Tarifs douaniers de Trump : un jour, pas le jour un

27 Jan 2025 7 MIN DE LECTURE

Ce bulletin, rédigé par l’équipe d’Osler spécialisée dans le commerce international, est le premier d’une série sur les enjeux commerciaux entre le Canada et les États-Unis. À mesure que la situation évoluera, nous publierons nos points de vue sur les faits nouveaux de la semaine, du jour ou même de l’heure et relèverons les enjeux d’importance critique pour nos lecteurs.

Après 35 ans de commerce bilatéral Canada–États-Unis essentiellement exempt de tarifs douaniers, les entreprises, qui se sont organisées en fonction d’un marché nord-américain et se sont habituées à ce que les marchandises franchissent facilement une frontière ouverte, sont désormais contraintes de prévoir des tarifs douaniers punitifs de la part des États-Unis, des représailles en nature de la part du Canada et le spectre d’une guerre commerciale en règle.

Chez les Canadiens (et probablement aussi chez de nombreux Américains), la première question qui, souvent, leur vient à l’esprit est la suivante : quelle est la stratégie qui se cache derrière les menaces tarifaires de Trump et les demandes agressives utilisées pour les soutenir?

Bien que les raisons exprimées par le président Trump à l’appui des tarifs douaniers, et des pays auxquels ils seront apparemment appliqués, soient souvent incohérentes et sans lien avec la théorie économique et l’histoire reconnues, ou même les faits, il existe quelques fils qui peuvent être cousus ensemble et qui peuvent offrir une certaine cohérence.

Tout d’abord, il a été largement rapporté que l’administration Trump pourrait vouloir renégocier l’ACEUM (l’accord commercial qui a remplacé l’ALENA) avant le 1er juillet 2026, date à laquelle l’accord doit être réexaminé par les parties selon ses conditions actuelles. Selon ce raisonnement, la menace de tarifs douaniers est donc utilisée pour créer une pression, une ambiance et un effet de levier pour les demandes américaines dans le cadre d’une renégociation de l’ACEUM dans un avenir rapproché, ce qui signifie que les tarifs douaniers sont susceptibles d’être de courte durée et soumis à la stratégie de renégociation.

Ensuite, et cela a été rendu explicite dans les remarques télévisées du président Trump au Forum économique mondial la semaine dernière, des menaces tarifaires sont proférées à l’encontre des alliés (Trump a mentionné l’Union européenne, tout comme le Canada et le Mexique, en les critiquant). Ces menaces visent non seulement à préserver et à renforcer la capacité de fabrication nationale des États-Unis et son désir d’une « renaissance » du secteur de la fabrication aux États-Unis, mais aussi à inciter d’autres pays à renoncer à la fabrication sur leur marché intérieur et à investir dans le secteur de la fabrication aux États-Unis. Logiquement, cela signifie que des tarifs douaniers élevés de longue durée seront nécessaires pour inciter en permanence à investir aux États-Unis. En termes idiomatiques, les tarifs douaniers sont le bâton qui accompagne la carotte pour inciter à investir aux États-Unis, y compris des taux d’imposition faibles, une réglementation limitée, une politique « Buy America » (Achetons des produits faits en Amérique) et d’autres politiques « America First » (L’Amérique d’abord) qui n’ont pas encore été formulées.

Dans ce contexte, les entreprises canadiennes et américaines qui se livrent au commerce transfrontalier doivent tenir compte de plusieurs questions fondamentales :

  • Quand les tarifs douaniers commenceront-ils à être appliqués?
  • Sur quoi les tarifs douaniers porteront-ils?
  • Que peuvent faire les entreprises pour se protéger?

Quand : Avant son investiture, Trump a menacé le Canada et le Mexique de tarifs douaniers de 25 % dès le premier jour. Plus tard, le jour de son investiture, il a proposé le 1er février 2025 comme nouvelle date cible.

Si la date du 1er février n’est pas impossible, elle est en contradiction avec le calendrier de remise des rapports exigés par la note de service sur la politique commerciale « L’Amérique d’abord » (la note de service) du président, également publiée le jour de l’investiture. Dans cette note de service, le président charge les membres de son cabinet et d’autres hauts responsables économiques, dont beaucoup n’ont pas encore été nommés, d’examiner et d’étudier une série de questions relatives au commerce et à la sécurité nationale et de soumettre des rapports recommandant des actions ou des mesures appropriées, le cas échéant, pour y remédier. Les rapports sur les questions qui pourraient servir de base à la plupart des tarifs douaniers imposés au Canada doivent être remis le 1er avril 2025.

Autre élément qui pointe vers une date ultérieure, malgré la note de service, la plupart des instruments juridiques susceptibles d’être utilisés pour imposer des tarifs douaniers requièrent des enquêtes et des rapports de la part des départements ou des agences des États-Unis avant qu’une action ne soit entreprise. L’International Emergency Economic Powers Act (la loi sur les pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale ou l’IEEPA) constitue une exception : elle exige simplement qu’un président déclare une situation d’urgence nationale et prenne immédiatement des mesures pour y faire face. Toutefois, selon la note de service, l’urgence qu’il a citée dans le cas du Canada – l’immigration illégale du Canada vers les États-Unis et les flux de fentanyl – doit faire l’objet d’un rapport d’ici le 1er avril.

Sur quoi : Les mesures prises par la première administration Trump sur l’acier et l’aluminium suggèrent que les marchandises industrielles sont les plus susceptibles d’être dans le collimateur. Et pour répondre à une question qui nous a été posée à plusieurs reprises : si certains des instruments juridiques qui pourraient être utilisés pour imposer des tarifs douaniers au Canada pourraient également permettre d’imposer des frais sur les services, rien de ce que nous avons vu ne suggère que les mesures américaines cibleraient le commerce transfrontalier des services (où les États-Unis bénéficient d’un important excédent commercial avec le Canada) et le faire serait administrativement beaucoup plus complexe que d’imposer des tarifs douaniers sur les marchandises.

La question de savoir si les tarifs douaniers américains sur les exportations d’origine canadienne (ou sur les exportations en provenance du Canada, qui ne sont pas nécessairement la même chose) seront généralisés ou ciblés peut dépendre de l’ampleur de la réaction des entreprises américaines et du caucus républicain au Congrès. C’est pourquoi les mesures de représailles du Canada sont susceptibles de cibler initialement les marchandises substituables produites dans les États pivots (swing states), ainsi que dans les États ou les districts des leaders républicains au Congrès.

Toutefois, bien qu’elles soient préférables du point de vue économique, des représailles initiales limitées pourraient s’avérer politiquement délicates pour les responsables canadiens, en particulier si les États-Unis imposent des tarifs douaniers élevés sur un ensemble de marchandises canadiennes beaucoup plus vaste que l’acier et l’aluminium.

Que peuvent faire les entreprises : Sachant que ces stratégies pourraient devoir être modifiées ou réexaminées en fonction des nouvelles circonstances – notamment si, pour les raisons décrites ci-dessus, les tarifs douaniers américains sont susceptibles d’être de longue durée et généralisés –, les entreprises devraient envisager des stratégies d’atténuation des tarifs douaniers, notamment :

  • Mettre à jour les accords commerciaux pour répartir le risque tarifaire, y compris l’utilisation de différentes conditions internationales de vente et de clauses de résiliation liées à l’escalade des prix et au risque tarifaire.
  • Passer des marchandises à la frontière avant l’entrée en vigueur des tarifs douaniers, qui ne seront probablement pas rétroactifs. Il est donc possible de constituer des stocks pour certains produits.
  • Mettre en œuvre des stratégies transfrontalières de fixation des prix et de vente, y compris la fixation des prix par des parties apparentées, afin de réduire la valeur imposable des marchandises.
  • Présenter des demandes d’exclusion de produits, de remise de droits ou de détaxe.
  • Restructurer les chaînes d’approvisionnement, en fonction des marchandises soumises aux tarifs douaniers ou à d’autres mesures (par exemple, si les tarifs douaniers s’appliquent aux marchandises d’origine canadienne ou à toutes les exportations du Canada, ou si les marchandises de pays tiers sont également soumises aux tarifs douaniers américains).