Nouveau délit de harcèlement en Alberta

7 Juin 2023 7 MIN DE LECTURE

Le juge Colin Feasby de la Cour du Banc du Roi a établi un nouveau délit de harcèlement dans la province de l’Alberta par sa décision dans l’affaire Alberta Health Services v Johnston, 2023 ABKB 209. Cette affaire fait suite au harcèlement très médiatisé du prédicateur de rue Kevin Johnston à l’encontre des employés de l’Alberta Health Services (AHS) au plus fort de la pandémie de COVID-19.

Le nouveau délit de harcèlement est déterminé au moyen d’un test en quatre parties. Il y a délit de harcèlement si les critères suivants sont satisfaits :

  1. Le défendeur s’est livré, de façon répétée, à des communications, à des menaces, à des insultes, à des traques ou à d’autres comportements de harcèlement en personne ou par d’autres moyens.
  2. Le défendeur savait ou aurait dû savoir qu’un tel comportement importunait.
  3. Le comportement en question a porté atteinte à la dignité du plaignant, ferait craindre à une personne raisonnable pour la sécurité du plaignant ou celle de ses proches, ou pourrait vraisemblablement leur causer une détresse émotionnelle.
  4. Le comportement a causé un préjudice[1].

Contexte

M. Johnston s’est livré, avec persistance, à du harcèlement à l’endroit des employés d’AHS dans l’exercice de leurs fonctions d’application des ordres de santé publique pendant la pandémie de COVID-19. Dans ses déclarations en ligne, son propre talk-show et ses apparitions dans d’autres talk-shows, M. Johnston a exprimé son intention de poursuivre les employés d’AHS pour de prétendus « crimes » et a exprimé son désir de leur causer un préjudice financier. M. Johnston a affirmé qu’il n’approuvait pas la violence, mais il a fait allusion à des actions violentes potentielles et a suggéré que les employés d’AHS méritaient toute violence qui leur serait infligée.   

M. Johnston a concentré en grande partie son harcèlement sur une inspectrice de la santé publique d’AHS, plaignante dans l’affaire Johnston. Il l’a identifiée par son nom et a partagé des photos d’elle et de sa famille qu’il a obtenues à partir de ses comptes de médias sociaux accessibles au public. Il a fait des commentaires désobligeants sur elle et son mari, tout cela dans le cadre de son intention déclarée de la rendre malheureuse et de détruire sa vie. M. Johnston a attribué ses actions au sein d’AHS comme causant un préjudice direct aux habitants de Calgary et a comparé ses actions à du terrorisme.

Décision

Le juge Feasby a indiqué que l’établissement du délit de harcèlement se justifiait en partie par l’existence de l’infraction criminelle de harcèlement prévue à l’article 264 du Code criminel. Il a reconnu que ce n’est pas toutes les infractions criminelles qui ont leur équivalent en droit civil, mais il a estimé que le classement du harcèlement parmi les actes criminels soutenant la question de savoir si un recours civil devait également exister eu égard à un tel comportement.

La province d’Ontario reconnaît déjà un délit civil à étendue restreinte, soit le harcèlement sur Internet. Le juge Feasby a examiné l’approche de l’Ontario dans sa décision et l’a jugée insuffisante. Il a constaté que le délit de harcèlement sur Internet est subordonné au fait que le harcèlement se déroule en ligne. Le juge Feasby a déclaré dans sa décision que cette condition préalable « n’a pas de sens » (makes no sense), car la loi ne prévoit aucun recours en cas de harcèlement qui se produit en personne ou hors ligne. De toute évidence, et comme on l’a vu dans cette affaire, le harcèlement peut se produire par divers moyens et ne se limite pas aux plateformes virtuelles.

Le juge Feasby a également souligné la fréquence à laquelle le tribunal accorde des ordonnances interdictives pour des comportements de harcèlement, les citant comme une reconnaissance implicite du fait que le harcèlement est une question justiciable. Il a estimé que l’élargissement du pouvoir du tribunal à la possibilité d’accorder des dommages-intérêts renforçait sa capacité à obtenir des résultats équitables. Le juge Feasby a estimé qu’un éventail plus vaste d’options était nécessaire en l’espèce, car le tribunal était saisi d’une affaire particulièrement agressive et avait intérêt à établir des moyens de dissuasion plus vigoureux à l’intention des personnes qui pourraient éventuellement vouloir suivre les traces de Johnston.

Le juge Feasby a estimé que les actes de M. Johnston répondaient aux critères du harcèlement et a ordonné à M. Johnston de verser 100 000 $ en dommages-intérêts généraux pour commission du délit, ainsi que 300 000 $ en dommages-intérêts généraux pour diffamation et 250 000 $ en dommages-intérêts majorés, tous payables à l’inspectrice d’AHS. Il est intéressant de noter que la décision n’indique pas clairement comment les dommages-intérêts pour harcèlement doivent être répartis. Les mêmes considérations que pour la diffamation pourraient s’appliquer aux dommages-intérêts pour harcèlement, ainsi que toute preuve qu’un plaignant est en mesure de présenter concernant le préjudice qu’il a subi. Il reste à voir comment le tribunal appliquera le délit de harcèlement et répartira les dommages à l’avenir, et comment les tribunaux des autres provinces réagiront à cette décision.

Voies existantes pour obtenir une indemnisation en cas de harcèlement

Cette décision s’ajoute aux voies existantes permettant aux demandeurs d’obtenir une indemnisation pour harcèlement. Les demandeurs peuvent déposer des plaintes pour harcèlement en vertu de la loi albertaine intitulée Alberta Human Rights Act (AHRA) lorsqu’un ou plusieurs motifs protégés par l’AHRA constituent un facteur de harcèlement discriminatoire. De même, les employés peuvent déposer une demande d’indemnisation au titre de la loi sur les accidents du travail lorsque le harcèlement se produit pendant l’emploi et entraîne une blessure ou une maladie mentale pouvant être diagnostiquée.

Ce nouveau délit civil présente des différences essentielles par rapport aux plaintes pour harcèlement déposées en vertu de l’AHRA. Pour qu’il y ait délit en common law, il n’est pas nécessaire que le harcèlement soit lié à un motif protégé. Le juge Feasby a également déclaré clairement que les actes de harcèlement doivent être répétés pour qu’il y ait délit en common law, ce qui contraste avec l’ensemble des décisions en matière de droits de la personne en Alberta qui ont reconnu qu’une seule incidence de harcèlement peut être suffisamment grave pour donner lieu à du harcèlement discriminatoire, la répétition du comportement n’étant pas nécessaire.

En outre, le harcèlement en common law n’exige pas que le harcèlement se produise pendant l’emploi, ni qu’il entraîne une blessure ou une maladie mentale, contrairement à la voie de l’indemnisation par le biais d’une demande auprès de la commission des accidents du travail. Toutefois, toute preuve médicale des effets négatifs du harcèlement correspond parfaitement à la quatrième étape du test de harcèlement.

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Les employeurs doivent savoir qu’il existe désormais un nouveau délit en common law et que, lorsque leurs employés se livrent à du harcèlement, ils peuvent être tenus pour responsables du fait d’autrui. Les employeurs ont déjà l’obligation légale de décourager et d’interdire activement tout comportement ou langage harcelant en vertu d’un certain nombre de dispositions légales, notamment l’AHRA et le régime de santé et de sécurité du travail de l’Alberta. Tout employeur devrait avoir une forme ou une autre de politique de lutte contre la violence et le harcèlement en milieu de travail. Le délit civil de harcèlement constitue un risque supplémentaire en common law pour les employeurs et met en évidence la nécessité d’avoir des politiques bien rédigées et correctement mises en œuvre contre le harcèlement en milieu de travail.


[1] On trouvera la version originale anglaise dans Alberta Health Services v Johnston, 2023 ABKB 209, au par. 107.