Le mois dernier, le personnel de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (le personnel de l’ACFM) a réussi à interjeter appel d’une décision du comité d’audience de son propre organisme d’autoréglementation (le comité d’audience de l’OAR). La décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (comité de la Commission) dans l’affaire Mutual Fund Dealers Assn. (Re), 2021 ONSEC 24, publiée en octobre, a conclu que le comité d’audience de l’OAR avait commis une erreur en décidant de ne pas ordonner de sanctions financières à l’encontre du représentant en fonds communs de placement intimé qui avait détourné des fonds de clients. Selon le comité de la Commission, les sanctions financières étaient justifiées dans l’intérêt public.
Bien qu’un appel par le personnel de l’ACFM de son propre comité d’audition des OAR ne soit pas sans précédent, il n’est pas non plus particulièrement courant. Le succès de l’appel du personnel de l’ACFM invite à discuter de la capacité du personnel à faire appel des décisions de leurs propres OAR, ainsi que du personnel d’exécution de la CVMO. Ce dernier point est particulièrement pertinent, étant donné le remaniement actuel et en cours de la réglementation du secteur des marchés financiers de l’Ontario.
Aperçu historique des appels interjetés par le personnel des OAR
Les appels interjetés par le personnel des OAR contre les décisions de leur propre comité d’audition ne sont pas courants et ceux qui ont eu lieu n’ont pas toujours abouti. Par exemple, dans l’affaire Jeffrey Bradford Kasman et al, 2009 ONSEC 22, le personnel de l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (l’ACCOVAM, prédécesseur de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières, ou OCRCVM) a fait appel sans succès d’une décision du comité d’audience de l’ACCOVAM auprès d’un comité de la Commission. Dans une affaire de « transactions manipulatrices ou trompeuses », le personnel de l’ACCOVAM a fait valoir que le comité d’audition de l’OAR dans cette affaire a commis une erreur en imposant « une ordonnance de sanctions et de frais moins rigoureuse » que celle que le personnel avait demandée.
Le comité de la Commission (devant lequel l’appel a été interjeté) a rejeté la demande de révision du personnel de l’ACCOVAM, s’en remettant à la discrétion du comité d’audition de l’OAR. Le comité de la Commission a estimé qu’il existait un précédent de l’ACCOVAM en faveur d’une « approche conservatrice des coûts » et que le comité d’audience de l’OAR n’avait pas commis d’erreur en décidant que les coûts justifiaient une amende moins élevée. Selon le comité de la Commission, bien que les coûts soient compensatoires et que les amendes aient une fonction dissuasive, l’OAR n’a pas commis d’erreur en ordonnant une amende moins élevée afin que l’impact combiné des deux soit « significatif, mais approprié. » Le comité de la Commission a conclu que le comité d’audition de l’OAR de l’ACCOVAM avait pris en compte de manière appropriée des facteurs tels que la capacité de payer, la conformité subséquente et la durée relativement courte de l’inconduite. Le comité de la Commission a donc adopté une « approche modérée » pour examiner la décision de l’ACCOVAM et n’est pas intervenu, « bien que le personnel de l’ACCOVAM aurait préféré une ordonnance différente pour les sanctions et les coûts ».
Plus récemment, toutefois, le personnel de l’OCRCVM a fait appel avec succès d’une décision de son comité d’audition des OAR dans l’affaire Mark Allen Dennis, 2012 ONSEC 24. La décision sous-jacente de 2011, Dennis (Re), 2011 IIROC 35, rendue par le comité d’audience de l’organisme d’autoréglementation de l’OCRCVM, concernait un ancien courtier qui aurait détourné 1,4 million de dollars d’un client et qui n’aurait pas coopéré à l’enquête de l’OCRCVM. Dans cette affaire, le comité d’audience de l’OAR a imposé une interdiction permanente ainsi que des sanctions financières de 1 million de dollars pour le détournement de fonds de clients, de 25 000 $ à défaut de fournir des informations à l’OCRCVM et de 7 500 $ de frais. Tout comme l’appel interjeté par l’ACCOVAM quelques années auparavant, ces amendes étaient nettement inférieures à celles demandées par l’avocat de l’OCRCVM chargé de la mise en œuvre de cette affaire, qui avait demandé la remise des fonds ainsi qu’une amende supplémentaire. Dans ses motifs, le comité d’audition de l’OAR a déclaré qu’il n’avait pas le pouvoir d’imposer une sanction liée à la remise de sommes dans ces circonstances puisqu’il n’y a pas eu de « véritable profit » réalisé par l’activité de l’ancien courtier. Le comité d’audition de l’OAR a considéré les sections pertinentes de ses règles comme étant de nature pénale et leur a donc donné cette interprétation stricte.
En appel, le comité de la Commission a conclu que le comité d’audition de l’OCRCVM sur les OAR avait commis une erreur, estimant que les pouvoirs de sanction du comité ne sont pas pénaux, mais réglementaires, que son interprétation stricte était incorrecte et qu’il aurait fallu comprendre qu’il autorisait la remise de sommes dans ce cas. Le comité de la Commission a ordonné une amende de 1,45 million de dollars, représentant la remise complète des fonds détournés, ainsi qu’une amende supplémentaire de 50 000 $, comme l’a demandé le personnel de l’OCRCVM. Le comité de la Commission n’a pas modifié les autres sanctions du comité d’audition de l’OAR.
Un exemple récent de réussite
Comme nous l’avons indiqué, le personnel de l’ACFM a fait appel avec succès récemment d’une décision de son propre comité d’audition des OAR. Dans l’affaire Mutual Fund Dealers Assn, le personnel de l’ACFM a fait appel de la décision du comité d’audience de l’OAR de l’ACFM concernant un ancien représentant en fonds communs de placement qui a admis avoir détourné près de 40 000 $ de la marge de crédit d’un client. Bien que le comité d’audition de l’OAR ait ordonné une interdiction permanente, il n’a pas imposé d’amende, car, selon le comité, l’objectif premier de la réglementation des valeurs mobilières consiste à protéger les investisseurs et à prévenir tout préjudice futur, et non de punir une conduite passée. À cette fin, la commission d’audition de l’OAR a décidé qu’une interdiction permanente et le paiement de 2 500 $ (en frais) suffisaient. Pour prendre sa décision, la commission d’audition de l’OAR a également tenu compte de plusieurs facteurs atténuants, dont les suivants :
- l’intimé n’a pas fait l’objet précédemment d’une procédure disciplinaire de l’ACFM
- l’intimé éprouvait des difficultés financières et utilisait les fonds pour payer ses factures et non pour mener un style de vie somptueux
- l’intimé s’est montré coopératif et plein de remords
- la banque a finalement indemnisé le client pour les fonds détournés
Le personnel de l’ACFM a fait appel de la décision du comité d’audition de l’OAR auprès d’un comité de la Commission, demandant une amende de plus de 50 000 $. Le comité de la Commission dans cette affaire s’est rangé à l’avis du personnel de l’ACFM et a conclu que le comité d’audience de l’OAR de l’ACFM avait commis une erreur en décidant de ne pas ordonner la remise de sommes ou toute autre sanction financière contre le membre. Pour parvenir à cette décision, le comité de la Commission a expliqué que les sanctions disciplinaires sont réputées « protectrices et préventives » puisqu’elles limitent les comportements préjudiciables futurs. La remise de sommes, en particulier, demeure un outil important pour atteindre ces objectifs et assurer « la dissuasion précise et générale de l’inconduite » et maintenir la confiance du public dans les marchés financiers en faisant clairement comprendre que de contrevenir aux règlements sur les valeurs mobilières ne paie pas. La commission d’audition de l’OAR a donc commis une erreur en n’imposant pas de sanctions financières. Plus précisément, selon le comité de la Commission, il a perpétré une erreur en accordant trop d’importance à l’incapacité de payer de l’intimé et en considérant comme des circonstances atténuantes le remboursement du client par la banque et la motivation de l’intimé pour le détournement susmentionné.
Pour ces raisons, le comité de la Commission a ordonné à l’intimé de renoncer à ses gains obtenus de manière illicite, soit 32 270 $ (l’intimé avait déjà remboursé 7 000 $ à la banque), et lui a imposé une pénalité administrative de 20 000 $.
En particulier, l’appel de l’ACFM présente beaucoup de points communs avec l’appel de l’OCRCVM de 2012. Dans ces deux cas, le personnel de l’OAR a fait appel des sanctions financières dans les décisions de leur propre comité d’audition OAR respectif et, dans les deux affaires, le comportement sous-jacent impliquait le détournement de l’argent des clients. Ce faisant, le personnel de l’OAR était prêt non seulement à exercer son pouvoir discrétionnaire de demander des sanctions financières importantes pour dissuader le détournement des fonds des clients, mais aussi à contester les décisions de leurs propres comités d’audition OAR lorsqu’ils affirmaient que les sanctions financières imposées restaient insuffisantes. Les récents appels interjetés par le personnel et couronnés de succès soulignent également la volonté de revoir la façon d’intervenir des comités de la Commission afin d’atteindre un niveau approprié de dissuasion précise et générale.
Qu’est-ce que cela signifie pour les appels des décisions de la CVMO par le personnel?
Ces décisions récentes invitent à une discussion sur la capacité du personnel à faire appel des jugements des tribunaux administratifs, en particulier dans le contexte de la CVMO. En vertu de l’article 9 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, seul un intimé dans une procédure d’exécution peut actuellement faire appel d’une décision de la CVMO auprès de la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Cette législation est toutefois en cours de révision et un projet de nouvelle proposition de Loi sur les marchés financiers (LMF) est actuellement soumis à commentaires.
Il est important de souligner qu’en plus de prévoir la création d’un tribunal distinct pour faciliter les fonctions d’arbitrage de la CVMO, la législation ouvre expressément la porte à un droit d’appel pour le personnel de la CVMO. L’article 136 du projet de la LMF, en particulier, prévoit un mécanisme d’appel pour le régulateur en chef des décisions du tribunal nouvellement constitué.
Cet article a initialement été publié dans le quotidien Lawyer’s Daily, qui fait partie de LexisNexis Canada