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Faits saillants relativement à la défense des crimes économiques

Auteur(s) : Stéphane Eljarrat, Lawrence E. Ritchie, Malcolm Aboud, Sonja Pavic, , Frédéric Plamondon

Le 8 décembre 2020

L’année a été marquée par l’incertitude et l’accroissement des risques pour les entreprises, à la suite de la pandémie de COVID-19. Bien que les activités d’application de la loi en matière de crimes économiques soient restées limitées au Canada en 2020, les initiatives réglementaires visant la réforme et l’amélioration des outils d’application se sont poursuivies, et les questions de blanchiment d’argent et de conformité découlant de la pandémie de COVID-19 ont continué de retenir l’attention. Pendant que les organismes de réglementation s’emploient à se tenir à jour face aux effets de la pandémie, les entreprises canadiennes devraient s’attendre à une augmentation des activités de mise en application de la loi à l’égard des crimes économiques, au cours de la prochaine année.

Les répercussions de la COVID-19

La pandémie de COVID-19 a accru les risques encourus par les entreprises qui évoluent dans un contexte d’incertitude. Des sommes importantes et de vastes ressources ont été affectées à l’atténuation des répercussions de la COVID-19 sur la santé, l’économie et la société. Par exemple, des organisations comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont promis des milliards de dollars en aide d’urgence, en plus des programmes étatiques mis sur pied. Cet afflux d’argent qui, dans bien des cas, n’est pas accompagné de la surveillance nécessaire mène à une montée en flèche des crimes économiques à l’échelle mondiale.

Parmi ces crimes, on compte les allégations de corruption de sociétés d’assurance maladie, le détournement de fonds destinés à la lutte contre la COVID-19, le défaut d’approvisionnement et les dessous-de-table, y compris la surfacturation de respirateurs, l’acceptation de pots-de-vin par des fonctionnaires, la contrefaçon de chèques de relance utilisés pour acheter des marchandises de luxe, et les contrats publics conclus avec de présumés fraudeurs. Transparency International (en anglais) fait état de pertes de plus de 1 G$ US découlant de la corruption et de méfaits, somme qui aurait suffi pour permettre d’acquérir quelque 50 000 respirateurs. Une réunion du groupe anticorruption ministériel du G20, tenue le 22 octobre 2020, a été consacrée à une intervention mondiale.

Transparency International a résumé et ventilé à l’échelle régionale les cas les plus notoires en matière de corruption et de méfaits dans le tableau suivant :

Région Cas analysés Total (US $)
Afrique 4 7 982 630
Europe 7 555 302 400
Amérique latine 5 273 198 110
Amérique du Nord 1 1 300 000
Asie 2 288 171 000
Total de toutes les régions : 19 1 125 954 140

 

Les entreprises canadiennes doivent donc se préparer en conséquence. Comme on peut le voir dans d’autres pays, des personnes mal intentionnées pourraient chercher à tirer profit de la pandémie. Même si les organismes de réglementation du Canada ont assoupli certaines exigences, en reportant, par exemple, l’échéance de dépôt de documents, les organismes d’application de la loi et les autorités de réglementation n’ont pas cessé de tenir les contrevenants responsables de leurs actes. Dans ce contexte, les entreprises auront probablement à faire face à des contrôles réglementaires plus poussés.

Voici certains des risques liés à la pandémie que pourraient courir les entreprises :

  • Les entreprises sont plus vulnérables aux risques de conformité à la suite de mesures d’urgence et d’autres obligations juridiques liées à la pandémie de COVID-19, y compris la fermeture d’entreprises de services non essentiels et les restrictions qui leur sont imposées, l’interdiction de pratiques telles que le gonflement des prix et l’obligation de prendre diverses mesures en matière de santé et de sécurité, dont la distanciation physique.
  • Les entreprises qui ont d’importants défis à relever sur le plan des chaînes d’approvisionnement subiront des pressions accrues les incitant à maintenir ou à étendre les chaînes d’approvisionnement. Les interruptions dans les chaînes d’approvisionnement augmentent les risques que les entreprises soient victimes de fraude et nécessitent une conformité accrue aux règlements.
  • Les entreprises qui s’adaptent au contexte de la pandémie pourraient se trouver en interaction avec les gouvernements à l’extérieur de leurs activités normales, notamment le respect de nouvelles exigences réglementaires et la nécessité de fonctionner sur des marchés qui ne leur sont pas familiers, en raison de l’interruption de la chaîne d’approvisionnement. Dans certains territoires de compétence, cela pourrait faire augmenter le risque d’interactions exposant les entreprises à la corruption et à l’exigence de pots-de-vin.
  • Les entreprises engagées dans des activités de fusion et d’acquisition en raison des répercussions économiques de la pandémie pourraient devoir faire face au risque accru de la responsabilité de successeurs dans une entreprise. Il sera important de procéder à des contrôles préalables de l’exploitation de la société cible afin d’évaluer et d’atténuer les risques.

Il est donc crucial que les entreprises qui évoluent dans le contexte de la pandémie fassent preuve de prudence et prennent les mesures appropriées face aux risques liés à la pandémie, en plus des risques qui menacent ordinairement leurs activités, et qui pourraient être exacerbés par la pandémie de COVID-19.

Les activités d’application de la loi

L’activité d’application de la loi importante la plus récente au Canada a eu lieu à la fin de 2019, avec l’issue très attendue de l’affaire hautement médiatisée mettant en cause le Groupe SNC-Lavalin inc. Les allégations à l’encontre de SNC-Lavalin avaient trait à ses activités en Libye, entre 2001 et 2011. La GRC accusait notamment SNC-Lavalin d’avoir versé des pots-de-vin à des fonctionnaires étrangers, aux termes de l’alinéa 3 (1) b) de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (la LCAPE), et d’avoir commis une fraude, aux termes du paragraphe 380 (1) du Code criminel. Le 18 décembre 2019, une filiale du Groupe SNC-Lavalin inc. a plaidé coupable à l’accusation de fraude et a écopé d’une amende de 280 millions de dollars, ainsi que d’une période de probation de trois ans, ce qui vient mettre un terme à l’affaire criminelle qui pesait contre la firme d’ingénierie de Montréal.

De plus, le 15 décembre 2019, Sami Bebawi, ex-cadre de SNC-Lavalin, a été reconnu coupable par un jury de cinq chefs d’accusation liés à la fraude, à la corruption de fonctionnaires étrangers et au blanchiment de produits de la criminalité liés à ces événements. Le 10 janvier 2020, Sami Bebawi a été condamné à une peine d’emprisonnement de huit ans et demi, relativement au stratagème. Il s’agissait de la dernière accusation au pénal déposée contre l’entreprise et ses anciens employés.

Les deux sanctions constituaient d’importantes augmentations par rapport à ce qui avait été imposé auparavant pour des infractions de même nature au Canada. La peine négociée de 280 millions de dollars pour SNC-Lavalin représente la plus forte sanction pécuniaire imposée à une société pour une fraude aux termes du Code criminel, et elle est beaucoup plus importante que toute autre amende infligée à une société pour une infraction semblable, aux termes de la LCAPE. La peine d’emprisonnement de huit ans et demi de Bebawi, et la demande de la Couronne d’une peine de quatre ans et demi pour l’infraction liée à la corruption constituent une augmentation par rapport aux peines de trois ans généralement imposées pour des infractions commises par des particuliers.

Le 12 novembre 2020, la Gendarmerie royale du Canada a inculpé Damodar Arapakota, ex-dirigeant d’IMEX Systems Inc., aux termes du paragraphe 3 (1) de la LCAPE, pour avoir prétendument soudoyé un fonctionnaire du Botswana, à la suite d’une déclaration volontaire de la société.

Le Canada a continué de recevoir des critiques, en 2020, pour le peu d’activités d’application de la loi qu’il a tenues, plus particulièrement en ce qui concerne la corruption. Le Canada a perdu quatre places, passant du 8e au 12e rang, quant à l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International, qui est un classement annuel des pays à l’égard de la corruption perçue de leur secteur public. D’après l’IPC, pour lequel le Canada a perdu la place qu’il occupait parmi les dix premiers depuis 2005, le Canada est en train d’acquérir la réputation d’un pays où il est facile de blanchir de l’argent.

Plus particulièrement, le rapport de Transparency International cite deux rapports commandés par le gouvernement en Colombie-Britannique (le rapport Maloney en 2019, et le rapport German en 2018 [en anglais]), établissant en détail l’étendue du blanchiment d’argent dans les secteurs de l’immobilier, des casinos et des articles de luxe. Le rapport fait également état de la controverse entourant la décision du gouvernement fédéral de ne pas inviter SNC-Lavalin à négocier une entente de suspension des procédures. De même, le plus récent rapport sur la corruption en matière d’exportation (en anglais) de Transparency International soutient que le Canada a conservé sa réputation d’exercer une « application limitée » des sanctions imposées en cas de subornation de fonctionnaires étrangers lors d’activités hors du pays.

Le Bureau de la lutte contre la fraude grave de l’Ontario

Le Bureau de la lutte contre la fraude grave (BLFG) de l’Ontario, créé à la mi-2019, a entrepris ses activités de mise en application de la loi. Plus particulièrement, à la suite d’une enquête en matière de fraude menée par le BLFG, Charles Debono a été déporté de la République dominicaine et arrêté à son arrivée au Canada par la Police provinciale de l’Ontario (OPP). Debono a été accusé d’infractions criminelles, notamment la fraude, le blanchiment d’argent, la corruption et la contrefaçon, relativement à une fraude à la « Ponzi » de 56 millions de dollars qui aurait été fomentée en 2012.

L’enquête a été entamée par l’OPP, puis confiée au BLFG, nouvellement créé. Le BLFG a trouvé quelque 515 victimes, dont les pertes totalisaient plus de 24 millions de dollars. Le déroulement de cette affaire permettra de constater ce que l’on peut attendre du BLFG à l’avenir.

La création du BLFG témoignait de l’accroissement de l’importance accordée à l’application de la loi en matière de crimes économiques dans la province. Il s’agissait d’un pas en avant dans l’application de la loi en Ontario, étant donné la nature pénale (et donc fédérale) de la législation anticorruption au Canada, qui est généralement mise en application par la GRC. Au Québec, l’Unité permanente anticorruption a obtenu un succès relatif dans un domaine semblable.

Nous nous attendons toujours à ce qu’avec le temps, la création du BLFG suscite une plus grande application de la loi dans ce secteur en Ontario. L’enquête Debono pourrait bien être annonciatrice de ce qui est à venir.

Le point sur les accords de réparation

En date d’aujourd’hui, le Canada n’a pas encore fait d’utilisation efficace de ses accords de réparation, entrés en vigueur en 2018. Aux termes du régime canadien, un accord de réparation ne peut être conclu que dans les cas de crimes économiques. Fait à noter, la réponse à l’accusation de SNC-Lavalin faisait suite à de vaines tentatives de la société à conclure un accord de réparation avec le Service des poursuites pénales du Canada.

À ce jour, aucun accord de réparation n’a encore été annoncé au Canada. Néanmoins, ces accords demeurent un important outil dans la trousse des autorités chargées de l’application des lois, et ils devraient servir à faciliter davantage l’application des lois à l’avenir.

Le blanchiment d’argent

Au cours des dernières années, l’attention publique à l’égard des crimes économiques a été particulièrement concentrée sur le blanchiment d’argent. À la suite du rapport Maloney en 2019 et du rapport German en 2018 susmentionnés, faisant état en détail de l’étendue du problème du blanchiment d’argent en Colombie-Britannique, la création de la Commission d’enquête sur le blanchiment d’argent en Colombie-Britannique (la Commission Cullen) a été annoncée en mai 2019 et ses travaux se sont poursuivis en 2020. La Commission, dirigée par le juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique Allen Cullen, a pour mandat d’enquêter sur le blanchiment d’argent en Colombie-Britannique et d’en faire rapport. Plus précisément, la Commission Cullen est chargée de déterminer où et comment se fait le blanchiment d’argent et pourquoi on lui a permis d’avoir lieu, s’il peut être évité et, le cas échéant, la façon de le faire. 

Les audiences de la Commission Cullen se poursuivent en vidéoconférence en raison de la pandémie. Les entreprises devraient s’attendre à des modifications réglementaires ou à de nouveaux mécanismes d’application à l’égard du blanchiment d’argent, une fois que les recommandations de la Commission seront publiées.

Le Canada pourrait également retenir l’attention sur des questions de blanchiment d’argent à la suite de la récente fuite liée à des « déclarations d’activité suspecte » recueillies par le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) des États-Unis. Par le passé, des fuites d’information, y compris les Panama Papers, ont mis en lumière le blanchiment d’argent au Canada et ont retenu l’attention.

Les attentes en matière d’application des lois

Étant donné les risques supplémentaires découlant de la pandémie de COVID-19, le respect de la conformité devrait être de la plus grande importance pour les entreprises. Le Canada emboîtera probablement le pas à d’autres territoires de compétence. Parmi ceux-ci, on compte les États-Unis qui, en 2020, ont publié une deuxième édition de leur Resource Guide to the U.S. Foreign Corrupt Practices Act. Au Royaume-Uni, une mise à jour du régime de suspension des procédures en place a été publiée récemment.

Nous prévoyons une application accrue des lois en 2021, en ce qui concerne la corruption, le blanchiment d’argent et les autres crimes économiques.