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Les redressements immédiats extraordinaires, les lignes directrices en matière de contrat financier admissible, la bonne foi et plus encore

Auteur(s) : Marc Wasserman, Jacqueline Code, Kathryn Esaw

Le 13 décembre 2021

En raison d’un certain nombre de facteurs, dont l’ampleur des capitaux disponibles sur les marchés et le soutien continu apporté par les programmes gouvernementaux destinés à atténuer les effets économiques de la pandémie, l’année 2021 n’a pas été finalement l’apocalypse que plusieurs prédisaient. Néanmoins, les professionnels de la restructuration et les tribunaux canadiens ont continué à rencontrer et à surmonter des problèmes dans un certain nombre de domaines importants, dont les mesures de redressement immédiates extraordinaires, la bonne foi ou son absence, les contrats financiers admissibles et les procédures de liquidation en vertu de la LACC. Nous avons résumé ces thèmes importants liés au droit de la restructuration en quelques points essentiels à retenir pour quiconque est confronté à une entreprise canadienne en difficulté que ce soit à titre d’entreprise, de prêteur ou d’une autre partie prenante.

Just Energy : une mesure de redressement adaptée à des circonstances exceptionnelles

Le dépôt de la requête, dans le cadre de l’instance sur la société Just Energy Group, en vertu de la LACC au début de l’année 2021 a montré qu’un tribunal siégeant en vertu de la LACC peut accorder des mesures de redressement extraordinaires qui prennent effet au cours des dix premiers jours suivant le dépôt de la requête lorsque les circonstances précises et uniques auxquelles est confrontée la société débitrice le justifient. Osler représente Just Energy.

L’urgence pour Just Energy de déposer une demande de protection contre les créanciers en vertu de la LACC a encore été accentuée par les pressions financières causées par un phénomène météorologique extrême au Texas. Pendant une brève période en février 2021, un froid sans précédent a provoqué une flambée des prix de l’électricité sur le marché texan. Just Energy, dont l’activité consiste à acheter de l’électricité et du gaz naturel sur le marché pour les fournir à ses clients, a soudainement dû acheter de l’électricité au Texas, son plus grand marché aux États-Unis, pendant plusieurs jours à des prix extrêmement élevés et encore jamais vus. Elle a ensuite dû, dans un délai très court, effectuer des paiements de règlement s’élevant à des centaines de millions de dollars à l’opérateur de système texan, l’Electric Reliability Council of Texas (ERCOT).

L’absence de liquidités qui en a résulté a conduit Just Energy à demander une ordonnance initiale en vertu de la LACC, le 9 mars 2021, suivie d’une ordonnance de reconnaissance en vertu du chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis. Dans son ordonnance initiale, Just Energy a obtenu deux types de mesures de redressement dignes d’intérêt.

Un financement du débiteur-exploitant important devant être prélevé dans les dix premiers jours

En vertu des dispositions de la LACC entrées en vigueur en 2019, une société débitrice a le droit d’obtenir une ordonnance initiale seulement pour une période de dix jours. Pendant cette période initiale de dix jours, la société débitrice peut seulement obtenir les mesures de redressement qui peuvent être justifiées comme étant raisonnablement nécessaires pour « maintenir les lumières allumées » pendant cette période puisqu’une ordonnance initiale est généralement obtenue ex parte.

Just Energy a obtenu un financement du débiteur-exploitant de 125 millions de dollars dès la première journée de l’ordonnance. En raison de la situation exceptionnelle de Just Energy, il était impossible d’attendre l’approbation du tribunal pour obtenir ce financement et la charge super prioritaire correspondante avant la fin de la nouvelle audition. Si Just Energy n’avait pas satisfait aux demandes de paiements de règlement d’ERCOT dans les deux jours ouvrables, Just Energy aurait pu perdre son droit d’exploitation sur le marché texan ainsi que tous ses clients qui s’y trouvent. Cela aurait eu pour effet de rendre sa restructuration impossible.

Le montant de la charge du débiteur-exploitant et le fait que le financement du débiteur-exploitant serait presque entièrement prélevé et utilisé par l’entreprise dans les dix premiers jours étaient inhabituels. Toutefois, à la lumière des circonstances particulières dans lesquelles Just Energy se trouvait, cette mesure de redressement était tout à fait conforme aux exigences des dispositions modifiées de la LACC qui prévoient que des ordonnances initiales se limitent à ce qui est nécessaire pour assurer le fonctionnement de l’entreprise de la société débitrice.

Le raisonnement du tribunal démontre que les modifications apportées en 2019 à la LACC n’excluent pas complètement la possibilité pour une société débitrice d’obtenir l’approbation d’un financement du débiteur-exploitant d’une somme très importante dès le premier jour du dépôt de la demande. Toutefois, pour obtenir une telle mesure de redressement, la société débitrice doit être en mesure de justifier le montant du financement ainsi que la raison pour laquelle celui-ci doit être obtenu avant la nouvelle audition au cours de laquelle les parties concernées peuvent s’exprimer.

La suspension des procédures par un organisme de réglementation préserve les licences de la société débitrice

La suspension des procédures par un organisme de réglementation obtenue dans le cadre de l’ordonnance initiale accordée à Just Energy était la première du genre. Selon la règle par défaut de la LACC, une suspension des procédures peut empêcher les organismes de réglementation de prendre des mesures contre une société débitrice pour recouvrer de l’argent, sans toutefois les empêcher de prendre d’autres mesures non monétaires, sauf avec l’autorisation du tribunal. Les instances dans lesquelles un tribunal siégeant en vertu de la LACC peut accepter d’étendre la suspension des procédures aux mesures réglementaires, comme les suspensions ou les révocations de licences, n’avaient jamais été examinées avant que Just Energy ne demande ce redressement.

Le secteur d’activité dans lequel Just Energy exerce ses activités est hautement réglementé. La société requiert plusieurs licences de la part des autorités de réglementation au Canada et aux États-Unis et dépend d’autres relations avec celles-ci. Sans ces licences, Just Energy ne pourrait pas exercer ses activités. Au moment du dépôt, Just Energy exerçait ses activités conformément aux obligations réglementaires. Toutefois, la demande déposée par Just Energy en vertu de la LACC aurait pu servir de fondement aux autorités de réglementation pour suspendre ou révoquer ses licences, imposer par ailleurs des conditions onéreuses ou même transférer ses clients à un autre fournisseur.

Afin de faire en sorte que la société Just Energy puisse poursuivre ses activités pendant la restructuration, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accordé une suspension qui empêche les organismes de réglementation canadiens de prendre des mesures contre Just Energy sur la base de son insolvabilité ou de sa demande déposée en vertu de la LACC. Une ordonnance semblable a été accordée à l’égard des organismes de réglementation américains par les tribunaux américains dans le cadre de la procédure de reconnaissance du chapitre 15.

La possibilité de se prévaloir de la suspension de procédure par un organisme de réglementation était fondée, surtout, sur le principe que Just Energy continuerait à se conformer à toutes les exigences réglementaires applicables pendant qu’elle était placée sous la protection contre les créanciers en vertu de la LACC, y compris l’exigence de maintenir ses licences en règle. Cette prémisse était essentielle pour convaincre la Cour, comme il est exigé en vertu de la LACC, que la suspension de procédure par un organisme de réglementation n’était pas contraire à l’intérêt public.

La Cour était également prête à accorder la suspension de procédure pour la période initiale de dix jours sans donner de préavis aux organismes de réglementation concernés. Malgré l’obligation expresse de fournir un préavis en vertu de la LACC, la Cour a reconnu qu’il aurait été peu pratique de le faire dans les circonstances. La perturbation potentielle qui aurait pu être causée si les organismes de réglementations avaient pris des mesures contre la société débitrice pendant la période initiale de dix jours justifiait cette mesure de redressement immédiate accordée ex parte. Just Energy a ensuite été en mesure de s’engager de manière proactive avec tous les organismes de réglementation concernés. En fin de compte, aucun organisme de réglementation ne s’est opposé de manière formelle à la suspension, y compris lors de la nouvelle audition.

La suspension des procédures accordée constitue un précédent important pour d’autres sociétés débitrices fortement réglementées qui cherchent à maintenir leurs activités au cours d’une procédure en vertu de la LACC.

Qu’en est-il de la bonne foi?

Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans sa décision en 2020 dans l’affaire Callidus et plus récemment, dans Canada North, la bonne foi est une norme de conduite fondamentale qui sous-tend l’allégement discrétionnaire dont dispose une société débitrice en vertu de la LACC. Elle est évaluée par rapport aux buts et aux objectifs réparateurs de la LACC.

En 2019, la LACC a été modifiée pour exiger que « tout intéressé » dans une procédure intentée en vertu de la LACC agisse de bonne foi « dans le cadre de la procédure. » Si le tribunal est convaincu que l’intéressé n’a pas agi de bonne foi, il peut rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée. Une disposition équivalente a également été ajoutée à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI). Ces dispositions s’appliquent à toutes les parties à une procédure, et pas seulement à la société débitrice. Ces dispositions ont été adoptées avec comme objectif de rendre les procédures d’insolvabilité plus équitables, plus transparentes et plus accessibles aux parties prenantes qui sont vulnérables comme les retraités ou les travailleurs.

Lorsqu’elle a été introduite pour la première fois, les avocats en droit de l’insolvabilité craignaient qu’une obligation de bonne foi prévue par la loi ne devienne un outil mal défini permettant aux juges d’imposer leur moralité dans le cadre d’une procédure intentée en vertu de la LACC. On craignait également que cette modification encourage l’utilisation de requêtes stratégiques par les parties intéressées et crée ainsi de l’incertitude, des dépenses supplémentaires et des retards. Certaines mesures prises dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité peuvent sembler dures à l’égard de ceux qui ne recouvreront pas l’intégralité de leur créance ou qui n’en recouvreront pas du tout. Ces mesures peuvent également être dures pour ceux dont les relations contractuelles avec la société débitrice risquent d’être rompues. À quel moment ces mesures, souvent prises dans un contexte exigeant le respect du principe contradictoire, seront-elles limitées par le principe de bonne foi? Maintenant que deux années se sont écoulées depuis l’entrée en viguier de cette obligation prévue par la loi, l’on ignore encore si ces craintes initiales s’avéreront justifiées.

Il existe peu de jurisprudence qui analyse en détail la portée et la mise en œuvre de cette nouvelle obligation. En 2021, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu des décisions dans le cadre de deux instances connexes en vertu de la LACC qui pourraient clarifier l’approche du tribunal.

Dans le cadre de la procédure intentée en vertu de la LACC cherchant à restructurer les affaires de l’Université Laurentienne, la débitrice, qui était partie à trois contrats avec les « universités fédérées », c’est-à-dire l’Université Thorneloe, l’Université Huntington et l’Université de Sudbury, a déterminé que sa restructuration exigeait de les résilier. L’Université Thorneloe et l’Université de Sudbury se sont opposées à la résiliation pour plusieurs motifs, dont une allégation de mauvaise foi. Il a été soutenu que la résiliation était motivée par une fin illégitime, à savoir l’élimination de deux concurrents de la société débitrice. Les deux universités ont fait valoir que la résiliation entraînerait leur propre insolvabilité.

La Cour a rejeté les oppositions de l’Université Thorneloe et de l’Université de Sudbury. La Cour d’appel de l’Ontario a par la suite rejeté la demande d’autorisation d’appel de l’Université Thorneloe. L’Université de Sudbury n’a pas interjeté appel.

Dans la décision Thorneloe, la Cour a déclaré de manière explicite que [TRADUCTION] « les restructurations ne sont pas faciles » et a noté qu’elles [TRADUCTION] « entraînent souvent un traitement qu’une partie peut considérer comme extrêmement sévère ». Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que l’autre partie a agi de mauvaise foi. La Cour a noté que le contrôleur avait approuvé les résiliations sans émettre de réserve quant à la conduite de bonne foi de la société débitrice. En outre, le contrôleur a maintenu la prolongation de la suspension des procédures, qui exigeait une détermination selon laquelle la société débitrice avait agi de bonne foi et avait fait preuve de diligence raisonnable. 

La société débitrice avait fait la preuve que les renonciations étaient raisonnablement nécessaires à la restructuration et que la société débitrice avait été transparente quant à son intention de résilier ces contrats s’il n’était pas possible d’arriver à une solution négociée. L’une des universités fédérées, celle de Huntington, est parvenue à une résolution avec la société débitrice. Lors du rejet des objections, la Cour a noté que l’effet dévastateur des résiliations sur l’Université Thorneloe et l’Université de Sudbury devait être pondéré par rapport au risque pour la société débitrice de voir sa propre disparition si elle ne pouvait pas se restructurer. En cas d’échec de la restructuration, les universités fédérées seraient de toute façon insolvables.

Tout comme dans l’arrêt Callidus, la question de la mauvaise foi dans l’affaire de l’Université Laurentienne portait sur le bien-fondé de l’objectif pour lequel la société débitrice cherchait à résilier les contrats. Ces décisions viennent rassurer les sociétés débitrices puisque les risques d’arriver à une conclusion de mauvaise foi de leur part sont faibles pourvu que leurs actions se justifient à l’égard des objectifs en vertu de la LACC et qu’elles sont approuvées par le contrôleur. Osler continue à suivre l’évolution dans ce domaine, alors que de plus en plus de parties prenantes cherchent à se prévaloir de la nouvelle obligation prévue par la loi.

Port Capital : L’intention de proposer un plan n’est plus requise pour obtenir une suspension des procédures en vertu de la LACC en Colombie-Britannique

Une récente décision rendue en Colombie-Britannique a permis d’harmoniser d’anciens précédents avec l’approche flexible actuelle envers la LACC. Depuis qu’elle a été rendue en 2008, la décision Cliffs Over Maple Bay représente un obstacle pour les entreprises insolvables de la Colombie-Britannique. Selon la décision, pour obtenir une suspension en vertu de la LACC, la société débitrice doit avoir l’intention de proposer un plan d’arrangement ou de transaction à ses créanciers. Plus de dix ans plus tard et à la suite d’une décision rendue par un groupe de cinq juges dans l’affaire Port Capital Development, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a écarté ce principe en le transformant en facteur plutôt qu’en exigence.

La décision Port Capital délaisse l’approche restrictive adoptée par l’arrêt Maple Bay. Comme dans l’affaire Maple Bay, les sociétés débitrices étaient également propriétaires d’un projet immobilier. Les sociétés débitrices ont intenté des procédures en vertu de la LACC lorsque leur prêteur pour un projet de construction a annulé le financement. En plus des diverses offres de liquidation faites dans le cadre du processus de vente, une offre de refinancement a été proposée qui, si elle était menée à bien, constituerait un résultat nettement plus favorable pour les parties intéressées. L’offre de refinancement exigeait de la part de la société qu’elle demeure sous la protection contre les créanciers en vertu de la LACC pendant six mois afin de lui donner le temps de trouver le financement. Cette offre était faite dans l’espoir que la société puisse s’en sortir et achever le projet. Il est important de noter que l’offre de refinancement ne prévoyait aucun plan sur lequel les créanciers pourraient voter à un moment ou à un autre.

Le juge en cabinet a refusé d’approuver l’offre de refinancement en vertu de la LACC en s’appuyant sur la décision Maple Bay puisqu’il considérait que rien ne laissait croire qu’une partie avait l’intention de soumettre un plan d’arrangement ou de transaction à un vote. La Cour d’appel a accordé l’autorisation d’appel et a convoqué une formation de cinq juges ayant le pouvoir de réexaminer la décision Maple Bay s’ils l’estimaient nécessaire.

La Cour d’appel a profité de l’occasion pour réexaminer l’état du droit. Elle en est arrivée à la conclusion que l’élargissement de la portée des objectifs réparateurs et des stratégies déclarées en vertu de la LACC rendait caduque l’orientation plus restrictive de la décision Maple Bay. Par conséquent, le juge en cabinet a erré en droit lorsqu’il a traité l’absence d’une proposition de plan de transaction comme un facteur déterminant.

Cependant, le précédent établi dans la décision Maple Bay n’a pas été entièrement écarté, car le fait pour une société débitrice d’avoir l’intention de présenter un plan de transaction peut encore être pertinent, en fonction des faits particuliers, pour déterminer si les protections en vertu de la LACC devraient être disponibles en l’espèce. Les sociétés débitrices ne devraient pas avoir recours à la LACC [TRADUCTION] « simplement pour gagner du temps et sans avoir en main une proposition » susceptible de favoriser les objectifs de la LACC. Toutefois, différents moyens peuvent servir à atteindre ces objectifs.

Grâce à un réexamen éclairé de sa propre décision, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a élargi davantage la portée de la LACC pour donner aux approches novatrices en matière de restructuration un effet qui va au-delà du plan traditionnel de transaction ou d’arrangement. Cette décision revêtira un intérêt particulier pour les restructurations dans le secteur immobilier puisque les possibilités de financement décrites précédemment y sont courantes. Cela dit, nous nous attendons à voir des effets d’entraînement de cette décision dans tous les secteurs.

Re Bellatrix : les évolutions liées aux contrats financiers admissibles dans le cadre des procédures en matière d’insolvabilité 

Les vastes pouvoirs de restructuration accordés aux sociétés débitrices en vertu de la LACC comprennent la capacité de résilier des contrats, même si d’un autre côté, il est interdit aux parties contractantes de mettre fin à ces mêmes contrats. Ce pouvoir de résiliation constitue pour la société débitrice une arme redoutable à son arsenal de restructuration. Cependant, une exception essentielle y est prévue : les contrats financiers admissibles. Un contrat financier admissible ne peut pas être résilié par la société débitrice. Toutefois, contrairement à d’autres parties contractuelles, une partie à un contrat financier admissible peut invoquer son droit de résiliation sur la base du défaut de paiement et de l’insolvabilité de la société débitrice, malgré la suspension des procédures.

Le contrat financier admissible est défini dans les règlements adoptés en vertu de la LACC. De manière générale, un contrat financier admissible est un contrat financier destiné à gérer le risque financier associé notamment à certaines ententes sur les produits dérivés et les règlements de titres, les contrats à terme standardisés, les options ou les opérations sur produits dérivés. Cependant, même avec les indications fournies dans les règlements adoptés en vertu de la LACC, les contrats financiers admissibles sont par nature difficiles à définir, en partie parce que les produits dérivés sont un outil en constante évolution sur les marchés financiers. Il est nécessaire de prendre en compte l’objet d’un contrat pour évaluer son statut de contrat financier admissible.

Dans les procédures de l’affaire Bellatrix Exploration Ltd intentées en vertu de la LACC, Bellatrix avait conclu un certain nombre de contrats avec BP Canada pour l’approvisionnement à long terme de BP en gaz naturel. Bellatrix a cherché à résilier les contrats peu après avoir demandé la protection contre les créanciers en vertu de la LACC. La société débitrice a également cessé immédiatement d’exécuter les obligations prévues aux contrats, malgré l’exigence en vertu de la LACC selon laquelle toute résiliation d’un contrat est soumise à un préavis de 30 jours.

Dans une décision rendue en février 2020, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a déterminé que les contrats d’approvisionnement en gaz naturel correspondaient à la définition d’un contrat financier admissible. La Cour a examiné les contrats dans leur ensemble, en gardant à l’esprit le thème fondamental de la gestion du risque financier inhérent aux transactions commerciales. Le contrat comprenait, entre autres, un libellé explicite selon lequel les contrats constituaient des contrats financiers admissibles comme définis par les règlements adoptés en vertu de la LACC. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’un facteur pertinent, une telle formulation n’en fait pas en soi un contrat financier admissible.

La Cour a pris en compte l’ensemble de la preuve, comme la caractérisation des contrats faite par Bellatrix dans un communiqué de presse, ainsi que l’objet des contrats qui prévoyait de gérer le risque lié aux prix futurs, pour évaluer la véritable nature des contrats. La Cour a estimé, en se fondant sur la structure, l’objet des contrats et les faits dans leur ensemble, que les contrats étaient des contrats financiers admissibles et qu’ils ne pouvaient donc pas être résiliés. 

La Cour d’appel de l’Alberta a accordé l’autorisation d’appel et l’a entendu à l’automne 2020. Avant que la décision ne puisse être rendue, en décembre 2020, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a entendu et tranché une deuxième requête quant au droit de la société débitrice de cesser l’exécution des obligations prévues aux contrats.

La Cour a conclu que même si les contrats financiers admissibles ne pouvaient pas être résiliés, la société débitrice n’était pas tenue de continuer à exécuter les obligations prévues à ces contrats, c’est-à-dire livrer du gaz à BP à un prix contractuel désavantageux. Le fait d’exiger de la société débitrice qu’elle continue à exécuter ses obligations pourrait l’empêcher de se restructurer si le contrat en question lui est particulièrement défavorable. Au contraire, l’interdiction liée à la résiliation donne simplement à une partie à un contrat financier admissible la capacité de décider si elle veut mettre fin à la relation contractuelle et clore sa position ainsi que de déterminer à quel moment elle veut le faire.

Au moment de la deuxième requête, l’entreprise Bellatrix avait été vendue et BP n’avait pas résilié les contrats financiers admissibles. La Cour a conclu que, si la partie au contrat financier admissible ne clôt pas sa position et que la société débitrice cesse d’exécuter ses obligations, son seul recours sera d’intenter une poursuite en dommages-intérêts contre la société débitrice. À moins que la partie ne dispose d’une garantie, elle participera au processus en tant que créancière non garantie et récupérera ce qui lui revient en fonction de son rang.

En mars 2021, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté la demande d’autorisation d’appel dans le cadre de la deuxième requête. Dans ses motifs, la Cour a souligné qu’il n’existait aucune raison de douter du bien‑fondé du raisonnement. Subséquemment, en avril 2021, à la suite de la décision rendue lors de la deuxième requête et de la vente de l’entreprise, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’appel de la première requête au motif qu’il était devenu théorique.

Le rejet de l’appel lors de la première requête qui traitait de la caractérisation des contrats comme des contrats financiers admissibles laisse une incertitude quant à la portée de la définition de ces derniers. Celui-ci laisse également une incertitude quant à l’avantage d’utiliser un libellé explicite dans les contrats pour les caractériser de contrats financiers admissibles en vue de les rendre conformes aux règles d’exonération en vertu de la LACC. Toutefois, les conclusions rendues dans la deuxième requête confirment que les sociétés débitrices disposent d’un outil supplémentaire qui leur permet de cesser unilatéralement d’exercer leurs obligations et qui pourrait les aider à obtenir une mesure de redressement face aux contrats financiers admissibles défavorables sans avoir recours au processus de résiliation.

Conclusion

Nous prévoyons que les tribunaux continueront à s’attaquer aux questions épineuses liées à la dynamique entre les intéressés, à la bonne foi, à la nature des contrats financiers admissibles et aux mesures de redressement ex parte tout au long de l’année 2022. Au fur et à mesure que les programmes gouvernementaux prennent fin et que les entreprises sont confrontées à des difficultés financières liées à des marchés incertains, ces tensions continueront d’être au cœur des procédures en matière d’insolvabilité.