Les programmes de remboursement comme défense à l’autorisation d’actions collectives : une mise à jour par la Cour d’appel du Québec

21 Août 2024 14 MIN DE LECTURE
Auteurs(trice)
Éric Préfontaine

Associé, Litiges, Montréal

Sophie Courville

Sociétaire, Litiges, Montréal

Rachelle Saint-Laurent

Stagiaire en droit, Montréal

Ces dernières années furent marquées par l’émergence de programmes de remboursement, parfois utilisés en tant que moyen de défense stratégique à l’encontre d’actions collectives. Conçus pour répondre de manière proactive aux griefs des membres proposés, ces programmes ont à l’occasion conduit au rejet d’actions collectives sur le fonds.

Néanmoins, la possibilité que de tels programmes puissent, à eux seuls, faire échec à l’autorisation même de l’action collective demeurait équivoque. C’est toutefois ce qui est arrivé en première instance dans l’affaire Lachaine c. Air Transat AT inc. (« Lachaine»).[1] Le tout récent renversement de cette décision par la Cour d’appel du Québec marque un développement significatif en la matière et donne un éclairage sur les conditions dans lesquelles la mise en œuvre d’un programme de remboursement pourra — ou non — faire échec à une action collective au stade de son autorisation.

Contexte de l’affaire Lachaine

    La crise sanitaire mondiale de COVID-19 a mené de nombreux États à fermer leurs frontières, y compris le Canada. Les compagnies aériennes Air Transat,[2] Air Canada,[3] WestJet[4] et Sunwing[5] ont été contraintes d’annuler tous leurs vols domestiques et internationaux. Ces dernières ont proposé des crédits de voyage aux passagers dont les contrats ne prévoyaient pas explicitement de remboursement. Une demande d’autorisation d’action collective a été déposée afin que l’ensemble des billets et des forfaits voyages annulés soient remboursés en espèce. L’action collective proposée envisage aussi la réclamation d’intérêts et de dommages moraux et punitifs.

     Au stade de la demande d’autorisation, l’honorable Bernard Tremblay de la Cour supérieure du Québec a conclu que les deux demandeurs n’avaient pas de cause défendable à faire valoir contre trois des parties défenderesses, nommément Air Canada, Air Transat et WestJet, en raison de l’instauration par ces dernières de programmes de remboursement pour les membres de l’action collective projetée. Le juge Tremblay a aussi rejeté la réclamation accessoire pour les intérêts et les dommages moraux. L’action collective a néanmoins été autorisée à l’encontre de Sunwing, seule défenderesse qui n’avait alors pas mis sur pied un programme de remboursement. Quelques mois plus tard, après que Sunwing ait à son tour annoncé la mise sur pied d’un programme offrant aux membres visés par l’action collective le remboursement du prix des billets d’avion et de forfaits voyages annulés en raison de la pandémie de COVID-19, le juge Tremblay a accueilli une demande en révision présentée par Sunwing et a rejeté la demande d’autorisation d’exercer une action collective contre Sunwing également.[6]

    En juin dernier, la Cour d’appel du Québec a infirmé ces deux jugements et a autorisé l’exercice de l’action collective à l’encontre des quatre transporteurs aériens. Elle a en effet estimé que la Cour supérieure avait erré en droit en concluant que les compagnies aériennes avaient éteint toute cause d’action principale et accessoire des membres de l’action collective projetée par l’annonce de la mise en place de programmes de remboursement volontaire.

    L’arrêt Lachaine et la tendance jurisprudentielle en matière de programmes de remboursement en contexte d’action collective

      Les précédents en matière de programmes de remboursement sont principalement les arrêts Apple Canada inc. c. St-Germain Apple »),[7] Perreault c. McNeil PDI inc. (« Perreault »)[8] ainsi que la décision Paquette c. Samsung Electronics Canada inc. (« Paquette »).[9] Dans Apple, la juge Duval Hesler était d’avis que l’instauration d’un programme de remboursement éteignait la cause d’action.[10] La Cour supérieure en vient une conclusion similaire dans Paquette. Enfin, dans Perreault, la Cour d’appel du Québec avait été d’avis que la règle de la proportionnalité invitait la demanderesse à considérer accepter le remboursement offert dans le cadre du programme de remboursement mis en place par l’intimée avant d’entreprendre une poursuite recherchant la même finalité.[11]

      La Cour d’appel se penche sur ces trois précédents dans l’arrêt Lachaine. Elle estime que trois précédents ont en commun le fait que les tribunaux avaient décidé que de laisser perdurer les recours irait à l’encontre des objectifs de l’action collective vu que les parties poursuivies avaient assumé leurs responsabilités de manière diligente.[12] À titre d’exemple, dans Apple, avant même la présentation de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, l’entreprise s’était efforcée, par ses propres moyens, de remettre aux membres de l’action collective les sommes qui seraient revendiquées par la demande projetée. De manière similaire, dans l’affaire Paquette, un programme d’échange ou de remboursement, au choix du consommateur, avait été mis en place avant que la demande d’autorisation d’exercer une action collective ne soit déposée. La Cour supérieure indique dans cette affaire qu’une compensation offerte dans le cadre d’un programme de remboursement n’a pas à être parfaite aux yeux du tribunal, mais que ce dernier doit néanmoins estimer que la partie demanderesse a été raisonnablement compensée.[13] 

      La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Lachaine, distingue les faits de cette affaire de ceux sur lesquels le juge de première instance avait basé son raisonnement, et ce, principalement pour deux raisons. Premièrement, la situation dans l’affaire Lachaine se distingue des précédents en ce que le paiement intégral par les entreprises aériennes poursuivies du capital déboursé par les voyageurs ne s’est pas fait immédiatement ni promptement. L’instauration de programmes de remboursement a plutôt pris des mois, voire plus d’une année.

      Deuxièmement, le juge Tremblay n’avait aucun détail sur les programmes de remboursement proposés par les transporteurs aériens. Aucune politique écrite de remboursement n’avait été déposée en preuve. La Cour d’appel estime que cette lacune dans la preuve empêchait le juge de première instance de cerner les contours d’un cadre contractuel concret susceptible d’exécution forcée et d’affirmer avec certitude que tous les membres allaient effectivement être remboursés de manière adéquate.[14] Elle distingue cette situation des affaires Apple, Perreault et Paquette en soulignant que dans celles-ci, le tribunal semble avoir eu l’occasion d’analyser dans leur intégralité les programmes de remboursement proposés par les parties défenderesses de manière à pouvoir s’assurer que les réclamations des membres des groupes avaient été satisfaites.[15]

      Répercussions de l’arrêt Lachaine

        À la suite de l’arrêt Lachaine, est-il toujours possible de faire échec à l’autorisation d’une action collective par le biais d’un programme de remboursement? En théorie, nous devrions répondre par l’affirmative. En effet, si la Cour d’appel en vient à autoriser l’exercice de l’action collective dans cet arrêt, il n’en demeure pas moins qu’elle écrit expressément que la mise en place d’un programme de remboursement pourrait, dans certaines circonstances, éteindre la cause d’action et ainsi faire échec à l’action collective au stade de son autorisation. Le tribunal indique toutefois que la réponse à cette question réside dans l’examen des modalités du programme de remboursement. De ce fait, dans les prochaines années, ce sont sur ces modalités qu’une entreprise visée par une demande d’autorisation d’action collective devra particulièrement s’attarder lors de l’élaboration, à titre de défense, d’un programme de remboursement. Selon notre lecture de l’arrêt, un tel programme doit rencontrer les trois critères suivants :

        1. être instauré promptement
        2. compenser toutes les pertes encourues par les membres de l’action collective envisagée
        3. être déposé en preuve de manière détaillée afin de favoriser son évaluation concrète par le tribunal au stade de l’autorisation

        A. Un programme instauré promptement

        Le premier enseignement que nous pouvons tirer à la fois de l’arrêt Lachaine et de la tendance jurisprudentielle antérieure en matière de programmes de remboursement est le fait que, d’ordinaire, les tribunaux verront d’un œil favorable un programme de remboursement instauré rapidement. À défaut d’être instauré avant le dépôt de l’action collective, ce dernier devrait à tout le moins permettre à l’entreprise poursuivie de rembourser promptement, voire immédiatement, les sommes réclamées par les membres de l’action collective envisagée. Le tribunal devra être d’avis que la partie poursuivie a assumé ses responsabilités de manière diligente.

        À cet égard, il existe une certaine dichotomie entre le droit pour la partie défenderesse de contester l’autorisation d’une l’action collective et, d’autre part, l’exigence pour cette même partie d’instaurer promptement un programme de remboursement. Cette contradiction peut être illustrée par l’arrêt Lachaine, où la Cour d’appel reconnaît le droit des transporteurs aériens de contester le bien-fondé de la réclamation des demandeurs et, de ce fait, de l’autorisation de l’action collective. Or, du même souffle, elle leur reproche de ne pas avoir procédé plus tôt à l’élaboration d’un programme de remboursement. L’adoption d’une stratégie plutôt qu’une autre relèvera donc de l’évaluation des risques et avantages qui y sont reliés, en fonction de chaque cas d’espèce.

        B. Un programme qui compense toutes les pertes encourues

        En plus de faire état de la bonne foi du défendeur, l’élaboration rapide d’un programme de remboursement minimisera l’étendue des réclamations accessoires qu’il devra couvrir. En effet, plus le délai se fera long entre le moment où la faute est alléguée, et celui de l’instauration d’un programme de remboursement, plus ce dernier devra prendre en compte les intérêts, lesquels sont dus à compter de la demeure et, le cas échéant, les dommages moraux. Notons par ailleurs que dans l’affaire Paquette, le programme de remboursement compensait non seulement l’entièreté de la réclamation principale, mais prévoyait en plus une indemnité additionnelle, et ce, bien qu’il eût été mis sur pied avant le dépôt de la demande d’autorisation d’action collective.

        De ce fait, le deuxième enseignement que nous pouvons tirer de l’arrêt Lachaine et de la tendance jurisprudentielle antérieure est que, lors de l’élaboration d’un programme de remboursement visant à faire échec à une demande d’autorisation d’action collective, la partie défenderesse devrait garder en tête la possibilité d’indemniser non seulement les chefs de réclamation principales, mais également les chefs de réclamation accessoires.

        Tel que l’a rappelée la Cour d’appel du Québec, dans l’éventualité où la cause d’action principale est éteinte, il est toujours possible d’autoriser la poursuite d’une action collective uniquement sur la base des intérêts et des dommages, et ce, même si ces réclamations semblent minimes par rapport à la réclamation principale. Il importe en effet de souligner qu’en vertu de l’article 1617 C.c.Q., les intérêts constituent un chef de réclamation indépendant. Ainsi, l’extinction de la cause d’action principale n’entraîne pas celle de la cause d’action accessoire.

        C. Un programme détaillé, déposé par écrit en preuve

        Enfin, il semble être primordial que le tribunal saisi d’une demande d’autorisation d’action collective puisse examiner les détails du programme de remboursement projeté par la partie défenderesse. En ce sens, la simple indication qu’un programme sera mis en place ne constituera pas un motif suffisant pour faire échec à une demande d’autorisation.[16] Encore faudra-t-il que le juge statuant sur l’autorisation puisse évaluer concrètement les tenants et aboutissants de la proposition que le défendeur fait aux membres de l’action collective projetée.

        Pour ce faire, suivant les enseignements de l’arrêt Lachaine, le juge devra avoir accès non seulement aux détails concrets du programme envisagé, mais également à ses modalités ainsi qu’à ses conditions d’application. Il en est ainsi puisque le tribunal doit être en mesure de s’assurer que les membres du groupe visés par l’autorisation seront intégralement remboursés et que, par le fait même, ce programme les désintéresse tous du recours projeté. Pour répondre à cette exigence, un défendeur voulant invoquer l’instauration d’un programme de remboursement à l’encontre d’une demande d’autorisation d’action collective devra obtenir l’autorisation du tribunal de produire une preuve appropriée au stade de l’autorisation, puis présenter une preuve détaillée en lien avec le programme de remboursement.[17] Il revient à la partie défenderesse de démontrer que son programme de remboursement est adéquat, et non à la partie demanderesse de faire la preuve de son caractère inapproprié. Il va sans dire que cette exigence implique que le programme envisagé n’en est plus à un stade embryonnaire, mais a plutôt été complètement élaboré de telle sorte qu’il puisse être exécutoire. Cela étant dit, un défendeur qui aurait besoin de plus de temps avant l’autorisation pour développer un programme de remboursement et en faire la preuve pourrait considérer demander au tribunal de retarder ou de suspendre la procédure d’autorisation pendant une courte période.

        Conclusion

          Dans une certaine mesure, l’arrêt Lachaine s’inscrit en continuité avec la jurisprudence antérieure, en ce qu’il reprend les principes qui y ont été énoncés. Toutefois, l’arrêt s’en distingue en ce qu’il fait clairement état de conditions qui doivent généralement être remplies afin de faire échec à une action collective au stade de l’autorisation. Ainsi, le programme volontaire de remboursement devrait être mis sur pied promptement, compenser toutes ou presque toutes les pertes encourues et être présenté en détail au tribunal, de préférence par le dépôt en preuve d’un programme écrit.

          Bien qu’on puisse être d’accord avec la condition relative à la preuve suffisante devant être faite quant aux détails du programme mis sur pied par la partie poursuivie, on peut certainement s’interroger sur l’à-propos et la sévérité des conditions relatives au délai et au caractère absolument complet de la compensation. Ces conditions, surtout si elles sont appliquées sans souplesse, nous paraissent peu propices à la réalisation de la finalité de l’action collective d’assurer ou de faciliter l’accès à la justice, particulièrement dans un contexte de pénurie de ressources judiciaires. On peut y voir une manifestation d’un certain fossé existant entre le plus haut tribunal du Québec, chargé d’établir les principes en la matière, et la Cour supérieure, qui a le mandat de les mettre en œuvre et surtout de voir à la gestion des dossiers qui sont de plus en plus nombreux et complexes.

          À la lumière de ce qui précède, on peut conclure que la mise en place d’un programme de remboursement peut, en principe, faire échec à l’autorisation d’une action collective. Toutefois, il y a souvent un écart entre la théorie et la pratique. Selon les cas d’espèce, il pourrait être difficile pour une partie défenderesse de concilier son droit de contester le bien-fondé d’une action collective tout en instaurant promptement un programme de remboursement détaillé et susceptible d’exécution immédiate. Si un tel programme ne se doit pas d’être parfait, encore faudra-t-il bien estimer l’étendue du remboursement à accorder aux membres du groupe, et le faire rapidement, de manière à pouvoir présenter un projet complet au tribunal.


          [1] 2024 QCCA 726. Pour la décision de première instance, voir Lachaine c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 2305.

          [2] Air Transat A.T. inc. et Transat Tours Canada inc. (« Air Transat»).

          [3] Air Canada et Vacances Air Canada (« Air Canada »).

          [4] WestJet Airlines LTD et WestJet Vacations inc. (« WestJet»).

          [5]  Sunwing Airlines inc. et Vacances Sunwing inc. (« Sunwing»).

          [6] Bonnier c. Air Transat AT inc., 2021 QCCS 5898.

          [7] 2010 QCCA 1376.

          [8] 2012 QCCA 713 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, Perreault c. McNeil PDI inc. et autres, 2012 CanLII 64751).

          [9] 2020 QCCS 1160.

          [10] Les motifs de la juge Duval Hesler sont des motifs concordants. Les juges majoritaires, quant à eux, étaient d’avis que la juge de première instance aurait dû refuser l’autorisation d’exercer l’action collective puisque les conditions d’exercice d’un recours pour réception de l’indu selon les articles 1491 et 1492 C.c.Q. n’étaient pas réunies. Ainsi, indépendamment de la question du programme de remboursement, les réclamations des membres étaient dénuées d’assise juridique.

          [11] Perreault, par. 42.

          [12] Lachaine, par. 35.

          [13] Paquette, par. 74.

          [14] Lachaine, par. 30.

          [15] Ibid.

          [16] Voir notamment Bitton c. Amazon.com.ca inc., 2023 QCCS 3058.

          [17] Suivant l’article 574 al. 3 du Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01, la demande d’autorisation ne peut être contestée qu’oralement, mais le tribunal peut permettre la présentation d’une preuve appropriée.