Auteurs(trice)
Associée, Litiges, Vancouver
Sociétaire, Litiges, Vancouver
Associé, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Vancouver
Les diverses lois provinciales sur les valeurs mobilières au Canada ont toujours limité la capacité de demander que l’enquête et les décisions discrétionnaires d’un organisme de réglementation fassent l’objet d’un examen approfondi, alors que l’enquête est toujours en cours. La détermination de la voie de sortie procédurale appropriée en vue de l’obtention d’un « second regard » sur ces décisions est souvent un exercice illusoire et peu satisfaisant et, dans de tels cas, les personnes qui ne sont pas parties à l’enquête peuvent souvent être prises dans le collimateur, tout en ayant peu de moyens de contester ces décisions.
Dans l’affaire Brar v. British Columbia (Securities Commission), 2023 BCCA 432, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déterminé que la décision d’un enquêteur de la British Columbia Securities Commission (la Commission) d’assigner des témoins potentiels en lien avec une ordonnance d’enquête n’est pas le type de décision qui est sujette à une révision judiciaire. De plus, après avoir déterminé qu’une telle décision n’était pas sujette à une révision judiciaire et que, autrement, la clause privative prévue dans la loi de la Colombie-Britannique intitulée Securities Act (la Loi sur les valeurs mobilières) n’aurait pas protégé la décision contestée d’une révision judiciaire, elle a opiné gratuitement que le devoir d’équité procédurale envers le destinataire d’une assignation serait minime.
Le contexte
Cette affaire fait suite à la délivrance d’assignations à comparaître par un enquêteur de la Commission, dans le cadre d’une enquête en cours, à deux témoins proposés en 2020 et en 2021. Les témoins proposés ne se sont pas présentés – deux fois chacun – aux entretiens prévus, et la Commission a engagé à leur encontre une procédure pour outrage au tribunal.
Par la suite, les témoins proposés ont déposé une requête auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique afin d’obtenir une révision judiciaire de la décision initiale de l’enquêteur de les contraindre à s’entretenir avec lui. Dans leur requête, ils ont soutenu que les assignations à comparaître avaient été délivrées sans que les témoins aient bénéficié d’une procédure équitable. Ils ont fait valoir, entre autres, que les assignations à comparaître ne précisaient pas le critère juridique ou la preuve légale, le cas échéant, pris en compte pour délivrer les assignations à comparaître.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté la requête et les témoins proposés ont interjeter appel devant la Cour d’appel.
La décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel a estimé que la décision de l’enquêteur n’était pas le type de décision qui est sujette à une révision judiciaire, compte tenu des définitions de « compétence légale de décision » (statutory power of decision) et de « dossier de l’instance » (record of proceeding) prévues dans la loi dela Colombie-Britannique intitulée Judicial Review Procedure Act (la Loi sur la procédure de révision judiciaire). La Cour d’appel a indiqué que, si les enquêteurs de la Commission disposent d’un vaste pouvoir d’enquête, ils n’ont pas de pouvoir de décision. Leur rôle se limite à mener des enquêtes et à présenter leurs conclusions à la Commission. Par conséquent, lorsqu’une assignation à comparaître est délivrée à un témoin qui n’est pas partie à une enquête, elle ne détermine pas les droits, pouvoirs ou privilèges existants de la personne assignée, et n’entre donc pas dans la catégorie des décisions sujettes à une révision judiciaire.
Après avoir conclu que la décision contestée ne pouvait être sujette à une révision judiciaire en raison de sa nature, la Cour d’appel a examiné la clause privative prévue dans la Loi sur les valeurs mobilières limitant l’ingérence des tribunaux dans les décisions de la Commission et des parties liées. Ce faisant, elle a noté que le consensus parmi les autorités législatives modernes suggère que les clauses privatives ne sont plus un obstacle absolu à la révision judiciaire. En fin de compte, il incombe aux tribunaux, qui, constitutionnellement, sont indépendants du pouvoir exécutif, de veiller à ce que les actions gouvernementales soient conformes à la loi. Par conséquent, la présence d’une clause privative dans la Loi sur les valeurs mobilières ne constitue pas un obstacle absolu à la révision judiciaire pour cause d’iniquité procédurale.
Malgré tout, la Cour d’appel a continué à statuer sur l’appel sur les questions plus générales des principes soulevés. Ce faisant, elle a estimé que, dans un scénario où la décision de l’enquêteur était sujette à une révision judiciaire, le contenu de tout devoir d’équité procédurale envers les témoins proposés était « minime » en l’espèce et avait été respecté. Elle a estimé que la décision de demander de comparaître et de délivrer une assignation à un témoin en lien avec une ordonnance d’enquête ne s’apparentait pas à une prise de décision de type judiciaire et que des dispositions beaucoup plus détaillées s’appliqueraient à des stades ultérieurs (une fois que l’enquêteur aurait achevé son rapport et lors de l’audience). En outre, les conséquences de la décision d’assigner un témoin à comparaître pour la partie concernée seraient normalement faibles, car les témoins ne font pas eux-mêmes l’objet de l’enquête. La Cour d’appel a fait remarquer que les témoins dans cette affaire avaient été avisés à l’avance des entretiens, avaient été informés de l’identité des personnes faisant l’objet de l’enquête et avaient le droit d’être représentés par un avocat avant et pendant les entretiens. D’un point de vue pratique, si la Commission devait divulguer d’autres renseignements à ce stade précoce (ou fournir un « dossier »), cela pourrait compromettre l’enquête ou susciter des inquiétudes quant au respect de la vie privée.
La Cour d’appel a donc déclaré qu’il n’y aurait pas eu de manquement au devoir d’équité procédurale dans cette affaire si l’on révisait la décision, et que le personnel et l’enquêteur n’auraient pas été tenus de divulguer les raisons pour lesquelles ils avaient délivré des assignations à comparaître, ou leur pertinence par rapport « à l’objet et à la portée » de l’enquête.
Points à retenir
Les enquêtes menées par les organismes de réglementation peuvent être longues et difficiles à gérer, tant pour ceux qui en font l’objet que pour les témoins. Les demandes de renseignements peuvent se révéler coûteuses et lourdes et exiger beaucoup de temps. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé que, parmi les moyens très limités dont disposent les témoins pour contester une assignation d’un organisme de réglementation dans le cadre d’une enquête, la révision judiciaire n’en fait pratiquement pas partie en Colombie-Britannique. En hésitant à s’immiscer dans les enquêtes menées par les organismes de réglementation, le tribunal leur laisse la grande responsabilité d’utiliser leurs vastes outils d’enquête avec rigueur. L’intérêt public exige qu’en l’absence de mécanismes de contestation ou de contrôle des mesures prises au cours d’une enquête, les organismes de réglementation soient particulièrement tenus de faire preuve de discernement et de retenue lorsqu’ils utilisent leurs outils d’enquête de plus en plus étendus, et de procéder à un auto-examen réfléchi afin de recourir aux moyens les moins intrusifs pour obtenir les renseignements recherchés.