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Utilisation de cryptomonnaie comme sûreté réelle au Canada : Questions à examiner par les prêteurs

Auteur(s) : Joyce M. Bernasek, Matthew T. Burgoyne, Yasir Samad

Le 6 février 2023

La cryptomonnaie est un substitut numérique de la monnaie traditionnelle. Elle est entièrement virtuelle, ce qui veut dire que, avec une telle monnaie, on n’a pas besoin de billets de banque ou de pièces de monnaie. Les cryptomonnaies ne sont pas émises ou produites par un gouvernement ou une banque centrale. Les nouvelles cryptomonnaies sont créées par des milliers de bénévoles à l’échelle internationale au moyen d’une technologie informatique qui leur permet de les « miner » ou de les générer. Avec la prévalence des cryptomonnaies, les emprunteurs cherchent de plus en plus à utiliser ces actifs numériques comme sûreté réelle pour leurs opérations de prêt. Dans le présent bulletin, nous abordons plusieurs questions que les prêteurs devraient examiner avant d’accepter de la cryptomonnaie comme sûreté réelle dans le cadre d’une opération de prêt garanti.

Vérification diligente

Outre la vérification diligente que les prêteurs effectuent habituellement à l’égard des emprunteurs et de la sûreté réelle offerte, avant d’accepter de la cryptomonnaie en garantie d’un prêt, les prêteurs devraient veiller particulièrement à faire les vérifications supplémentaires suivantes :

  1. Vérifier l’emplacement de la cryptomonnaie. L’emprunteur a-t-il la garde de sa cryptomonnaie, ou celle-ci se trouve-elle dans un portefeuille numérique qui est en possession et sous le contrôle d’un tiers? La cryptomonnaie doit se trouver dans le portefeuille numérique de l’emprunteur lui-même, et ce dernier doit avoir le contrôle exclusif de la clé cryptographique privée qui donne accès à la cryptomonnaie. Ou, si l’emprunteur stocke la cryptomonnaie sur un compte de dépôt, le dépositaire doit être bien connu et jouir d’une bonne réputation. Pour savoir si le dépositaire a une telle réputation, on peut vérifier s’il est effectivement enregistré conformément aux lois des États-Unis ou du Canada (par exemple, le dépositaire Gemini Trust Company, LLC est une société de fiducie de New York réglementée par le New York State Department of Financial Services (NYDFS)).

  2. Évaluer la nature et la qualité de la cryptomonnaie. S’agit-il du bitcoin, de l’éther ou d’une autre cryptomonnaie bien connue à fort volume de négociation? Certaines cryptomonnaies se négocient très peu et ont été créées pour le financement d’un projet qui n’existe plus, qui a été impliqué dans une fraude ou dont la chaîne de blocs sous-jacente a été piratée ou compromise. Les prêteurs voudront éviter d’accepter une telle cryptomonnaie comme sûreté réelle. Dans l’idéal, la cryptomonnaie offerte comme sûreté réelle figure parmi les 10 cryptomonnaies ayant le volume de négociation le plus élevé entre toutes, selon CoinCap (https://coincap.io/).

  3. Évaluer tout risque potentiel lié aux lois sur les valeurs mobilières. Le bitcoin et l’éther (en plus de quelques autres) sont généralement considérés par les autorités canadiennes en valeurs mobilières comme des marchandises, et non comme des valeurs mobilières ou des produits dérivés. Certaines cryptomonnaies, en raison des faits entourant leur création, leur promotion et leur vente, s’apparentent davantage à des valeurs mobilières ou à des produits dérivés. Les prêteurs devraient éviter de prendre en garantie des cryptomonnaies qui sont elles-mêmes des valeurs mobilières ou des produits dérivés (à moins que ce ne soit l’intention spécifique du prêteur) pour éviter l’application inattendue des lois sur les valeurs mobilières à leurs activités, comme les restrictions en matière de revente, les exigences d’enregistrement ou les exigences de déclaration des opérations sur produits dérivés.

  4. Évaluer tout risque potentiel de blanchiment d’argent et de financement d’activités terroristes. Étant donné que certaines cryptomonnaies sont anonymes ou (dans le cas des pièces de monnaie privées) quasi-anonymes, comme l’argent liquide, elles sont parfois utilisées pour faciliter la vente de drogues illégales et/ou ont été utilisées d’une autre manière pour blanchir de l’argent et financer des activités terroristes. Contrairement à l’argent liquide, les cryptomonnaies ne sont pas frappées ni distribuées par le biais du système bancaire traditionnel. On peut dire que cela augmente le risque d’activité illégale. Un prêteur doit s’enquérir de l’origine de la cryptomonnaie de l’emprunteur et, si elle ne provient pas d’une plateforme d’échange de cryptomonnaie réglementée au niveau fédéral et enregistrée auprès du CANAFE au Canada ou du FinCEN aux États-Unis, le prêteur doit envisager de faire appel aux services d’une société d’analyse de chaînes de blocs (telle que ciphertrace (https://ciphertrace.com/) pour effectuer une analyse et confirmer que la cryptomonnaie n’a pas été précédemment distribuée par le biais d’adresses de portefeuilles de cryptomonnaie figurant sur une liste noire ou sanctionnées, ou d’adresses de portefeuilles associées à des marchés de l’internet clandestin.

  5. Tenir compte des conditions des marchés boursiers aux États-Unis et ailleurs dans le monde. La corrélation accrue depuis 2020 entre le prix des cryptomonnaies, comme le bitcoin, et le prix des actions axées sur la technologie sur les principaux indices boursiers américains doit être prise en compte par un prêteur lorsqu’il envisage d’accepter des cryptomonnaies comme sûreté réelle. Un prêteur qui souhaite un actif stable comme sûreté réelle devrait repenser à l’utilisation de la cryptomonnaie en période de turbulences sur les marchés boursiers mondiaux. Cependant, il existe plusieurs produits disponibles sur le marché des cryptomonnaies qui sont conçus pour couvrir la volatilité.

Sûretés réelles et contrôle des actifs cryptographiques

À l’heure actuelle, les lois sur les sûretés mobilières ne mentionnent pas expressément les cryptomonnaies, qui relèvent très probablement de la définition de « bien immatériel ».  Lorsqu’ils acceptent des cryptomonnaies comme sûreté réelle, les prêteurs doivent s’assurer de tenir dûment compte des lois sur les sûretés mobilières et de prendre les mesures nécessaires pour rendre la sûreté opposable par enregistrement.

En outre, pour obtenir le contrôle des actifs cryptographiques, un prêteur peut conclure une convention de contrôle, prendre possession de la clé cryptographique privée permettant de déverrouiller les actifs d’un portefeuille numérique, ou nommer un fiduciaire ou un dépositaire, dûment autorisé et jugé acceptable par toutes les parties, chargé de détenir les actifs cryptographiques. Comme dans le cas d’autres types d’actifs, les prêteurs doivent s’assurer que les actifs cryptographiques sont décrits avec précision et que les portefeuilles de cryptomonnaie sont suffisamment identifiés et divulgués.

Réalisation

La réalisation d’une sûreté réelle sur un actif numérique affecté en garantie pose des risques supplémentaires qu’un prêteur doit prendre en compte, étant donné que les opérations en cryptomonnaie sont rapides et presque impossibles à suivre. Par conséquent, la meilleure protection pour les prêteurs est d’inclure des mécanismes et des recours contractuels dans la convention de prêt et de les refléter dans le contrat intelligent.