Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Associé directeur du bureau de Calgary, Calgary
Associée, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Sociétaire, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Stagiaire en droit, Toronto
Le droit autochtone est un domaine qui évolue rapidement. Au cours des prochaines semaines, nous passerons en revue la jurisprudence et les changements législatifs récents ayant une incidence sur des aspects du droit autochtone.
Dans ce premier numéro de la série, nous traitons d’évolutions récentes touchant les titres ancestraux. Dans les prochains numéros, nous discuterons des droits ancestraux, de l’obligation de consulter, des droits issus de traités et des changements législatifs.
Titre ancestral
La doctrine du titre ancestral reconnaît que les droits des Autochtones sur leur territoire n’ont pas été éteints par l’arrivée des Européens au Canada. Pour établir l’existence d’un titre ancestral, le groupe revendicateur doit prouver ce qui suit :
- une occupation suffisante du territoire au moment de l’affirmation de la souveraineté européenne
- la continuité de l’occupation entre l’époque actuelle et l’époque de la souveraineté européenne, si l’occupation actuelle est invoquée pour prouver le titre
- l’exclusivité de l’occupation historique du territoire[1]
En 2024, ont été rendues sur la doctrine du titre ancestral trois décisions importantes, qui illustrent à la fois la difficulté de prouver l’existence du titre ancestral et l’évolution continue de la doctrine.
L’affaire Nuchatlaht v. British Columbia
La Première Nation Nuchatlaht revendique un titre ancestral sur 201 kilomètres carrés de l’île Nootka, à l’ouest de l’île de Vancouver. En 2023, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté la revendication de la Première Nation pour manque de preuves, mais l’a invitée à présenter une autre revendication sur un territoire plus petit. En avril 2024, la Cour a estimé que la Première Nation avait prouvé sa revendication sur environ 11 kilomètres carrés de territoire[2].
Deux aspects de l’affaire méritent d’être soulignés. Tout d’abord, la Première Nation a fait valoir que le critère du titre ancestral devrait être modifié pour permettre des revendications fondées sur les bassins hydrographiques. Le juge de première instance a reconnu l’importance de la perspective Nuchatlaht, mais a estimé que la Première Nation Nuchatlaht n’avait pas démontré une occupation suffisante de la zone revendiquée. Ensuite, lors du procès, la Première Nation s’est appuyée exclusivement sur des témoignages d’experts, et non sur des témoignages oraux d’Autochtones. Étant donné que les demandeurs n’ont pas été en mesure de prouver la majeure partie de leur revendication territoriale, l’affaire démontre l’utilité des témoignages oraux et la lourde charge de la preuve à laquelle sont confrontés les demandeurs revendiquant un territoire ancestral.
La Première Nation Nuchatlaht a fait appel de la décision du juge de première instance devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Nous suivrons cette affaire pour voir si la Cour d’appel envisage de modifier le critère du titre ancestral afin d’autoriser les revendications fondées sur les bassins hydrographiques.
L’affaire Nations wolastoqey c. Nouveau-Brunswick, Canada et autres
En 2021, les six nations wolastoqey ont déposé au Nouveau-Brunswick une demande sollicitant une déclaration de titre ancestral sur plus de 50 % du territoire du Nouveau-Brunswick. Aucun traité foncier n’a jamais été conclu entre les nations wolastoqey et la Couronne. Ce territoire est détenu en majeure partie par des propriétaires d’un titre en fief simple privés. Bien que l’issue finale de la revendication territoriale reste à déterminer, le 12 novembre 2024, la Cour du Banc du Roi a rejeté une motion en radiation déposée par la province et les propriétaires fonciers industriels, permettant ainsi à l’affaire de se poursuivre[3]. Nous avons discuté plus longuement de cette affaire dans un billet de blogue précédent.
La Cour a tiré deux conclusions juridiques importantes. Tout d’abord, elle a conclu que les propriétaires fonciers privés n’étaient pas des parties à part entière dans les revendications de titres ancestraux. La Cour a estimé que, bien qu’une déclaration de titre touche tout le monde, seule la Couronne a des obligations constitutionnelles à l’égard des groupes autochtones. En conséquence, la Cour a rejeté les actions des Nations wolastoqey à l’encontre des propriétaires fonciers industriels. Ensuite, la Cour a conclu que, dans le cadre de son devoir de réconciliation, la Couronne peut être tenue d’exproprier des terres détenues par des intérêts privés et de les restituer aux nations autochtones, sous réserve d’une éventuelle demande d’indemnisation de la part des titulaires d’un titre en fief simple.
Les conclusions de la Cour sur la doctrine du titre ancestral sont importantes, car elles ouvrent la possibilité pour un tribunal d’ordonner à la Couronne d’exproprier des terres détenues par des intérêts privés pour se conformer à ses obligations envers les peuples autochtones. Les propriétaires fonciers industriels radiés de l’affaire ont fait appel devant la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, arguant que le juge des motions avait commis une erreur en laissant ouverte une éventuelle réclamation future à leur encontre et en ne retirant pas les identifiants de leurs parcelles de terre de la revendication de titre des Nations wolastoqey. Nous suivrons l’évolution de cet appel cette année.
L’affaire Chippewas of Saugeen First Nation v. South Bruce Peninsula (Town)
Le 9 décembre 2024, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel d’une décision d’un tribunal de première instance selon laquelle la réserve de la Première Nation des Chippewas de Saugeen (Saugeen) avait été mal arpentée en 1855 et qu’une partie de Sauble Beach actuellement détenue par des propriétaires fonciers privés faisait partie de la réserve[4]. Nous avons discuté de cette décision dans un billet de blogue précédent.
L’un des aspects les plus importants de l’affaire est l’examen par la Cour de la défense de l’acquéreur de bonne foi, droit qui a traditionnellement eu sur un bien plus de poids que celui de tous les autres ayants droit. Dans l’affaire Chippewas, la Cour d’appel a statué que, lorsque les droits d’un acquéreur de bonne foi entrent en conflit avec les droits des Autochtones sur des terres, en particulier lorsque les terres en question ont été mises de côté en tant que réserve, le juge de première instance devait comparer les droits en equity et considérer la possibilité de faire respecter les droits en common law de l’acquéreur de bonne foi dans les circonstances.
Compte tenu de facteurs tels que le fait que la plage revendiquée n’était utilisée qu’à des fins récréatives et commerciales, le fait que Saugeen n’avait jamais acquiescé à la propriété privée et l’importance spirituelle et culturelle du site pour Saugeen, la Cour a estimé que les droits des Autochtones l’emportaient sur ceux des acquéreurs de bonne foi.
C’est la première fois qu’un tribunal conclut qu’un titre ancestral peut l’emporter sur un titre en fief simple privé. La Ville de South Bruce Peninsula a demandé à la Cour suprême du Canada l’autorisation de faire appel de cette décision. Nous suivrons l’évolution de cet appel cette année.
Prochain numéro
Dans le prochain numéro, nous aborderons d’importantes évolutions juridiques touchant les droits des Autochtones. Restez à l’affût!
[1] Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, par. 50.
[2] The Nuchatlaht v. British Columbia, 2024 BCSC 624.
[3] Nations wolastoqey c. Nouveau-Brunswick, Canada et autres, 2024 NBBR 203.
[4] Chippewas of Saugeen First Nation v. South Bruce Peninsula (Town), 2024 ONCA 884.