Perspectives juridiques Osler 2024

Évolution du paysage dans le secteur des jeux en ligne au Canada

31 Déc 2024 9 min de lecture    12 minutes d’écoute

En 2024, le secteur des jeux en ligne de l’Ontario a poursuivi sa croissance et s’est consolidé du fait de l’augmentation constante des paris et des recettes, de la validation du modèle par les tribunaux, qui autorisent, en Ontario, la « mise sur pied et l’exploitation » des jeux en ligne et des progrès réalisés dans l’instauration d’un programme centralisé d’auto-exclusion comme principal outil de promotion du jeu responsable. À l’approche de 2025, il est probable que le cadre de réglementation continue de se renforcer. Les principales interrogations porteront sur la possibilité pour les joueurs de participer à des jeux en ligne en interaction directe avec des participants situés à l’extérieur du Canada, sur l’attention marquée accordée à la publicité et sur l’élargissement des marchés réglementés dans d’autres provinces canadiennes, notamment en Alberta.

La Cour d’appel de l’Ontario rendra sa décision concernant le modèle présenté par le ministère du Procureur général de l’Ontario et déterminera s’il est légal pour les exploitants de jeux inscrits d’offrir des jeux selon le modèle de liquidité « ouvert », qui permettrait aux joueurs de l’Ontario de jouer contre des joueurs situés à l’étranger (le modèle de liquidité). Le modèle de liquidité a été entendu à la fin du mois de novembre 2024 et une décision est attendue l’année prochaine. Si la Cour d’appel rend une décision favorable, nous assisterons probablement à une augmentation plus marquée de l’offre en ligne destinée aux joueurs de l’Ontario, particulièrement dans le domaine des jeux en ligne en interaction directe avec d’autres joueurs, comme le poker et les paris sportifs fictifs quotidiens. Dans ce cas, le gouvernement et les exploitants de jeux verront leurs revenus augmenter au cours des prochaines années.

Le succès du marché réglementé des jeux en ligne en Ontario n’est pas passé inaperçu auprès des gouvernements des autres provinces. En effet, le gouvernement de l’Alberta a annoncé son intention d’adopter un cadre législatif pour promouvoir ce marché dans sa province. Dans les grandes lignes, le modèle de réglementation devrait être semblable à celui de l’Ontario. Le processus d’intégration des exploitants de jeux qui souhaitent profiter du nouveau marché réglementé devrait s’enclencher rapidement une fois que le cadre législatif aura été adopté. Par ailleurs, d’autres provinces pourraient emboîter le pas à l’Alberta.

Le raisonnement du tribunal dans l’affaire Mohawk permettra de rassurer et de guider les provinces du Canada qui envisagent de lancer leur propre modèle de jeu en ligne par des exploitants privés en application de l’exception prévue par le Code criminel, qui autorise la “mise sur pied et l’exploitation”.

Pendant ce temps, les organismes de réglementation et le public continuent d’accorder de l’attention à la publicité et au jeu responsable. Les parties concernées sur ce marché devront être attentives aux changements apportés à la réglementation et se préparer à réagir. L’un des éléments à surveiller à l’avenir est l’approche des organismes de réglementation pour lutter contre les agissements des acteurs du marché noir sur les marchés réglementés, y compris toute éventuelle contestation devant les tribunaux ou toute mesure pour agir contre l’influence des diffuseurs et autres acteurs médiatiques dans la diffusion de la publicité des exploitants de jeux en ligne sur le marché noir.

Le marché de l’Ontario est arrivé à maturité

Selon le rapport trimestriel sur le rendement du marché publié par Jeux en ligne Ontario, les mises en Ontario se sont élevées à environ 18,7 milliards $ au 30 septembre 2024, soit une augmentation d’environ 32 % comparativement au même trimestre en 2023. Les recettes totales des jeux ont atteint environ 738 millions $, ce qui représente une augmentation d’environ 35 % par rapport à l’année précédente. Le marché de l’Ontario est toujours dominé par les jeux de casino, qui ont représenté environ 86 % du total des mises et 75 % des recettes brutes au cours du deuxième trimestre.

Le modèle ontarien validé par les tribunaux

La décision rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Mohawk Council of Kahnawà:ke c. iGaming Ontario représente une avancée majeure pour l’Ontario en 2024. Cette contestation par le Conseil des Mohawks s’attaquait au point de départ fondamental du marché réglementé de l’Ontario, c’est-à-dire qu’une province peut « mettre sur pied et exploiter » les jeux en ligne sur son territoire par l’intermédiaire d’une filiale (dans ce cas, Jeux en ligne Ontario) qui conclut des ententes contractuelles avec des exploitants privés. Ces exploitants sont également tenus de s’inscrire auprès de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario (la CAJO), l’organisme de réglementation de la province, et sont régis par les normes réglementaires de cet organisme.

La contestation dans l’affaire Mohawk découle de la structure réglementaire des jeux en vigueur dans le passé au Canada. La plupart des activités de jeu sont interdites par le Code criminel du Canada, à moins d’une exception à ces interdictions édictées. L’une de ces exceptions permet au gouvernement d’une province, de manière autonome ou de concert avec le gouvernement d’une autre province, de « mettre sur pied et d’exploiter » des systèmes de loteries dans la province en conformité avec tout texte législatif adopté par cette province.

Le Conseil des Mohawks a fait valoir que l’Ontario ne pouvait s’abriter derrière l’exception prévue dans le Code criminel, car elle avait délégué de manière inappropriée aux exploitants privés « la mise sur pied et l’exploitation » des jeux en ligne dans le cadre d’ententes d’exploitation. En d’autres termes, le Conseil des Mohawks a soutenu que la province ne participait pas elle-même à la mise sur pied et à l’exploitation de ces activités.

La Cour a donné raison à Jeux en ligne Ontario, confirmant la validité du modèle de l’Ontario. En effet, le juge a confirmé que la province procédait à la mise sur pied et à l’exploitation du système de jeux en ligne selon les termes du Code criminel, grâce à la surveillance exercée par la CAJO sur les exploitants et en vertu des ententes d’exploitation conclues entre Jeux en ligne Ontario et les exploitants, qui agissent à titre d’agents de Jeux en ligne Ontario. Le Conseil des Mohawks n’a pas fait appel de cette décision.

Le raisonnement du tribunal dans cette affaire permettra de rassurer et de guider les provinces du Canada qui envisagent de lancer leur propre modèle de jeu en ligne par des exploitants privés en application de l’exception prévue par le Code criminel.

Initiatives de jeu responsable

Le succès du marché réglementé de l’Ontario se traduit par une plus grande attention accordée aux initiatives de jeu responsable. L’Ontario a réalisé des progrès importants dans la mise en œuvre d’un système centralisé d’auto-exclusion pour les jeux en ligne, présenté comme le premier du genre en Amérique du Nord. Jeux en ligne Ontario s’est associé à des experts du secteur dans cette initiative. Ce nouveau système a pour objectif de permettre aux joueurs de s’auto-exclure en même temps de tous les sites de jeux en ligne réglementés de l’Ontario, y compris ceux exploités par la Société des loteries et des jeux de l’Ontario.

L’auto-exclusion est un outil important qui permet aux joueurs de faire une pause des jeux en ligne et qui, par conséquent, encourage le jeu responsable. À l’heure actuelle, chaque exploitant d’un site de jeux en ligne réglementé a l’obligation d’offrir un programme d’auto-exclusion, mais il n’existe aucun système centralisé des programmes d’auto-exclusion proposés par l’ensemble des exploitants.

Si la mise en œuvre d’un système centralisé d’auto-exclusion en Ontario est un succès, ce système pourrait très bien devenir un modèle pour les autres provinces et celles-ci pourraient même souhaiter en faire partie.

La légalité du modèle de liquidité « ouvert » sera déterminée en 2025

Dans le modèle de liquidité, le gouvernement de l’Ontario a demandé à la Cour d’appel de l’Ontario de se prononcer sur la légalité du modèle de liquidité dit « ouvert », plus précisément pour savoir si les jeux en ligne et les paris sportifs offerts sur le marché réglementé aux joueurs de l’Ontario seraient conformes au Code criminel si les joueurs de l’Ontario étaient autorisés à participer à des jeux et à des paris avec des joueurs situés à l’extérieur du Canada.

Le marché réglementé de l’Ontario a été lancé selon un modèle de liquidité « fermé ». En d’autres termes, les joueurs ontariens qui jouent à des jeux en ligne en interaction directe avec d’autres joueurs (p. ex., le poker) peuvent uniquement jouer avec d’autres joueurs situés en Ontario. Des participants du secteur ont fait valoir qu’en raison de la taille restreinte du marché ontarien, ce modèle de liquidité « fermé » limite la gamme de jeux pouvant être proposés et réduit l’attrait pour les jeux de l’Ontario, puisque les joueurs ont toujours accès aux jeux en ligne sur des sites non réglementés où le modèle de liquidité est « ouvert ».

Le Code criminel autorise une province, de manière autonome ou en collaboration avec une autre, à proposer des jeux sur un marché réglementé. Deux provinces pourraient, par voie d’entente, autoriser les joueurs des deux provinces à participer ensemble à des jeux en ligne, créant ainsi un modèle de liquidité « partagé ». La possibilité pour d’autres provinces de créer leur propre marché réglementé de jeux en ligne s’accompagne également de la possibilité d’un partage de la liquidité entre ces provinces et l’Ontario.

Toutefois, le Code criminel ne précise pas si l’ouverture du modèle de liquidité à des joueurs à l’étranger est autorisée par la loi. Le modèle de liquidité déterminera s’il est suffisant, aux termes du Code criminel, que l’Ontario réglemente l’exploitant et les joueurs ontariens, tout en permettant aux joueurs des territoires de compétence à l’échelle internationale de participer, sous réserve de la réglementation dans leur propre territoire, le cas échéant.

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Une décision en faveur du modèle de liquidité « ouvert » pourrait permettre d’engranger des recettes importantes provenant des mises potentielles au poker, des paris sportifs fictifs quotidiens et d’autres jeux offerts par les exploitants de jeux en ligne en Ontario. Ces derniers, en particulier ceux qui proposent des jeux en ligne en interaction directe avec d’autres joueurs, devraient suivre avec attention la progression de ce dossier. La Cour d’appel devrait rendre sa décision au cours du premier semestre de 2025.

De plus, l’Alberta et d’autres provinces pourraient bien s’inspirer de la décision rendue au sujet du modèle de liquidité pour définir leur propre cadre de réglementation.

L’Alberta s’apprête à lancer un marché réglementé

Il est pratiquement assuré que l’Alberta sera la prochaine province à lancer son propre cadre de réglementation des jeux en ligne. Depuis l’annonce cette année qu’elle envisageait un marché réglementé ouvert semblable à celui de l’Ontario, les joueurs du Canada ont salué cette initiative. Le gouvernement de l’Alberta progresse dans la mise en place du cadre réglementaire sous-jacent ainsi que dans la finalisation des consultations engagées auprès des parties concernées, notamment les Premières Nations, les exploitants potentiels et les éventuels fournisseurs liés aux jeux.

Selon le ministre Nally, une fois lancé, le marché de l’Alberta ressemblera beaucoup au modèle de l’Ontario. Les exploitants seront probablement tenus de conclure une entente d’exploitation avec le gouvernement, comme c’est le cas en Ontario. Les exploitants feront également l’objet d’une réglementation reposant sur des obligations d’inscription ainsi que sur des politiques de réglementation et des normes. Toutefois, les exploitants sont en attente de voir si réellement et dans quelle mesure le marché de l’Alberta s’éloignera du modèle de l’Ontario afin de réduire le fardeau bureaucratique qui leur est imposé et de mettre en place une solution typiquement « albertaine ».

Osler accompagne le gouvernement de l’Alberta dans la structure de son marché réglementé.

Points à surveiller en 2025

La structure réglementaire des jeux au Canada évolue rapidement, après des décennies marquées par une relative stagnation. Ces changements s’accompagnent de nouveaux défis stratégiques pour les organismes de réglementation, comme la promotion du jeu responsable, le traitement de la sensation de surabondance de messages publicitaires sur les jeux et la lutte contre le marché illégal des jeux en ligne. En date du présent article, le projet de loi S-269, qui prévoit l’élaboration d’un cadre national pour réglementer la publicité sur les paris sportifs, a été adopté par le Sénat et envoyé à la Chambre des communes pour y être étudié.

Alors qu’un nombre grandissant de provinces cherche à réglementer les jeux en ligne, le cadre de réglementation au Canada tend à devenir plus complexe pour les exploitants de jeux. En même temps, cette situation permet de clarifier les « règles du jeu » au Canada et d’offrir de nouvelles occasions d’engranger des revenus. Les exploitants de jeux ont intérêt à surveiller de près l’évolution du marché en Ontario, particulièrement en ce qui concerne le modèle de liquidité et le système centralisé d’auto-exclusion, et à prendre des mesures proactives en préparation au lancement du marché réglementé en Alberta.