Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Associé directeur du bureau de Calgary, Calgary
Associée, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Sociétaire, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Stagiaire en droit, Toronto
Le droit autochtone évolue rapidement. Dans les deux premiers volets de cette série en quatre parties, nous avons discuté de mises à jour concernant les droits autochtones et les titres ancestraux. Dans le présent volet, nous abordons l’obligation de consulter, les droits issus de traités et les nouvelles lois. Lors de notre prochain et dernier volet de cette série, nous nous pencherons sur ce que nous réserve l’année 2025.
L’obligation de consulter
L’obligation de consulter découle de l’honneur de la Couronne, un principe constitutionnel non écrit qui oblige le gouvernement à agir honorablement envers les peuples autochtones. L’obligation de consulter prend naissance dès lors que la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un titre ou de droits ancestraux et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits ou ce titre. L’étendue de la consultation requise dépend de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre[1]. En 2024, les tribunaux canadiens ont rendu plusieurs décisions importantes sur la nature et l’étendue de l’obligation de consulter.
Association of Iroquois and Allied Indians v. Ontario
Dans l’affaire Association of Iroquois and Allied Indians v. Ontario[2], lesdemandeurs ont contesté deux mesures prises par le gouvernement de l’Ontario, soit la révocation de l’ordonnance déclaratoire MNR-75, Exigences liées à l’évaluation environnementale sur la gestion forestière des terres de la Couronne en Ontario, ainsi que les modifications à la Loi sur les évaluations environnementales apportées par le projet de loi 197, qui ont créé certaines dispenses des procédures d’évaluation environnementale applicables par ailleurs.
Dans les deux cas, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’obligation de consulter ne s’appliquait pas. En ce qui concerne le projet de loi 197, la Cour a conclu que l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif. Si une loi a des répercussions négatives sur les intérêts autochtones protégés en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la voie de recours appropriée est une contestation constitutionnelle de la loi.
Pour ce qui est de l’ordonnance déclaratoire MNR-75, la Cour a conclu que les demandeurs n’ont pas prouvé que son abrogation entraînerait des répercussions sur les droits des Autochtones, car les mesures de protection de l’environnement prévues dans l’ordonnance sont déjà incorporées dans le Manuel de planification de la gestion forestière [PDF] (en anglais seulement), un document juridiquement contraignant. La décision de la Cour confirme que l’obligation de consulter ne prend pas naissance lorsqu’une nouvelle loi est adoptée ou qu’une modification réglementaire n’entraîne pas de nouvelles répercussions sur les droits autochtones.
Conseil général des établissements Métis c. Canada (Relations Couronne-Autochtones) et Innu Nation Inc. c. Canada (Relations Couronne-Autochtones)
Dans les deux cas, le ministre des Relations Couronne-Autochtones a conclu des ententes avec un groupe qui prétendait représenter des communautés autochtones. Dans l’affaire Conseil général des établissements Métis c. Canada (Relations Couronne-Autochtones)[3], le ministre a convenu de reconnaître la Nation métisse de l’Alberta (NMA) comme la représentante exclusive de la Nation métisse en Alberta. Dans l’affaire Innu Nation Inc. c. Canada (Relations Couronne-Autochtones)[4], le ministre a conclu un protocole d’entente avec le NunatuKavut Community Council, qui se décrit comme un corps dirigeant inuit. Les demandeurs dans ces cas étaient d’autres organisations autochtones et elles ont soutenu que l’obligation de consulter avait été violée, parce que le ministre n’avait pas communiqué avec elles avant de conclure ces ententes.
Dans l’affaire Conseil général des établissements Métis, le juge Grammond a conclu que le Canada a manqué à son obligation de consulter. En accordant à la NMA un monopole sur la représentation de la nation métisse, notamment le pouvoir de présenter des revendications fondées sur les droits ancestraux reconnus par l’article 35, la décision du ministre risquait de porter atteinte aux droits ancestraux des demandeurs, ce qui imposait l’obligation de consulter. En revanche, dans l’affaire Innu Nation Inc., la juge Strickland a conclu qu’il n’y avait pas d’obligation de consulter, car le protocole d’entente ne créait, ne reconnaissait ni ne niait de droits légaux et constituait uniquement l’expression de la bonne volonté et d’un engagement politique.
Ces affaires montrent que l’obligation de consulter est déclenchée lorsqu’il y a des effets réels sur les droits, et non simplement des engagements politiques ou symboliques.
First Nation of Na-Cho Nyäk Dun v. Yukon (Government of)
En 2021, le Yukon a autorisé un projet d’exploration minérale dans le bassin versant de la rivière Tsé Tagé (rivière Beaver) en vertu de la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon afin de passer à l’étape de l’approbation réglementaire et de l’octroi de permis. Ce bassin versant fait partie du territoire de la Première Nation des Na-Cho Nyäk Dun. La Première Nation a demandé une révision judiciaire au motif que l’obligation de consulter n’avait pas été satisfaite.
Dans First Nation of Na-Cho Nyäk Dun v. Yukon (Government of)[5], la Cour d’appel du Yukon a conclu que l’obligation de consulter n’avait pas été satisfaite et a annulé l’approbation. La Cour a souligné que le Yukon n’avait pas adhéré à la position de la Première Nation selon laquelle le projet ne devait pas aller de l’avant tant que l’aménagement du territoire local n’était pas terminé, et que le Yukon n’avait pas justifié son omission de consulter la communauté avant de prendre sa décision. Na-Cho Nyäk Dun souligne que, pour s’acquitter de son obligation de consulter, le gouvernement doit aborder sérieusement les enjeux clés ou les arguments principaux soulevés par le groupe autochtone touché.
Traités et lois des Premières Nations
Interprétation des traités : Ontario (Procureur général) c. Restoule
En juillet 2024, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. Restoule[6], clarifiant des aspects importants de l’interprétation des traités entre la Couronne et les Autochtones. Restoule concerne les Traités Robinson de 1850, signés avec les Anichinabés du lac Huron et du lac Supérieur. Ces traités comprenaient une « clause d’augmentation » en vertu de laquelle les annuités versées aux Anichinabés pouvaient augmenter au fil du temps à la discrétion de la Couronne. Le montant des annuités a été porté à 4 $ par personne par année en 1875 et est demeuré inchangé depuis. La Couronne a reconnu avoir manqué à ses obligations aux termes des traités. En 2023, les Anichinabés du lac Huron ont accepté un règlement pour les manquements passés de 10 milliards $. Les demandeurs du lac Supérieur poursuivent leurs revendications devant les tribunaux.
La Cour suprême du Canada a entendu un appel concernant l’interprétation des traités. Elle a conclu à l’unanimité que, bien qu’aucune obligation fiduciaire n’ait pris naissance à l’égard de la clause d’augmentation, l’honneur de la Couronne nécessitait une mise en œuvre diligente de la clause d’augmentation, ce qui n’a pas été respecté en l’espèce. La Cour a donc ordonné que les autres procédures devant la Cour supérieure soient suspendues pendant six mois pour permettre aux parties de négocier un règlement.
Entente sur le titre ancestral de la nation Haïda
Le 14 avril 2024, la Colombie-Britannique a conclu une entente avec le Council of the Haida Nation [PDF] (en anglais seulement), reconnaissant que la nation Haïda détient le titre ancestral sur la totalité des îles Haida Gwaii, comme nous l’avons vu dans un Bulletin d’actualités Osler précédent. L’entente prévoit également un processus de transition pour concilier les chevauchements de compétence sur ces îles entre la Colombie-Britannique et la nation Haïda. Le 17 février 2025, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il reconnaissait aussi le titre ancestral de la nation Haïda sur les îles Haida Gwaii dans sa propre entente en établissant un processus de transition à l’égard de ce territoire. Ces premières ententes dans lesquelles un gouvernement (fédéral ou provincial) reconnaît de façon proactive et sans réserve le titre ancestral sur une région marquent un progrès important dans la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) par la Colombie-Britannique et le Canada. Dans le cadre du litige sur le titre ancestral de la nation Haïda, qui doit faire l’objet d’une audience en 2026, la Cour examinera les questions qui ne sont pas abordées dans cette entente, comme l’indemnisation par la Couronne.
Traité conclu avec les Métis de la rivière Rouge
Le 30 novembre 2024, le Canada et la Fédération Métisse du Manitoba (FMM) ont signé un traité d’autonomie gouvernementale historique qui reconnaît officiellement la FMM comme le gouvernement des Métis de la rivière Rouge, comme nous en avons discuté dans un article de blogue précédent. Le Traité concernant la reconnaissance et la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis de la rivière Rouge est le premier traité moderne signé par le Canada avec une nation Métisse. Il reconnaît que la FMM est l’unique représentante des Métis de la rivière Rouge et affirme qu’elle est habilitée à adopter des lois régissant la citoyenneté des Métis de la rivière Rouge. Toutefois, le traité n’entrera en vigueur que lorsque le Parlement aura adopté une loi habilitante.
Entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et ressources du Nunavut
Le 18 janvier 2024, comme nous l’avons mentionné dans un Bulletin d’actualités Osler précédent, le gouvernement fédéral, le Nunavut et Nunavut Tunngavik Inc. (NTI) ont signé l’Entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources du Nunavut. En vertu de l’entente, le contrôle des terres de la Couronne dans le territoire sera transféré au gouvernement territorial du Nunavut et à NTI, l’entité représentante qui gère les droits et responsabilités des peuples inuits du Nunavut. Bien que l’entente prévoie un transfert de contrôle le 1er avril 2027, cette échéance dépendra de l’adoption d’une nouvelle loi fédérale visant à abroger et à remplacer la Loi sur le Nunavut.
Une fois terminé, le cas échéant, le transfert au Nunavut constituera la passation finale du pouvoir décisionnel concernant les terres, les eaux, les mines et les ressources minérales dans les territoires du Nord canadien. Après des ententes semblables de transfert de pouvoir conclues avec le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, les investissements dans les ressources ont augmenté de façon spectaculaire dans ces territoires. Il pourrait en être de même au Nunavut, puisque le gouvernement territorial cherche à accroître ses recettes par l’exploitation des ressources.
Entente-cadre avec les Innus de Pessamit
Le 15 février 2024, le gouvernement du Québec et les Innus de Pessamit ont conclu une entente-cadre concernant le territoire revendiqué par le groupe, qui s’étend sur environ 400 kilomètres au nord du fleuve Saint-Laurent, vers la frontière avec le Labrador. L’entente-cadre accorde un paiement provisoire de 45 millions $ aux Innus de Pessamit en attendant qu’une entente définitive soit négociée sur des questions comme l’exploitation des ressources. Les Innus de Pessamit avaient poursuivi le gouvernement du Québec et Hydro-Québec après que la construction de plusieurs barrages sur le territoire dans les années 1960 et 1970 leur eut causé des dommages environnementaux. L’entente-cadre suspend cette poursuite.
Bien que le libellé n’en ait pas encore été rendu public, cette entente-cadre constituera le premier traité conclu au Québec depuis 2010.
Volet final
Dans le dernier volet de notre série, nous examinerons certaines des principales affaires qui auront déjà été jugées en 2025, puis nous dégagerons des perspectives pour le reste de l’année.
[1] Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73.
[2] Association of Iroquois and Allied Indians v. Ontario, 2024 ONCA 436.
[3] Conseil général des établissements Métis c. Canada (Relations Couronne-Autochtones), 2024 CF 487.
[4] Innu Nation Inc. c. Canada (Relations Couronne-Autochtones), 2024 CF 896.
[5] First Nation of Na-Cho Nyäk Dun v. Yukon (Government of), 2024 YKCA 5 (en anglais seulement).
[6] Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27.