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La Cour fédérale donne des directives sur le caractère adéquat d’une consultation supplémentaire des Autochtones et des recours appropriés concernant les projets en phase d’exploitation

Auteur(s) : Richard J. King, Jessica Kennedy

Le 21 octobre 2021

La Cour fédérale du Canada a récemment rendu sa décision dans l’affaire Peguis First Nation v. Canada (Attorney General), 2021 FC 990 (la décision). Dans la décision, la juge McVeigh a examiné une demande de révision judiciaire déposée par plusieurs Premières Nations d’un décret (le décret) ordonnant à l’Office national de l’énergie (l’ONÉ) de délivrer un certificat de commodité et de nécessité publiques (le certificat) en ce qui concerne le projet de transmission Manitoba – Minnesota (le projet). En décidant des faveurs des demandeurs, la Cour a toutefois refusé d’annuler le décret mis en cause, en indiquant que même si la Couronne fédérale ne s’était pas acquittée de façon appropriée de son obligation de consulter, l’annulation du décret ne consisterait pas en une réparation adéquate au vu des intérêts opposés du promoteur du projet.

La décision donne d’importantes directives sur l’étendue de l’obligation de consulter lorsque la Couronne procède à une consultation venant s’ajouter à une consultation déjà menée par un organisme de réglementation. La décision fournit également des renseignements utiles sur les recours appropriés qui sont disponibles dans les cas où la consultation n’était pas adéquate, bien que le projet soit déjà en phase d’exploitation.

Contexte

Le projet concerne une ligne de transmission internationale en cours d’exploitation par Manitoba Hydro, construite et achevée pendant les années 2019 et 2020. En 2013, Manitoba Hydro a entamé un processus d’approbation coordonné au niveau provincial et fédéral en vertu de la Loi sur l’environnement, de la loi fédérale intitulée Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Parallèlement, Manitoba Hydro s’est chargée des aspects de la consultation avec les Autochtones.

En 2018, l’ONÉ a conclu que le projet était et serait nécessaire aux fins de la commodité et de la nécessité publiques actuelles et futures, et a recommandé qu’un certificat soit délivré par le gouverneur en conseil. Au cours du processus d’audiences, l’ONÉ a apporté son concours dans le cadre de certaines activités de consultation des Autochtones, y compris la participation d’intervenants autochtones aux audiences.

À la suite de la décision de l’ONÉ, le Canada a mené des consultations supplémentaires des Autochtones dans le but de déterminer les inquiétudes non résolues concernant les répercussions du projet sur les droits ancestraux et issus de traités, et de discuter de mesures d’accommodement supplémentaires (s’il y a lieu).

Le demandeur, les Premières Nations, y compris la Première Nation de Peguis, a déposé une demande de révision judiciaire, afin de contester le caractère adéquat de la consultation supplémentaire de la Couronne fédérale et le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil de publier le décret ordonnant à l’ONÉ de délivrer un certificat concernant le projet.

La décision

La Cour fédérale a accueilli partiellement la demande de révision judiciaire, en concluant que la Couronne n’avait pas consulté la Première Nation de Peguis de manière adéquate et que, par extension, la décision du gouverneur en conseil de publier le décret était déraisonnable. La Cour a néanmoins refusé d’annuler le décret, et plutôt accordé un redressement déclaratoire à la Première Nation de Peguis et ordonné à la Couronne de mener une consultation supplémentaire, et s’il y a lieu, d’adopter des mesures d’accommodement.

Au titre du caractère adéquat de la consultation, la Cour a évalué la consultation de la Couronne auprès de chacune des Premières Nations du demandeur. À une seule reprise (en ce qui concerne la Première Nation de Peguis), la Cour a estimé que la consultation n’était pas adéquate. La Cour a jugé que « bien que le processus établi était en mesure de respecter l’obligation de consulter du Canada, l’exécution de ce processus ne l’a pas respectée ». Ce faisant, la Cour a renforcé la différence subtile existant entre le degré de consultation stipulé sur le plan de la forme, et le degré de consultation menée sur le plan du fond, comme le souligne l’affaire Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, en ce qui concerne la consultation des Autochtones par la Couronne sur le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain. Les deux affaires soulignent la nécessité d’un dialogue bidirectionnel entre la Couronne et les groupes autochtones concernés, de sorte que «  [l]a Couronne ne saurait se contenter de recueillir et de consigner les préoccupations et les plaintes ».

Par ailleurs, la décision clarifie l’incapacité de la Couronne de se fonder entièrement sur la consultation menée par un organisme réglementaire, en l’occurrence l’ONÉ, alors que la Couronne a établi une phase de consultation distincte, en dehors du processus réglementaire. La Cour a estimé que puisque la Couronne avait entrepris un processus de consultation supplémentaire, et que ce processus en soi était nécessaire pour satisfaire aux exigences d’une consultation adéquate même si le processus de l’ONÉ était suffisant, la consultation supplémentaire doit être aussi suffisante pour s’acquitter de l’obligation de consulter. Plus particulièrement, la Cour a statué que malgré le fait que la Couronne ait examiné les inquiétudes que la Première Nation de Peguis a exprimées pendant le processus de l’ONÉ et en ait tenu compte, ce processus n’était pas adéquat, car la Couronne et la Première Nation de Peguis n’ont pas tenu de dialogue bidirectionnel. La Cour a estimé que cet acte d’accommodement « unilatéral » au cours de la phase de consultation supplémentaire ne pouvait pas remplacer une consultation bidirectionnelle en bonne et due forme avec la Première Nation de Peguis.

À l’inverse, la Cour a statué que la Couronne avait consulté de manière adéquate les autres Premières Nations du demandeur, malgré leur opposition au projet, tout en renforçant le principe de longue date que l’obligation de consulter ne crée pas un « droit de veto » de fait sur les projets envisagés. Pour déterminer que la consultation revêtait un caractère adéquat pour ces Premières Nations, la Cour a répété qu’une consultation adéquate n’exige pas un consentement. Elle a statué sur le fait que les divergences de points de vue entre ces demandeurs et la Couronne sur les répercussions du projet ne signifiaient pas que ces « points de vue » doivent être privilégiés ou que le Canada n’en ait pas véritablement tenu compte. La Cour a confirmé que « l’obligation de consulter n’oblige pas la Couronne à s’assurer que les Premières Nations concernées tirent parti de l’activité envisagée […] Le fait que [le demandeur] ne tire pas parti du projet ne constitue pas une violation de leurs droits ancestraux ou issus de traités. De surcroît, le fait que [le demandeur] ait proposé certaines mesures d’accommodement ne signifie pas que la Couronne doit les accepter ».

La Cour a statué qu’en raison de l’échec de la consultation avec la Première Nation de Peguis, la conclusion du gouverneur en conseil selon laquelle la Couronne respectait son obligation de consulter, n’était pas raisonnable.

Le recours

Sur le plan du recours, les demandeurs ont demandé l’annulation du décret, l’ordonnance par la Cour au Canada de procéder à nouveau à sa phase de consultation supplémentaire, et de suspendre la licence du promoteur d’exporter de l’électricité jusqu’à l’achèvement d’une consultation supplémentaire en bonne et due forme.

La Cour a rejeté les allégations du demandeur, au motif que puisque le projet était déjà en phase d’exploitation et que le promoteur n’était pas en tort, l’annulation du décret ne serait pas raisonnable. La Cour a fait remarquer ce qui suit :

Dans les demandes de révision judiciaire, le recours le plus courant et le plus juste consiste à ordonner l’annulation de la décision et à la renvoyer au décideur pour révision. Cependant, sur la base des faits – la ligne est construite et en cours d’exploitation – je n’accorderai pas cette solution à titre de recours. En pratique, ce fait rend ce recours irréalisable, au sens où il ne répond pas véritablement à la raison pour laquelle cette demande est accueillie. Je conclus que le Canada n’a pas consulté de façon adéquate la Première Nation de Peguis et que l’annulation de la décision suspendrait de manière injuste les activités de Hydro, qui n’est pas une partie en tort dans le cadre de cette demande. Je vais encore plus loin : le démantèlement de la ligne serait probablement encore plus préjudiciable que la rectification des violations survenues dans cette demande. Par conséquent, je n’accorderai pas cette solution à tire de recours.

La Cour a également statué qu’une ordonnance imposant une nouvelle consultation ne serait pas souhaitable, car « elle pourrait nécessiter la supervision de la Cour et d’autres ordonnances éventuelles de la Cour pour garantir le respect d’échéances raisonnables, ainsi qu’un rôle de supervision pour dicter ce qui est raisonnable ».

La Cour a plutôt rendu le jugement déclaratoire suivant « [l]e Canada, en omettant de participer de manière effective avec la Première Nation de Peguis au cours de la consultation supplémentaire, ne s’est pas acquitté de façon adéquate de son obligation de consulter » et a fait remarquer qu’elle espérait que le Canada mènerait une autre consultation avec la Première Nation de Peguis pour, notamment, déterminer si des mesures d’accommodement étaient nécessaires.

Répercussions

La décision de la Cour est importante à plusieurs égards. Premièrement, elle souligne que la consultation sur le plan du fond nécessite un véritable dialogue bidirectionnel avec les collectivités autochtones concernées. Même si de nombreux processus réglementaires sont en mesure de répondre à l’obligation de consulter lorsque la Couronne a établi un processus de consultation distinct et direct, ce processus doit être exécuté d’une manière qui respecte le principe de dialogue directionnel. Ce faisant, la décision donne des directives utiles aux organismes de réglementation, aux agents de la Couronne, aux promoteurs de projets et à leurs avocats pour gérer les risques liés aux projets pouvant avoir des répercussions sur les droits et les intérêts des peuples autochtones.

La décision joue aussi un rôle important du point de vue de ses observations sur le recours approprié lorsque la consultation de la Couronne est jugée inadéquate. Bien que les principes soulevés ne soient pas nouveaux, la décision marque un des rares cas où l’approbation de l’organisme de réglementation a été maintenue malgré le non-respect de l’obligation de consulter de la part de la Couronne. La décision souligne donc la nécessité de tenir compte des faits particuliers en l’espèce, y compris les préjudices qui pourraient être causés à la suite d’une annulation d’instruments réglementaires en élaborant un recours approprié.