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Les avocats plaidants ont chacun leur propre style de rédaction de procédures. Souvent, l’objectif sera de relater les faits du point de vue de leur client et de rallier le lecteur à sa cause. Un avocat plaidant efficace saura y parvenir tout en respectant les règles énoncées aux Supreme Court Civil Rules de la Colombie-Britannique (les Règles).
La Cour d’appel de cette province a récemment réitéré l’importance de respecter ces exigences formelles dans l’arrêt Mercantile Office Systems Private Limited v. Worldwide Warranty Life Services Inc., 2021 BCCA 362 (Mercantile, en anglais seulement). Bien que les règles de procédure soient bien connues, la Cour confirme le rôle fondamental qu’elles jouent dans le déroulement de l’instance et signale qu’elle verra à les appliquer, indiquant qu’il s’agit là d’exigences tant formelles que substantielles, et non de technicités désuètes. Le respect des exigences formelles est indispensable et permet de mettre en œuvre les objectifs qui sous-tendent les règles de procédures, ajoute la Cour.
Tous les avocats plaidants de Colombie-Britannique auraient avantage à lire l’arrêt Mercantile. Suivant cette décision, ils devront s’assurer de suivre les directives émises par la Cour quant à la structure des procédures, faute de quoi leurs dossiers pourraient s’embourber dans de longues et onéreuses procédures préliminaires qui pourraient, à terme, mener à la radiation de leurs allégations.
Contexte factuel et procédural
Le contexte factuel de l’affaire Mercantile est simple. Les demandeurs ont intenté une action contre le défendeur pour défaut de paiement des sommes prévues à l’entente de règlement à l’amiable intervenue entre les parties à la suite d’une dispute contractuelle. Le défendeur a déposé une défense et une demande reconventionnelle, chacune reposant sur des réclamations et des moyens de défense distincts :
- La défense alléguait des déclarations inexactes faites par négligence et la contrainte au moment de conclure l’entente de règlement à l’amiable; et
- La demande reconventionnelle alléguait des déclarations inexactes frauduleuses, un manquement à une convention de conseiller et le détournement.
Les demandeurs ont présenté une requête visant à radier la réponse et la demande reconventionnelle du défendeur en vertu de la Règle 9-5(1). En première instance, la juge en chambre a rejeté cette requête au motif que celle-ci ne précisait pas quels paragraphes méritaient d’être radiés pour leur manque de pertinence, leur nature argumentative ou le fait qu’ils comportaient des éléments de preuve.
La première juge estimait que la requête en radiation était axée sur la structure, les demandeurs cherchant uniquement à ce que le défendeur réorganise le contenu de ses procédures. Les demandeurs ont porté cette décision préliminaire devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.
La décision de la Cour d’appel de Colombie-Britannique
En Cour d’appel, le juge Voith a rédigé un arrêt unanime qui vient renverser la décision de la juge en chambre et radier la défense et la demande reconventionnelle, avec possibilité pour le défendeur de modifier ses procédures. Selon la Cour, la défense et la demande reconventionnelle présentaient différentes lacunes, notamment sur le plan de leur structure.
L’importance des actes de procédure
La Cour a entrepris son analyse en soulignant l’importance des actes de procédures et du respect des Règles. Les principes qu’elle met en lumière méritent d’être repris ici :
[21] Les actes de procédure forment le socle du litige. Ils guident le déroulement de l’instance. C’est vrai pour la constitution de la preuve documentaire, les interrogatoires au préalable, bon nombre de requêtes interlocutoires ainsi que l’instruction du procès.
[22] Les actes de procédures servent également à mettre en œuvre les objectifs sous-jacents des Règles, soit l’équité dans le déroulement de l’instance et la justice entre les parties […]. Ils permettent aux parties et à la cour de départager avec précision les enjeux où les positions respectives convergent ou divergent, et donc de cerner les questions que les deux parties souhaitent soumettre à l’adjudication. […]
[23] Pour la cour, les actes de procédures jouent un rôle essentiel en définissant les questions de faits et de droit qu’elle devra trancher. Pour qu’elle puisse y parvenir de manière équitable, il est impératif que les actes de procédures énoncent les faits pertinents de manière succincte […]. Ils doivent être structurés de manière à ce que la cour comprenne de quelles questions elle est saisie […]. [Traduction. Références omises.]
La structure des actes de procédures
Défense face à une action civile
La Cour d’appel était d’avis que la défense produite dans Mercantile était verbeuse et confuse. Plus précisément, elle n’énonçait pas adéquatement les faits pertinents, comme requis par la Règle 3-3(2) et le formulaire 2. Ce dernier exige que la défense s’articule en trois sections distinctes :
1. Le défendeur doit indiquer quels faits allégués sont admis ou niés, et signaler ceux dont il n’a pas connaissance personnellement.
2. Si le défendeur nie un fait allégué dans la demande introductive d’instance civile, il doit fournir sa version des faits.
3. Le défendeur doit énoncer, de manière succincte, tous les faits supplémentaires qu’il juge pertinents en lien avec les enjeux soulevés dans la procédure introductive.
Entre autres lacunes, la défense combinait les sections 2 et 3 en un seul narratif, la version des faits du défendeur et les faits supplémentaires figurant dans la section 2. À la section 3, la défense indiquait simplement « sans objet ».
Ainsi, le défendeur avait omis d’inclure systématiquement sa version pour chacun des faits niés. Celle-ci se trouvait entremêlée avec les autres éléments de sa trame narrative. À titre d’exemple, la version des faits du défendeur quant au premier fait nié se trouvait au paragraphe 17 de sa défense, et celle répondant au deuxième fait nié, au paragraphe 36. Le juge Voith, ayant dû parcourir la section 2 dans son ensemble pour déceler les motifs du défendeur pour nier les faits importants, n’a pas caché son mécontentement.
Il manquait également dans la défense une réponse précise à chaque fait nié. La Cour a conclu que la position du défendeur quant à divers faits allégués par les demandeurs demeurait nébuleuse.
Demande reconventionnelle
La demande reconventionnelle du défendeur était elle aussi lacunaire, les faits y étant allégués reprenant intégralement ceux énoncés dans la défense, sans plus. Selon la Cour, comme la défense et la demande reconventionnelle reposaient sur des arguments juridiques distincts, les faits pertinents sous-jacents devaient également différer.
En reprenant la même trame factuelle pour la défense et la demande reconventionnelle :
- les deux actes de procédures contenaient des faits superflus et non pertinents; et
- les faits pertinents nécessaires pour appuyer la prétention quant aux déclarations inexactes frauduleuses dans la demande reconventionnelle faisaient défaut.[1]
L’énoncé des faits pertinents d’un acte de procédure doit être exempt de preuve et d’argument.
Les actes de procédures en cause contenaient également des arguments et des éléments de preuve, tous deux inadmissibles.
La Cour d’appel, tout en concédant que la rédaction d’un acte de procédure n’est pas un exercice arithmétique et requiert une certaine marge de manœuvre, affirme qu’un énoncé des faits pertinents concis est impératif. Elle définit les faits pertinents comme étant [traduction] « les éléments essentiels à la formulation d’une demande ou d’une défense » et ajoute que les éléments de preuve n’y ont pas leur place, à l’exception des rares cas où leur inclusion se justifie pour fins de clarté.
L’acte de procédure n’est pas un récit, conclut la Cour : sa rédaction nécessite de la discipline et doit être régie par les normes impératives prévues aux Règles et aux autorités connexes. Ce faisant, la Cour semble signaler au barreau qu’une approche plus cohérente et structurée dans la rédaction des procédures est attendue des avocats plaidants. Ceux qui rédigent des défenses devront vraisemblablement trouver un nouvel équilibre entre la maîtrise de la trame factuelle et le respect des directives émises dans Mercantile. Cet arrêt est également susceptible d’enhardir les juges en chambre à qui l’on demande de radier des actes de procédure présentant des lacunes semblables.
[1] Plus précisément, la demande reconventionnelle ne contenait aucune allégation d’état d’esprit malhonnête ni de détails quant à la fraude alléguée, contrairement aux exigences de la Règle 3-7(18).