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La Cour rejette une plainte contre des administrateurs concernant la stratégie sur le climat de l’entreprise

Auteur(s) : Andrew MacDougall, Jennifer Fairfax, John M. Valley, Ankita Gupta

Le 26 mai 2023

Le 12 mai 2023, la Haute cour d’Angleterre et du Pays de Galles (la Cour) a rejeté [PDF, en anglais seulement] la demande d’action intentée par ClientEarth contre les administrateurs de Shell plc (Shell), dont le conseil d’administration avait présumément manqué à ses responsabilités à titre de fiduciaire. Nous avons discuté de cette action dans un article précédent et avons noté la similitude entre les obligations des administrateurs au Canada et celles sur lesquelles ClientEarth cherchait à appuyer dans le cadre de sa plainte. Bien que la décision subséquente de la Cour de rejeter la plainte de ClientEarth ne soit pas contraignante pour les tribunaux canadiens, le raisonnement ayant mené à cette décision peut avoir une influence et pourrait dissuader les militants pour le climat d’entreprendre des recours similaires au Canada.

L’action originale

Dans le cadre de l’action intentée par ClientEarth, cette dernière alléguait que le conseil d’administration de Shell avait manqué à ses responsabilités à titre de fiduciaire en raison (i) des actes et omissions du conseil relativement à la stratégie de gestion des risques liés aux changements climatiques de Shell, telle que divulguée publiquement par Shell, et (ii) de son défaut à contraindre Shell à se conformer à une ordonnance (l’ordonnance néerlandaise) rendue par le Tribunal de district de La Haye le 26 mai 2021, laquelle imposait à Shell de réduire le volume annuel global des émissions de CO2 issues des activités commerciales du groupe Shell, ainsi que des produits assurant le transport d’énergie vendus par Shell, et ce, d’un volume net d’au moins 45 % d’ici la fin de 2030 par rapport aux niveaux de 2019.

Dans notre précédent article, nous avons abordé la nouvelle plainte de ClientEarth selon laquelle le conseil d’administration de Shell avait manqué à son obligation, en vertu de la Companies Act (loi sur les entreprises) du Royaume-Uni, de promouvoir le succès de Shell au profit de l’ensemble de ses membres et d’agir avec des soins, une habileté et une diligence raisonnables, prétendument en omettant d’adopter et de mettre en œuvre une stratégie sur le climat conforme aux dispositions de l’Accord de Paris. Afin de poursuivre les procédures, ClientEarth avait besoin de l’autorisation de la Cour pour intenter une action au nom de Shell contre ses administrateurs.

Le rejet

En vertu de la Companies Act du Royaume-Uni, un tribunal est tenu de rejeter une plainte s’il lui apparaît que la plainte elle-même et les preuves déposées à l’appui de celle-ci ne permettent pas de conclure à l’existence d’une cause probable d’action justifiant l’octroi d’une autorisation. La Cour a admis, comme l’a fait Shell, de façon générale, que Shell est confrontée à des risques importants et prévisibles en raison des changements climatiques, qui pourraient avoir un impact important sur les activités de l’entreprise. Toutefois, la question soumise à la Cour visait à savoir si la gestion du risque climatique par le conseil d’administration constituait un cas prima facie de manquement à ses obligations pouvant donner lieu à une action en justice. La Cour a conclu que ClientEarth n’avait pas satisfait à ce critère.

La Cour a par ailleurs noté qu’il n’existe pas de méthode universellement reconnue quant aux moyens par lesquels Shell pourrait atteindre les cibles de réductions visées dans sa stratégie de transition énergétique. Bien que ClientEarth ait critiqué la pertinence des objectifs de Shell en matière d’émissions de catégories 1, 2 et 3, qu’elle ait fait valoir que l’offre mondiale actuelle était suffisante et ne nécessitait aucun développement supplémentaire et qu’elle ait critiqué l’utilisation proposée de Shell du captage et du stockage du carbone et de solutions naturelles pour faire face au risque climatique, les arguments de ClientEarth n’ont pas suffi à démontrer que les activités de Shell étaient gérées d’une façon qui ne pouvait pas raisonnablement être considérée par les administrateurs comme étant dans l’intérêt des actionnaires de Shell dans leur ensemble. Les éléments déposés en preuve n’ont pas permis de conclure qu’aucun conseil d’administration agissant de manière raisonnable n’aurait pu déduire, à juste titre, que la voie à suivre pour l’atteinte des objectifs était celle que Shell avait adoptée.

Selon la Cour, le « défaut fondamental » de la plainte de ClientEarth vient du fait que celle-ci « fait abstraction du fait que la gestion d’une entreprise de la taille et de la complexité de Shell exige des administrateurs qu’ils tiennent compte d’une série de considérations concurrentes, dont l’équilibre dépend de décisions administratives typiques sur lesquelles le tribunal n’a pas la capacité de se prononcer ».

Bien que ClientEarth ait également fait valoir que la réponse de Shell pour se conformer à l’ordonnance néerlandaise était insuffisante, la Cour a rejeté cet argument, car l’ordonnance néerlandaise a spécifiquement prouvé que « Shell est totalement libre de se conformer à son obligation de réduction [des émissions de GES] comme elle l’entend, et de façonner la politique d’entreprise du groupe Shell à sa propre discrétion ».

La Cour a également évalué certains facteurs additionnels qu’elle a pris en compte pour déterminer si elle devait accorder l’autorisation, notamment la question de savoir si le membre a agi de bonne foi en cherchant à poursuivre les procédures. Tout en notant qu’il n’y avait aucune raison de douter que ClientEarth pensait sincèrement que sa plainte était dans l’intérêt supérieur à long terme de Shell, de ses actionnaires et de ses employés, la Cour a conclu que ClientEarth avait un motif secret pour poursuivre sa plainte, soit promouvoir le programme politique de ClientEarth. La Cour a estimé que ce motif secret était l’objectif dominant de la plainte et que, sans cet objectif, la demande n’aurait pas été présentée. Par conséquent, la Cour n’a pas été convaincue que la demande avait été présentée de bonne foi.

La Cour a finalement conclu que ClientEarth n’avait pas présenté une cause valable pour sa demande d’action dérivée contre Shell. La Cour a donc refusé d’autoriser la poursuite des procédures.

ClientEarth disposait de sept jours pour demander une audience et un réexamen de la décision de la Haute Cour. Elle a indiqué avoir présenté une demande de réexamen et qu’une audience lui avait été accordée (article en anglais seulement).

Répercussions pour les conseils d’administration canadiens

En vertu des lois canadiennes sur les sociétés, l’autorisation d’un tribunal est nécessaire pour intenter une action dérivée au nom d’une société contre son conseil d’administration. Le tribunal ne peut accorder l’autorisation que s’il est convaincu que (i) le plaignant est de bonne foi et (ii) qu’il semble être dans l’intérêt de la société que l’action soit intentée. Bien que la décision de la Cour dans cette affaire ne soit pas contraignante pour les tribunaux canadiens, son raisonnement peut avoir une influence et pourrait dissuader les militants pour le climat d’entreprendre des recours similaires au Canada.