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Interruption d’un projet d’exploitation minière : un tribunal du Yukon ordonne la reprise du dialogue avec la nation Kaska Interruption d’un projet d’exploitation minière : un tribunal du Yukon ordonne la reprise du dialogue avec la nation Kaska

23 mai 2025 9 MIN DE LECTURE

Aperçu

Dans la cause Ross River Dena Council c. Yukon (gouvernement du)[1], la Cour d’appel du Yukon a estimé que les gouvernements du Canada et du Yukon (les « décisionnaires ») n’avaient pas tenu des consultations adéquates avec la nation Kaska (les « Kaska ») concernant la faisabilité économique d’un projet d’exploitation minière sur les terres de cette communauté avant d’approuver le projet. Par conséquent, elle a annulé l’approbation de ce projet et a ordonné le renvoi de la décision en vue de la reprise des consultations.

Dans sa décision, la Cour d’appel souligne l’importance de la tenue de consultations en profondeur auprès des communautés autochtones et insiste sur le fait que l’obligation de consultation imposée par la Couronne exige un engagement ferme sur tous les enjeux pertinents soulevés par ces populations, notamment sur la faisabilité économique, avant de confirmer l’approbation de projets susceptibles d’avoir une incidence sur leurs droits.

Contexte : le projet et le processus de consultation

Cette affaire porte sur la proposition de BMC Minerals Ltd. (« BMC ») d’exploiter une mine située sur le territoire traditionnel des Kaska (le « projet »). BMC a présenté sa proposition à l’Office d’évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon (l’« Office »).

Les décisionnaires ont appuyé leur décision sur le processus prévu par la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon (la « loi LEESY ») et sur ses règlements concernant le respect des obligations de consultation.[2] Dans le cas qui nous occupe, le comité exécutif (le « CE ») de l’Office devait évaluer la proposition de projet. Après cette évaluation, le CE devait présenter l’une des quatre recommandations aux décisionnaires, toutes centrées sur la question de savoir si le projet était susceptible d’avoir des « effets négatifs importants sur l’environnement ou la vie socioéconomique » pouvant être atténués ou non.[3] Les décisionnaires étaient ensuite tenus de consulter les Premières Nations concernées avant d’accepter la recommandation du CE ou de la soumettre de nouveau à une évaluation.[4]

Pour ce projet, le CE a invité le public et les Kaska à soumettre leurs observations, il a effectué le suivi des demandes d’information et a engagé des équipes de consultants indépendants à titre de conseillers. Tout au long de ce processus, les Kaska ont exprimé d’importantes préoccupations concernant les possibles effets du projet sur leur territoire traditionnel et leurs sites culturels. Les Kaska ont également exprimé des préoccupations au sujet de la faisabilité économique du projet, notamment en ce qui concerne l’exactitude des modèles financiers, des projections économiques et des modes de paiement des activités de postproduction de BMC. Malgré ces préoccupations, le CE a recommandé que le projet soit mis en œuvre, estimant que, même si des effets négatifs importants étaient constatés, certaines dispositions générales permettraient de les atténuer.

Après la publication des recommandations par le CE, les Kaska ont écrit aux décisionnaires, soulevant plusieurs préoccupations, notamment au sujet de la viabilité économique du projet. Les décisionnaires ont suggéré que des modifications soient apportées aux dispositions générales du projet afin d’apaiser certaines inquiétudes exprimées par les Kaska, mais ont estimé que la question de la faisabilité économique du projet n’entrait pas dans le processus prévu par la loi LEESY et qu’elle ferait l’objet de consultations à une étape ultérieure du processus d’approbation.

Le Ross River Dena Council (le « RRDC ») a présenté, au nom des Kaska, une demande de révision judiciaire de la décision, faisant valoir que le processus de consultation était inadéquat, en particulier à l’égard de la faisabilité économique du projet et des possibles effets négatifs que celui-ci pourrait avoir sur le territoire traditionnel des Kaska.

La décision du tribunal de première instance

La Cour suprême du Yukon a estimé que les décisionnaires avaient généralement respecté leur obligation de consultation et d’accommodement des Kaska, sauf en ce qui concerne le traitement des observations écrites que ceux-ci ont présentées au sujet des modifications à apporter aux conditions générales proposées par le CE, que les Kaska ont transmises aux décisionnaires le jour précédant la date de leur décision.

La Cour suprême a jugé que les décisionnaires avaient à la fois une obligation de consultation en vertu de la common law et une obligation de consultation en vertu de la loi LEESY. Elle a estimé que les décisionnaires avaient fourni les raisons justifiant le fait qu’ils s’étaient appuyés sur le processus de la loi LEESY et que leurs consultations s’étaient étendues au-delà des limites formelles de ce processus. De plus, elle a conclu que les consultations avec les Kasla avaient été suffisamment approfondies et raisonnables, que les décisionnaires avaient été attentifs aux préoccupations soulevées par les Kaska, qu’ils les avaient entendues et qu’ils avaient essayé d’y répondre.

Toutefois, la Cour suprême a conclu que les décisionnaires avaient manqué à leur obligation de consultation concernant les observations écrites des Kaska parce qu’aucun dialogue direct n’avait eu lieu avec les Kaska à ce propos avant la décision. La Cour suprême a annulé la décision précisément pour ouvrir la voie à des consultations portant sur ces observations.

Le RRDC a porté cette décision en appel, faisant valoir que les décisionnaires n’avaient pas respecté l’obligation de consultation sur la faisabilité économique du projet.

La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel a accueilli l’appel, estimant que les consultations des Kaska par les décisionnaires concernant la faisabilité économique du projet n’étaient pas adéquates. Elle a écarté la décision et ordonné le renvoi du dossier aux décisionnaires afin d’examiner les préoccupations des Kaska au sujet de la faisabilité économique du projet.

Tout d’abord, la Cour d’appel a jugé qu’il était déraisonnable pour les décisionnaires de conclure que le processus de la loi LEESY ne comprenait pas la question de la faisabilité économique. Elle a souligné que l’objectif de la loi LEESY comprend la prise en compte des effets socioéconomiques des projets et l’assurance de la participation des « Indiens du Yukon » au processus d’évaluation.[5] La loi LEESY exige également la prise en considération des intérêts et des points de vue des Premières Nations de manière « approfondie et équitable ».[6] Elle a conclu que le refus des décisionnaires de prendre des engagements à l’égard de la faisabilité économique avant d’approuver le projet était en contradiction avec le texte, le contexte et l’objectif de la loi LEESY. Par ailleurs, la Cour d’appel a souligné que l’obligation de consultation en vertu de la common law n’était pas limitée par la loi LEESY, et que les préoccupations des Kaska, compte tenu de l’échec des autres projets d’exploitation minière ayant eu lieu au Yukon, étaient effectivement un sujet que les décisionnaires devaient prendre en considération en vertu de l’obligation de consultation prévue par la common law.

Deuxièmement, la Cour d’appel a estimé qu’il était déraisonnable de la part des décisionnaires de reporter les consultations au sujet de la faisabilité économique du projet jusqu’à l’obtention des autorisations prévues dans le processus. Elle a jugé que cette position était en contradiction avec les positions précédentes des décisionnaires. Plus précisément, elle a jugé que la position du gouvernement du Yukon sur la faisabilité économique de la mine n’était pas un sujet de consultation approprié avec les Kaska, et que ceux-ci n’avaient le droit d’être consultés que sur les possibles effets négatifs de la mine. L’étape détaillée de l’autorisation comprendrait notamment l’examen des garanties financières pour couvrir les coûts de tout abandon, mais ne comprendrait pas la question plus large de savoir si les effets négatifs importants du projet sur l’environnement « en valent la peine » compte tenu des avantages du projet sur le plan économique et des risques qui en découlent. La Cour d’appel a estimé que les décisionnaires étaient tenus de consulter les Kaska sur cette vaste question.

La deuxième décision de la Cour d’appel

Quelques mois après la décision de la Cour d’appel, BMC a présenté une requête devant un juge unique de la Cour d’appel, demandant à la Cour d’appel d’imposer un délai pour la tenue des consultations ordonnées dans la première décision de la Cour d’appel, et d’exiger ensuite une nouvelle décision de la part des décisionnaires.[7] Elle a estimé que ni un juge unique en chambre ni le panel qui a entendu l’appel n’avaient compétence pour rendre cette ordonnance.

Le juge a estimé que la demande constituait une tentative d’obtenir les mesures réparatoires supplémentaires qui avaient été spécifiquement examinées et rejetées lors de l’appel. Dans sa décision antérieure, la Cour d’appel avait refusé de donner des directives précises concernant les délais pour les consultations obligatoires. Même si la Cour d’appel dispose d’une certaine autorité pour rendre des ordonnances complémentaires et accessoires après une ordonnance finale rendue en appel, ainsi que pour modifier une ordonnance lorsque des événements imprévus rendent son exécution impossible, les circonstances ici ne relèvent d’aucune de ces catégories exceptionnelles. Selon le juge, le renvoi du dossier par la Cour d’appel aux décisionnaires faisait d’eux les responsables de l’affaire, et toute difficulté liée à leur processus devait passer par la voie de la révision judiciaire.

Points à retenir

Ce dossier rappelle l’importance cruciale d’engager de véritables consultations auprès des communautés autochtones lorsqu’un projet risque de porter atteinte à leur territoire traditionnel et à leurs droits ancestraux. Les gouvernements et les entreprises prenant part à des projets de cette nature doivent s’assurer que toutes les préoccupations exprimées par les communautés autochtones, y compris la faisabilité économique, sont abordées en profondeur au cours du processus de consultation. Les gouvernements et les entreprises doivent être en mesure de fournir des renseignements détaillés et d’engager un véritable dialogue sur tous les aspects des projets, y compris sur les risques et les éventuels avantages, afin d’assurer la conformité du processus de consultation aux obligations constitutionnelles.


[1] 2024 YUCCA 18.

[2] SC 2003, c 7 [loi LEESY].

[3] Article 58(1) de la loi LEESY.

[4] Articles 74(2) et 76 de la loi LEESY.

[5] Article 5(2) de la loi LEESY.

[6] Articles 3, 42(1)(g) et (g.1), 57 de la loi LEESY.

[7] Ross River Dena Council c. Yukon (gouvernement du), 2025 YKCA 4.