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Premières accusations de contournement des sanctions imposées par le Canada contre la Russie : quelle sera leur portée en termes d’application et d’interprétation de la loi? Premières accusations de contournement des sanctions imposées par le Canada contre la Russie : quelle sera leur portée en termes d’application et d’interprétation de la loi?

6 juin 2025 4 MIN DE LECTURE

Le 28 mai 2025, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a annoncé les premières accusations de contournement des sanctions imposées par le Canada contre la Russie, sanctions que le Canada a massivement renforcées depuis que la Russie a envahi l’Ukraine en 2022. Anton Trofimov, un ressortissant russe résidant au Canada, fait face à deux chefs d’accusation pour violation de la Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES) et à un chef d’accusation pour violation du Code criminel.

Bien que le Canada dispose actuellement d’un large éventail de mesures d’application des sanctions, les poursuites en vertu des lois canadiennes sur les sanctions ont été rares. Les accusations portées contre M. Trofimov ont donc suscité des spéculations selon lesquelles le Canada pourrait redoubler d’efforts dans l’application de ses sanctions, y compris celles qu’il a imposées contre la Russie. Nous restons toutefois sceptiques. Les accusations semblent viser des fruits à portée de main plutôt que suggérer une ambition renouvelée ou un raffinement dans l’application des sanctions par le Canada.

Les « fruits à portée de main »

Il peut être difficile d’intenter des poursuites pour contournement de sanctions; les enquêteurs peuvent devoir recourir à des analyses judiciaires complexes, et les criminels ont mis au point des tactiques de contournement élaborées. Toutefois, selon les allégations portées contre M. Trofimov, on aurait affaire ici à un cas flagrant de contournement. Il est accusé d’avoir exporté, vendu, fourni ou envoyé des marchandises interdites (en particulier, des composants microélectroniques entrant dans la fabrication des drones Orlan-10) à la Russie ou à des personnes en Russie entre le 17 juillet 2022 et le 8 décembre 2022, en contravention du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie. M. Trofimov est également accusé d’avoir sciemment possédé des biens criminellement obtenus, en contravention du Code criminel.

En outre, M. Trofimov et les entités qui lui sont associées auraient, depuis au moins 2023, pris part à des activités passibles de sanctions ou à des activités de contournement des sanctions. M. Trofimov et une société basée à Toronto qui lui est liée (10219452 Canada inc.) ont été sanctionnés par les États-Unis il y a deux ans, en mai 2023. Une autre entité liée à M. Trofimov, Asia Pacific Links Limited, a été sanctionnée par près d’une douzaine de territoires (dont l’Union européenne) pour avoir été l’un des principaux fournisseurs de composants de drones Orlan à l’armée russe depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022. Le gouvernement canadien a été expressément informé des activités de M. Trofimov en février 2023, dans un document fourni par le Congrès des Ukrainiens Canadiens, et M. Trofimov a été mentionné par des fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada lors d’un témoignage devant une commission parlementaire la même année.

Les entreprises ne doivent pas s’attendre à beaucoup d’éclaircissements de l’affaire Trofimov

En raison du manque de cas d’application des lois canadiennes sur les sanctions, les tribunaux n’ont presque pas eu l’occasion d’interpréter ces lois ou leurs règlements d’application, ou de se prononcer sur les nombreuses directives ambiguës, y compris celles que nous avons relevées dans notre bulletin précédent. Ces directives ambiguës concernent notamment le champ d’application des dispositions anti-facilitation des règlements d’application de la LMES et les critères de la LMES permettant d’établir les « biens réputés appartenir » aux personnes visées par les sanctions. Comme nous l’avons expliqué, les directives d’Affaires mondiales Canada ont été d’un secours limité.

Toutefois, même si l’affaire Trofimov se poursuivait et que le procès avait lieu, en raison de la nature des faits allégués – la vente de marchandises expressément interdites à l’exportation vers la Russie –, il est peu probable que le tribunal ait à se pencher sur les questions d’interprétation qui soulèvent de l’incertitude et qui ont frustré les entreprises tentant de se conformer aux lois canadiennes sur les sanctions.

En bref, les accusations portées contre M. Trofimov laissent sans réponse la question de savoir si le gouvernement canadien est déterminé à poursuivre – et est capable de poursuivre – des cas plus complexes de contournement des sanctions, y compris les crimes financiers connexes. Il est également peu probable qu’elles apportent des réponses aux nombreuses questions d’interprétation de la LMES et d’autres lois canadiennes sur les sanctions avec lesquelles les entreprises se débattent régulièrement.