Perspectives juridiques Osler 2024

Mise en valeur des minéraux critiques du Canada à l’appui de la transition énergétique

5 Déc 2024 11 MIN DE LECTURE

À l’heure où le monde passe à des sources d’énergie produisant peu d’émissions de gaz à effet de serre (GES), la priorité est accordée à la mise en valeur de sources fiables et responsables de ressources nécessaires à la prospérité de nos économies. Le Canada est reconnu pour ses réserves de minéraux critiques : les sociétés mondiales du secteur le classent au premier rang pour ce qui est du potentiel minier. Le gouvernement fédéral s’est également dit favorable à la mise en valeur des ressources de minéraux critiques du Canada et au développement de leurs chaînes de valeur.

Toutefois, la mise en valeur des minéraux critiques du Canada fait face à des défis importants, notamment ses répercussions sur l’environnement et les droits des Autochtones, ainsi que les processus réglementaires longs, complexes et intrinsèquement incertains. Ces obstacles ont nui à d’autres secteurs de mise en valeur des ressources et ont fait fuir les investissements dans les ressources canadiennes au cours des dix dernières années. Le Canada doit en faire plus pour éliminer les obstacles à la mise en valeur des minéraux critiques s’il espère tirer parti de cette occasion générationnelle dans les années à venir.

De nombreux minéraux critiques relevés au Canada

Les minéraux critiques sont des minéraux qui sont essentiels à la production de nombreux produits et de nombreuses technologies et qui sont considérés comme stratégiques et vitaux pour la sécurité nationale ou économique. Le Canada a publié pour la première fois sa liste de minéraux critiques en 2021. Comptant au départ 31 minéraux critiques, la liste a été allongée de trois en 2024.

La Stratégie canadienne sur les minéraux critiques [PDF] (la Stratégie) a été publiée en 2022. Elle envisage de stimuler « l’offre en minéraux critiques provenant de sources responsables » et d’appuyer « le développement de chaînes de valeur tant au Canada que sur le plan international pour parvenir à une économie verte et numérique ». La Stratégie souligne que la dépendance actuelle du Canada à l’égard des importations, tout comme la concentration géographique des sources internationales de minéraux critiques, crée des risques où les événements géopolitiques limiteraient l’offre du Canada.

Pour appuyer la mise en valeur des minéraux critiques au pays, la Stratégie identifie les régions canadiennes qui présentent un potentiel d’exploration et de mise en valeur à court terme. De plus, elle énonce six secteurs d’intervention privilégiés, notamment encourager l’exploration, la recherche-développement et l’innovation, et accélérer le développement de projets responsables.

Des programmes de financement public fédéraux à l’appui des projets relatifs aux minéraux critiques

Dans le but déclaré de stimuler les projets relatifs aux minéraux critiques, le gouvernement fédéral a mis en œuvre des programmes et du financement ciblés, dont le Fonds pour l’infrastructure des minéraux critiques (FIMC), le Programme de recherche, développement et démonstration pour les minéraux critiques (PRDDMC), l’Initiative Géosciences et données pour les minéraux critiques (Initiative GDMC) et le Fonds stratégique pour l’innovation (FSI).

Le FIMC offrait deux avenues de soutien dans le cadre de son programme. La première avenue consistait en du financement public sous forme de contribution pour des activités de préconstruction et des projets d’infrastructures des minéraux critiques prêts à démarrer. La deuxième avenue consistait en des subventions aux Autochtones pour soutenir la mobilisation, la participation et le renforcement des capacités des Autochtones dans le cadre de projets d’infrastructures permettant la mise en valeur des minéraux critiques. Alors que l’appel de propositions relatives à la première avenue, soit le financement sous forme de contribution, est désormais fermé, l’appel de propositions relatives aux subventions aux Autochtones est ouvert jusqu’au 31 décembre 2024.

Dans le cadre du PRDDMC, le gouvernement fédéral a alloué, entre 2022 et 2024, plus de 35 millions de dollars à 30 projets de recherche et développement entrepris par des laboratoires de recherche fédéraux. Entre 2022 et 2025, il a alloué 22 millions de dollars supplémentaires en financement sous forme de contribution à huit projets pilotes et de démonstration. Ces projets avaient pour but notamment de valider la faisabilité de technologies de transformation émergentes pour les matériaux utilisés dans la fabrication des batteries et des aimants permanents. Les noms des candidats sélectionnés dans le cadre de la dernière vague de ce programme devraient être dévoilés sous peu.

L’Initiative GDMC offre du financement sous forme de contribution à des projets d’un à deux ans qui visent à accroître la disponibilité des données sur l’emplacement, la qualité et la faisabilité économique des ressources de minéraux critiques au Canada.

Enfin, le FSI a alloué un financement de 1,5 milliard de dollars à l’appui des projets relatifs aux minéraux critiques ayant des applications en matière de fabrication, de traitement et de recyclage.

Autres encouragements et crédits d’impôt

En plus des programmes de financement dont il a été question ci-dessus, le gouvernement du Canada a mis en œuvre le crédit d’impôt à l’investissement pour la fabrication de technologies propres (FTP). Ce crédit d’impôt, qui avait été d’abord annoncé dans le budget de 2023, est entré en vigueur en juin 2024. Il s’agit d’un crédit d’impôt remboursable correspondant à 30 % du coût des investissements dans des biens admissibles utilisés pour l’extraction, la transformation et le recyclage de certains minéraux critiques (plus précisément, le lithium, le cobalt, le nickel, le graphite, le cuivre et des éléments des terres rares). Le crédit de 30 % sera disponible jusqu’en 2031. Puis, il sera éliminé graduellement sur une période de deux ans, pour s’éteindre complètement après 2034.

Le gouvernement du Canada aide également les entreprises à attirer les investissements en capitaux propres des actionnaires en maintenant le programme d’actions accréditives pour les sociétés minières en place depuis longtemps et en instaurant un crédit d’impôt à l’investissement pour l’exploration de minéraux critiques non remboursable de 30 %. Ce crédit d’impôt, qui est offert à certains détenteurs individuels d’actions accréditives, vise certaines dépenses d’exploration minière déterminées qui font l’objet d’une renonciation aux termes de la convention d’actions accréditives.

Les arguments en faveur d’une production nationale

Les 34 minéraux critiques du Canada incluent le cobalt, le nickel, le silicium et les éléments des terres rares. Ils entrent tous dans la fabrication de technologies alimentées à l’énergie verte. À l’heure actuelle, la plupart des mines en activité recelant ces minéraux se trouvent dans des pays dont le bilan en matière de droits de la personne et de protection de l’environnement est peu reluisant.

Puisque le Canada dispose de ces minéraux critiques en son territoire et qu’il est impérieux qu’il se dote de sources fiables et responsables pour réussir sa transition énergétique et respecter ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique, d’aucuns considéreront cet état de fait comme des arguments convaincants portant que l’exploitation des minéraux critiques correspond aux intérêts de la population canadienne.

Si l’on veut que des investissements importants soient faits dans la mise en valeur des minéraux critiques au Canada, il faudra que les nouveaux projets miniers aillent de l’avant rapidement, ce qui nécessitera la modification des processus de délivrance de permis.

Le gouvernement fédéral a souligné le fait que, pour atteindre la carboneutralité, il faut que le secteur privé investisse dans les minéraux critiques. Il a reconnu qu’il fallait que, pour attirer ces investissements, la réglementation canadienne soit plus efficace et qu’il ne fallait pas que cela prenne plus de dix ans pour ouvrir une nouvelle mine et sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques. La Stratégie reconnaît que « même si la réglementation responsable est essentielle, les processus complexes de réglementation et de délivrance de permis peuvent entraver la compétitivité économique du secteur et accroître le niveau de risque en matière d’investissement pour les promoteurs. »

Nous souscrivons à cette observation. Toutefois, malgré l’intention déclarée du gouvernement, les longs retards causés par les processus de délivrance de permis continuent d’entraver de façon importante la capacité du Canada à attirer des investissements dans la mise en valeur des minéraux critiques.

L’un des plus importants processus de délivrance de permis s’appliquant aux projets de minéraux critiques est le processus d’évaluation environnementale. Des examens environnementaux peuvent être effectués sous le régime de la Loi sur l’évaluation d’impact (la LEI) du fédéral ou les régimes provinciaux, selon la nature du projet. La Stratégie précise que, lorsque des évaluations fédérales et provinciales sont requises, le gouvernement fédéral s’engagera à simplifier la surveillance réglementaire en réduisant les chevauchements et en augmentant l’efficacité et la certitude du processus. Il visera à atteindre l’objectif « une évaluation par projet » dans son examen des projets. Le budget fédéral de 2024 prévoyait un objectif d’au plus cinq ans pour la réalisation des évaluations d’impact et des processus de délivrance de permis pour les projets désignés par le gouvernement fédéral. Pour les projets non désignés par le gouvernement fédéral, l’objectif est que le processus de délivrance de permis soit mené à terme dans les deux ans ou moins. Pour en savoir plus sur la LEI, consultez l’article publié dans la revue Perspectives juridiques d’Osler.

Toutefois, malgré ces engagements, le gouvernement fédéral a récemment adopté une loi préservant la plupart des aspects problématiques de la LEI. Par exemple, le gouvernement a maintenu les dispositions actuelles de substitution autorisant « une évaluation par projet », lesquelles n’ont été utilisées avec succès que dans une seule province, la Colombie-Britannique. Dans toutes les autres provinces, le processus de la LEI s’est superposé aux régimes provinciaux de délivrance de permis et, dans bien des cas, fait double emploi.

La version actuelle de la LEI maintient également de longs délais d’origine législative qui peuvent être prorogés au gré du ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique. Le ministre fédéral conserve le pouvoir discrétionnaire de désigner les projets sous réglementation provinciale aux fins d’évaluation fédérale. Qui plus est, les critères applicables aux décisions prises en vertu de la LEI demeurent incertains.

De surcroît, les processus d’évaluation d’impact régionale entrepris conformément à la LEI n’ont pas permis de réaliser les gains d’efficience escomptés. Ils visaient à évaluer au préalable l’impact des projets de mise en valeur de minerai, y compris les minéraux critiques, dans une région donnée, en vue de simplifier le processus d’évaluation des projets futurs.

L’évaluation régionale en cours dans la région du Cercle de feu dans le nord de l’Ontario, réputée pour sa richesse en minéraux critiques, en est un exemple frappant. Le processus de planification de l’évaluation régionale du Cercle de feu a été lancé en 2020 et se poursuit depuis en collaboration avec les groupes autochtones locaux. Plus de quatre ans après le début du processus, le mandat définitif de l’évaluation régionale n’a pas encore été établi. De plus, même si l’objectif de l’évaluation régionale est d’éclairer et d’améliorer l’efficacité et l’efficience des futures évaluations d’impact, les projets miniers envisagés dans la région du Cercle de feu nécessitent toujours des évaluations individuelles dans le cadre des régimes d’évaluation fédéral et provinciaux.

Malgré les aspirations du gouvernement fédéral à l’égard des minéraux critiques, aucun travail important n’a été fait jusqu’à maintenant pour régler les problèmes mentionnés ci-dessus.

En savoir plus sur l’équipe Affaires réglementaires, Autochtones et environnement d’Osler
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La mission à remplir

Le gouvernement fédéral est conscient de l’occasion inestimable que la mise en valeur des minéraux critiques représente pour le Canada. Il a pris jusqu’à maintenant des mesures importantes pour stimuler le secteur sous la forme d’encouragements financiers et de crédits d’impôt. Toutefois, pour être en mesure d’attirer des investissements dans les minéraux critiques et saisir l’occasion de devenir un chef de file mondial dans cet important secteur, le Canada devra réformer de manière concrète le processus de délivrance des permis pour les nouveaux projets miniers. Jusqu’à maintenant, aucune réforme de ce type ne semble poindre à l’horizon.

Dans le contexte politique actuel, les promoteurs de projets d’exploitation de minéraux critiques peuvent atténuer les risques d’ordre réglementaire en amorçant un dialogue le plus tôt possible avec les communautés autochtones et les intervenants locaux susceptibles d’être touchés par ces projets. Il convient également de prendre l’initiative de cerner les principales préoccupations environnementales, comme les effets sur la qualité de l’eau, les émissions atmosphériques et les espèces en péril, et de déterminer les mesures d’atténuation à mettre de l’avant.

Nous avons bon espoir que d’importantes réformes seront apportées au processus de délivrance de permis dès 2025. D’ici là, les promoteurs devraient faire pression sur les gouvernements fédéral et provinciaux pour qu’ils donnent la priorité à ces réformes, chercher des façons de participer à leur élaboration et se positionner pour aller de l’avant rapidement une fois les changements en place.