Le Québec apporte de grandes modifications à sa loi sur la langue française

11 Jan 2023 9 MIN DE LECTURE

Le 24 mai 2022, l’Assemblée nationale du Québec, soit l’assemblée législative de la province, a adopté le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. La loi 96 est la plus importante mesure législative en matière de droits linguistiques à être adoptée au Québec depuis l’adoption initiale de la Charte de la langue française en 1977. Elle apporte d’importants changements à l’utilisation de la langue française dans la province, avec de nouvelles exigences et une responsabilité potentielle en cas de non-respect de ces exigences.

Nouveau droit d’action privé

La loi 96 apporte un certain nombre de modifications à la Charte de la langue française, dont la plupart sont entrées en vigueur le 1er juin 2022. Aussi, elle modifie d’autres lois importantes, notamment la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui stipule désormais que toute personne au Québec a le droit de vivre en français dans la mesure prévue par la Charte de la langue française. Cette modification apportée à la Charte des droits et libertés de la personne est sans doute l’une des plus dignes de mention parmi les récentes réformes : pour la première fois au Québec, les résidents et les entreprises peuvent intenter des poursuites privées contre toute entreprise qui ne se conforme pas aux exigences de la Charte de la langue française. Ces poursuites privées peuvent donner lieu à des dommages-intérêts, y compris des dommages-intérêts punitifs. En outre, les tribunaux peuvent résilier certains types de contrats s’ils n’ont pas été présentés en français et peuvent prononcer des injonctions. La possibilité de demander des dommages-intérêts punitifs, en particulier, fait augmenter le risque d’actions collectives, car la disposition permettant de demander des dommages-intérêts punitifs pour une violation de la Charte de la langue française peut faciliter de telles actions au nom de vastes catégories de personnes.

Cela contraste fortement avec le régime antérieur, aux termes duquel les personnes lésées ne pouvaient que déposer une plainte anonyme auprès de l’Office québécois de la langue française (OQLF), l’organisme de réglementation chargé d’appliquer la Charte de la langue française. L’OQLF était seul responsable de toute mesure d’application qui en découlait. Dans la plupart des cas, l’application de la loi ne donnait lieu à aucune conséquence pécuniaire. L’introduction de droits d’action privés a maintenant accru le fardeau réglementaire et les risques juridiques de faire affaire au Québec.

La Charte de la langue française, y compris les modifications apportées par la loi 96, s’applique à toute entreprise qui exerce une activité à but lucratif dans la province de Québec, que cette entreprise exploite ou non un établissement dans la province. Cela signifie que le simple fait de vendre des produits ou des services dans la province à partir de l’extérieur de la province crée un lien avec le Québec auquel s’applique la Charte de la langue française modifiée. Devant les risques juridiques accrus résultant du nouveau droit d’action privé, certaines entreprises ont cessé de vendre des produits et services au Québec afin d’éviter ces exigences linguistiques et les risques de non-conformité qui y sont associés.

Nouvelle obligation d’« informer et servir » les clients du Québec

Outre le nouveau droit d’action privé, la loi 96 a introduit une nouvelle obligation d’« informer et servir » les clients du Québec en français, obligation qui s’applique tant au public des consommateurs qu’au public autre. Cette obligation s’applique à tous les aspects de la relation client, y compris la publicité (notamment sur le Web et les médias sociaux), les processus contractuels et la facturation, l’emballage et la documentation de produits, ainsi que les fonctions de service et de soutien. Par conséquent, toutes les organisations qui exercent des activités au Québec doivent désormais avoir la capacité de faire affaire en français.

Nouvelle obligation de fournir des contrats en français

En outre, la loi 96 introduit, à compter du 1er juin 2023, de nouvelles exigences en matière de « contrats d’adhésion », c’est-à-dire des contrats dont les conditions essentielles ne sont pas négociables. Il s’agit notamment de contrats types entre clients et fournisseurs qui sont présentés comme étant « à prendre ou à laisser ». Dans les nombreux cas où l’on cherche à conclure un tel contrat avec une partie au Québec, qu’il s’agisse de personnes qui sont ou non des consommateurs, le contrat doit systématiquement et d’emblée être fourni en français, même si les parties choisissent de conclure le contrat en anglais après s’être vu présenter la version française. Si le contrat n’est pas rédigé en français, la partie québécoise pourrait demander que tout ou partie du contrat soit résilié.

Cette exigence s’applique à tous les contrats d’adhésion de consommateurs, même lorsque le fournisseur de biens ou de services est situé à l’extérieur de la province de Québec et n’exploite aucun établissement dans la province. Il est donc probable que nombre d’entreprises, qui n’étaient auparavant pas tenues de traduire leurs documents en français, voient leurs besoins en matière de traduction monter en flèche. Il est toutefois important de noter que cette exigence ne s’applique pas lorsque la partie québécoise n’est pas un consommateur et que le prestataire ou le fournisseur est une entreprise n’ayant aucun établissement au Québec.

Nouvelles restrictions applicables aux marques de commerce qui ne sont pas en français

À compter du 1er juin 2025, de nouvelles restrictions sur l’utilisation de marques de commerce contenant du texte dans une autre langue que le français entreront en vigueur. Aux termes de ces restrictions, de telles marques de commerce ne seront autorisées sur les produits et les panneaux publicitaires que si elles sont enregistrées dans une autre langue que le français au Canada. Ce changement mettra fin à la pratique antérieure selon laquelle les titulaires étaient autorisés à utiliser de telles marques de commerce alors qu’ils ne les avaient pas enregistrées au Canada. Pour avoir le droit d’utiliser des marques de commerce contenant des termes génériques ou descriptifs sur des produits, le texte doit désormais être traduit en français sur le produit ou sur un support attaché de façon permanente à celui-ci.

De nouvelles normes applicables à l’affichage dans les locaux du Québec entreront également en vigueur en juin 2025. Elles exigeront que le texte français accompagne tout texte non français dans une marque de commerce déposée. En outre, le texte français doit occuper au moins deux fois plus d’espace et être d’une police de caractères au moins deux fois plus grande que tout texte non français.

Nouveaux droits linguistiques pour les employés du Québec

La loi 96 a introduit plusieurs nouveaux droits pour les employés québécois qui sont maintenant en vigueur. Les modifications visent à garantir la possibilité pour les employés de travailler en français. Les offres d’emploi pour des postes à pourvoir au Québec doivent être publiées simultanément en langue française. Tous les éléments écrits du processus d’embauche pour pourvoir des postes au Québec, y compris toute offre d’emploi, doivent être fournis en français.

La connaissance d’une autre langue que le français ne peut être exigée pour occuper un poste que si l’entreprise a fourni une analyse, tel que prescrit, établissant la nécessité réelle d’une telle exigence. La nécessité de connaître une autre langue et la réalisation de l’analyse prescrite doivent être communiquées publiquement dans l’offre d’emploi en question. Les communications écrites avec des employés du Québec, y compris tout document de formation, doivent être fournies en français. À l’heure actuelle, des obligations supplémentaires s’appliquent uniquement aux entreprises comptant au moins 50 employés au Québec, seuil qui passera à 25 employés le 1er juin 2025.

Par ailleurs, les employés jouissent désormais de protections supplémentaires contre la discrimination et les mesures disciplinaires liées à leur incapacité à travailler dans une autre langue que le français. Ces protections comprennent le droit de demander réparation auprès du Tribunal administratif du travail du Québec si un employé estime que ses droits linguistiques ne sont pas respectés dans son lieu de travail. Si son contrat de travail n’est pas rédigé en français, l’employé a le droit de faire déclarer inapplicables des obligations. Cela pourrait entre autres mettre en péril les engagements de non-concurrence et de non-sollicitation ainsi que les cessions de propriété intellectuelle.

Ces nouvelles obligations s’ajoutent à plusieurs obligations existantes n’ayant pas été modifiées, mais pour lesquelles le risque de conformité a nettement augmenté en raison du nouveau droit d’action privé introduit par la loi 96. Pour toute entreprise qui vend des produits ou des services au Québec, l’évaluation de la conformité à la Charte de la langue française n’a jamais été aussi importante.

Nous sommes actuellement en attente des règlements relatifs aux modifications apportées par la loi 96, qui pourraient avoir une incidence sur les modifications décrites plus haut. Jusqu’à présent, la première contestation de la loi 96 sur le plan constitutionnel, qui portait sur l’obligation de déposer des procédures en français devant les tribunaux du Québec, a donné lieu à la suspension de cette obligation particulière par le tribunal, comme nous l’indiquions dans notre bulletin d’actualités Osler du 18 août 2022. De plus, la mesure selon laquelle les entreprises fédérales canadiennes peuvent être assujetties à la loi 96 donnera probablement lieu à un débat, surtout si l’on tient compte des efforts déployés en parallèle par le Parlement du Canada pour adopter une législation portant sur les droits linguistiques des consommateurs et des employés québécois d’entreprises privées de compétence fédérale (entreprises fédérales), comme nous l’indiquions dans notre bulletin d’actualités Osler du 17 octobre 2022.