans frais pour le client.
Selon la deuxième proposition, les banques devraient fournir des rapports plus détaillés concernant leurs réseaux de succursales, y compris des données annuelles sur le nombre de succursales, leur emplacement (en milieu urbain ou en milieu rural) et la valeur et le volume moyens des transactions traitées par les succursales.
Moderniser le cadre régissant le secteur financier
Interdire les directions interreliées dans le secteur financier
Certains administrateurs d’institutions financières exercent des fonctions d’administrateur ou de dirigeant auprès d’autres institutions financières. Le document de consultation propose d’interdire ou de restreindre cette pratique, en invoquant des préoccupations en lien avec la concurrence et l’objectif que davantage de personnes fassent partie de la direction, sans toutefois mentionner l’existence des politiques relatives aux conflits d’intérêts visant à régler les préoccupations soulevées par les directions interreliées.
Augmenter les seuils prévus par la loi
Le document de consultation indique que le ministère des Finances envisage de prendre des mesures visant la mise à jour de plusieurs seuils clés prévus par la loi, à savoir :
- Exigence en matière de détention publique : Les banques de taille moyenne, c’est-à-dire les banques dont les capitaux propres sont supérieurs ou égaux à 2 milliards de dollars, mais inférieurs à 12 milliards de dollars, doivent veiller à ce qu’au moins 35 % de leurs actions avec droit de vote soient détenues dans le public. Le ministère des Finances envisage de mettre à jour le seuil à partir duquel l’exigence en matière de détention publique s’applique.
- Le ministère des Finances envisage d’augmenter les limites s’appliquant aux activités de financement spécialisées, aux pouvoirs relatifs à l’investissement et à la propriété de certains biens immobiliers en vertu de la Loi sur les sociétés d’assurances. Il note que ces limites peuvent être fixées dans les lignes directrices du BSIF plutôt que dans la réglementation, car les lignes directrices peuvent être mises à jour plus rapidement en fonction des fluctuations des conditions de marché.
Risques géopolitiques
Sécurité nationale et intégrité
Le ministère des Finances continue de s’intéresser à cette question et envisage des mesures visant à renforcer la surveillance des risques liés au secteur financier qui touchent l’intégrité et la sécurité, notamment la sécurité nationale. La proposition prévoit la création d’un comité qui faciliterait les consultations parmi les membres quant à la façon d’aborder ces risques et conférerait des pouvoirs pour l’échange d’information.
Renforcer les pouvoirs de la ministre des Finances et du BSIF
Dans le même ordre d’idées, le ministère des Finances envisage d’élargir le pouvoir de directive concernant la conformité du BSIF en y ajoutant les actes pouvant menacer l’intégrité ou la sécurité d’une IFF et de ses affaires, y compris le pouvoir d’indiquer à une IFF de résoudre une question de gouvernance. La ministre des Finances et le BSIF pourraient également se voir accorder le pouvoir d’exiger d’une IFF qu’elle respecte ses propres politiques et procédures en matière d’intégrité et de sécurité.
Cadre réglementaire
Prévisibilité
Le ministère des Finances sollicite des avis sur la manière d’améliorer la prévisibilité réglementaire et la compréhension des mesures réglementaires et de leurs répercussions, notamment par des annonces périodiques coordonnées sur les mesures réglementaires à venir, la mise en place d’un forum pour travailler en coordination et en collaboration sur les enjeux internationaux et l’échange de renseignements sur les risques menaçant l’intégrité et la sécurité. En outre, le BSIF a récemment commencé à mettre à l’essai une nouvelle approche suivant laquelle, chaque trimestre, il publie des consignes, puis tient une journée virtuelle consacrée aux professionnels du milieu.
Renforcer la surveillance de l’intelligence artificielle
La proposition vise à renforcer la participation du gouvernement fédéral dans l’utilisation de l’IA dans le secteur financier. Il s’agirait de mobiliser un éventail d’intervenants nationaux et internationaux, de relever et d’évaluer les risques liés à l’IA et d’élaborer une stratégie fédérale en matière d’IA.
D’autres propositions visent à faciliter la croissance des coopératives de crédit fédérales, à appliquer des exigences d’ouverture de comptes aux canaux numériques, à augmenter le montant des fonds disponibles lorsqu’un chèque est déposé en personne et à raccourcir les périodes maximales de retenue des chèques, ainsi qu’à assurer une plus grande transparence dans le processus d’approbation, qui a été soumis à des retards croissants ces dernières années.
Code criminel
Comme nous l’avions déjà signalé en avril 2023 et en janvier 2024, le gouvernement fédéral a apporté des modifications aux dispositions relatives au taux d’intérêt criminel par le biais du projet de loi C-47, la Loi no 1 d’exécution du budget de 2023. Les modifications ont changé la définition de « taux criminel » figurant dans le Code criminel, qui est passé d’un taux d’intérêt annuel effectif supérieur à 60 % à un taux d’intérêt annuel en pourcentage (le TAP) supérieur à 35 %, ce qui signifie que la méthode de calcul et le plafond du taux d’intérêt ont tous deux été modifiés.
Ensuite, le 23 décembre 2023, le gouvernement fédéral a publié un projet de règlement prévoyant d’importantes exemptions à l’application du plafond du taux d’intérêt criminel, notamment en ce qui concerne certains prêts commerciaux. Les modifications en question devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2025, mais les conventions ou les ententes conclues avant cette date bénéficieront des dispositions transitoires prévues par le projet de loi C-47.
Malgré ces importantes modifications, qui n’ont pas encore été mises en œuvre, le gouvernement fédéral avait précédemment signalé qu’il envisageait d’apporter encore d’autres modifications aux dispositions relatives au taux d’intérêt criminel. Dans son budget de 2024, publié le 16 avril 2024, il a annoncé son intention de collaborer avec les provinces et les territoires pour harmoniser et améliorer la protection du consommateur dans l’ensemble du Canada, ce qui pourrait inclure la prise de mesures législatives de sa part. Parmi la liste des mesures proposées, mentionnons les suivantes :
- plafonner le coût des produits d’assurance facultatifs pour les prêts à coût élevé, y compris les prêts sur salaire
- renforcer les règlements s’appliquant aux prêts sur salaire, y compris l’ajout d’un nombre minimal de jours pour les modalités de prêt, l’obligation pour les emprunteurs de rembourser en plusieurs versements et l’interdiction de transferts de prêts
Pour concrétiser son intention, le gouvernement fédéral a publié un avant-projet de loi modifiant les dispositions du Code criminel relatives au taux d’intérêt criminel. L’avant-projet de loi modifiera la définition de « frais d’assurance » afin que ce terme ne comprenne que le coût payé par l’emprunteur, et modifiera la définition d’« intérêt » afin que ce terme inclue les frais d’assurance (auparavant, les frais d’assurance étaient expressément exclus). Dans la pratique, ces modifications auront pour effet de limiter l’offre des produits d’assurance visés, notamment l’assurance-crédit, aux seuls emprunteurs qui peuvent bénéficier de taux d’intérêt nettement inférieurs au taux d’intérêt criminel.
L’avant-projet de loi modifiera également les critères permettant à un prêt sur salaire de bénéficier d’une exemption du plafond du taux d’intérêt criminel. L’alinéa 347.1(2)a) sera modifié pour stipuler qu’un prêt sur salaire doit être d’au plus 1 500 $, avoir une durée d’au moins 42 jours et d’au plus 62 jours et être remboursable en plusieurs versements. À l’heure actuelle, un prêt sur salaire doit avoir une durée d’au plus 62 jours, mais n’est assujetti à aucune durée minimale et ne doit pas être remboursable en plusieurs versements. Le plafond de 1 500 $ reste inchangé. En outre, un nouvel alinéa – l’alinéa 347.1(2)d) – sera ajouté, qui interdira de facturer à l’emprunteur une prime d’assurance pour le risque de crédit assumé.
Prochaines étapes
Par suite des modifications proposées, les acteurs existants et émergents du secteur financier pourraient être exposés à d’importants obstacles et à d’importantes exigences réglementaires, mais aussi à des occasions d’affaires. Nous les encourageons vivement à soumettre leurs commentaires avant la clôture de la période de consultation, le 11 septembre 2024.