Auteurs(trice)
Associée, Litiges, Vancouver
Sociétaire, Litiges, Vancouver
Sociétaire, Fiscalité, Vancouver
Comme nous l’avons indiqué dans notre précédent billet, la Cour d’appel a autorisé l’appel d’une décision de la British Columbia Securities Commission (BCSC) dans l’affaire Morabito v. British Columbia (Securities Commission), 2023 BCCA 395. Lors de l’audition de l’appel dans l’affaire Morabito v. British Columbia (Securities Commission), 2024 BCCA 377, la Cour d’appel a réitéré les préoccupations qui, en matière d’équité, avaient été abordées dans la décision relative à l’autorisation d’appel. Dans le cadre d’une procédure subséquente, l’affaire Re Mark Morabito, 2025 BCSECCOM 133, la formation de la BCSC a refusé une requête en récusation de l’un des membres de la formation qui avait déjà fait partie d’une formation dans le cadre de ces procédures, au motif qu’il n’y avait pas de crainte raisonnable de partialité.
Contexte
Mark Morabito a fait l’objet d’une enquête de la part de la BCSC alors qu’il était le président du conseil de Global Crossing Airlines Group Inc. (anciennement connu sous le nom de Canada Jetlines Ltd.) (Jetlines). En effet, en août 2018, sur la base d’allégations suivant lesquelles M. Morabito aurait commis un délit d’initié lors de la négociation d’actions de Jetlines en faveur de sa conjointe, la BCSC l’a mis sous enquête.
En 2021, M. Morabito, sa conjointe et Jetlines (les intimés) ont déposé une requête en révocation de l’ordonnance d’enquête. Après avoir rejeté leur requête, la BCSC a émis un avis d’audience à leur encontre. Rejetant également leur appel, la Cour d’appel a toutefois exprimé certaines préoccupations au sujet de l’enquête.
Au début de 2023, M. Morabito et Jetlines ont déposé une requête en suspension de la procédure, au motif que cette procédure constituait un abus de procédure. Une formation d’instruction de la BCSC (la formation) a entendu les allégations d’abus de procédure et les allégations de délit d’initié au cours de la même audience. La formation a rejeté la requête en abus de procédure. M. Morabito et Jetlines ont demandé l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la Cour d’appel), autorisation qu’ils ont obtenue.
Au cours de l’audience de la BCSC, la formation a mélangé l’audience relative aux allégations d’abus de procédure et l’audience relative aux allégations de délit d’initié. En outre, le seul témoin présenté par la BCSC était une enquêtrice qui avait commencé à participer à l’enquête une fois franchies la plupart de ses étapes et une fois émis l’avis d’audience. Elle n’avait pas une connaissance directe du déroulement de l’enquête.
Les intimés ont soutenu que la procédure constituait un abus de procédure parce que (1) les enquêteurs de la BCSC avaient indûment sondé tous les aspects de la vie de M. Morabito, notamment en confrontant sa conjointe à leur domicile, en enquêtant sur son père âgé et en exigeant la production de nombreux documents, y compris le compte de courriel de leur jeune fille, (2) le directeur administratif avait manqué à ses obligations d’information en omettant de communiquer qu’un témoin important, qui avait reçu un diagnostic de maladie en phase terminale, ne serait pas disponible pour répondre à un aspect important de l’accusation de délit d’initié, (3) le directeur administratif avait omis de communiquer des documents pertinents.
La décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel a estimé que l’audience mixte était « fondamentalement défectueuse » (fundamentally flawed) et ne respectait pas les règles d’équité procédurale. La procédure adoptée par la formation a empêché les intimés de faire valoir leurs allégations d’abus de procédure pour les raisons suivantes :
- Le seul témoin de la BCSC, l’enquêtrice, n’a pas participé au déroulement de l’enquête. L’équité voulait que l’enquêteur principal réponde aux allégations des intimés.
- La formation a fait obstacle au contre-interrogatoire de l’enquêtrice par les appelants. Lorsque l’avocat a tenté de contre-interroger le témoin au sujet de la conduite de l’enquêteur principal, le directeur administratif a soulevé une objection fondée sur la pertinence, objection qui a été retenue par la formation. La Cour d’appel a estimé que la formation avait examiné la pertinence dans le contexte de l’affaire au fond (le délit d’initié), mais pas en relation avec l’allégation d’abus de procédure. En outre, la formation a comblé le vide probatoire laissé par le fait que le directeur administratif n’avait pas présenté de preuves répondant aux allégations, en spéculant sur des raisons non étayées par des preuves.
- L’avocat du directeur administratif a recadré la requête en abus de procédure et restreint son étendue, soutenant qu’elle se limitait aux retards dans la communication d’information et à l’omission de communiquer le fait qu’un témoin important souffrait d’une maladie en phase terminale. La formation a accepté cet avis et a empêché les appelants de poser des questions. La Cour d’appel a estimé que l’étendue de la requête en abus de procédure était manifestement beaucoup plus vaste.
Dans l’ensemble, la Cour d’appel a estimé que la procédure était inéquitable. Le fait de mêler l’audience relative aux allégations d’abus de procédure et l’audience relative aux allégations de fond a empêché les appelants d’obtenir une décision équitable sur leur requête.
La Cour d’appel a estimé que, bien que la formation ait droit à la déférence procédurale et puisse faire ce qui est nécessaire pour être juste, flexible et efficace, lorsqu’il existe une base crédible pour soutenir des allégations de mauvaise conduite de la part de l’État, la formation doit procéder d’une manière qui permette d’exposer les allégations.
Selon la Cour d’appel, les appelants ont été placés dans une « position impossible » (impossible position). Ils ont demandé une audience pour abus de procédure avant le début de l’audience sur la responsabilité, ce qui leur a été refusé. Lorsqu’ils ont demandé qu’un enquêteur particulier témoigne, cela leur a été refusé. Ils n’ont jamais obtenu l’audience à laquelle ils avaient droit.
En guise de réparation, la Cour d’appel a accueilli l’appel, annulé la décision de la formation et renvoyé l’affaire devant une formation nouvellement constituée de la BCSC. L’affaire doit être entendue par la nouvelle formation de la BCSC en décembre 2025.
La décision ultérieure de la BCSC
La BCSC a estimé que, bien qu’il y ait des similitudes et des chevauchements entre les questions tranchées par la formation précédente et les questions encore à trancher, il s’agissait d’une question de degré. Il existe une présomption d’impartialité des membres du tribunal. Il existe également une présomption selon laquelle, lorsqu’une cour d’appel renvoie une procédure à un organe administratif, ce dernier accordera à la décision de la cour d’appel tout le poids qui lui est dû. La BCSC a rejeté l’interprétation selon laquelle l’existence d’un chevauchement de preuves entre une requête initiale et une requête ultérieure créait intrinsèquement une crainte raisonnable de partialité. La BCSC a également noté que le nombre de membres du tribunal était limité et a reconnu la nécessité de protéger les investisseurs et de soutenir la confiance dans les marchés publics.
Points à retenir
Il est intéressant de noter qu’à la suite de la décision de la Cour d’appel critiquant le traitement par la formation de la requête en abus de procédure des intimés, la formation a rejeté la requête en récusation subséquente des intimés. Cette série de décisions soulève la question de savoir si la Colombie-Britannique devrait suivre la voie tracée par les autorités en valeurs mobilières d’autres provinces et créer un tribunal indépendant. On se rappellera que, en 2021, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a créé un tribunal indépendant, le Tribunal des marchés financiers, ce qui, au minimum, crée une perception d’indépendance.