Blogue sur le droit autochtone

Changements majeurs apportés au droit autochtone en 2025 Changements majeurs apportés au droit autochtone en 2025

3 avril 2025 8 MIN DE LECTURE

Cette série a examiné les principaux changements survenus l’année dernière en droit autochtone : nouveaux traités, lois, affaires, etc. Les volets précédents soulignaient l’actualité relative aux droits ancestraux, au titre ancestral, à l’obligation de consulter et aux droits issus des traités, en plus d’aborder les nouvelles lois.

Le dernier volet se penchera sur certaines affaires survenues au début de 2025 et sur ce qui nous attend pour le reste de l’année.

Affaires récentes

Plusieurs affaires importantes en droit autochtone sont déjà survenues ces derniers mois.

Première Nation de Kebaowek c. Laboratoires nucléaires canadiens

Dans l’affaire Première Nation de Kebaowek c. Laboratoires nucléaires canadiens[1], la Cour fédérale du Canada a conclu que l’enchâssement de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones [PDF] (DNUDPA) dans le droit canadien en vertu de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (LDNU) est un facteur contextuel qui accroît l’obligation de consulter dans les circonstances.

L’affaire portait sur la décision de la Commission canadienne de sûreté nucléaire d’autoriser la construction d’une installation de gestion de déchets nucléaires sur le site des Laboratoires de Chalk River. La Première Nation de Kebaowek a demandé une révision judiciaire, soutenant que la Commission n’avait pas correctement appliqué la DNUDPA et la LDNU dans son processus de consultation.

La Cour a conclu que le défaut de la Commission de tenir compte de la DNUDPA, et en particulier de la norme de « consentement préalable donné librement et en connaissance de cause » énoncée au paragraphe 29(2) de la DNUDPA, comme facteur contextuel pour évaluer si la consultation menée par la Couronne est appropriée constituait une erreur de droit et a renvoyé l’affaire devant la Commission. Cette affaire modifie l’application du « statu quo » dans le cadre de l’article 35, amenant à conclure que la DNUDPA éclaire la portée et le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder et que, dans certaines circonstances, elle peut imposer à la Couronne des obligations accrues en matière de consultation.

Wabauskang First Nation c. Ontario (ministère des Richesses naturelles et des Forêts)

La Cour divisionnaire de l’Ontario a rejeté une demande de révision judiciaire présentée par la Première Nation de Wabauskang et la Première Nation de Lac Seul concernant des décisions prises par le ministère des Richesses naturelles et des Forêts à l’égard du transfert de terres de la Couronne à la municipalité de Red Lake pour aménager un quartier d’habitation[2]. Les demandeurs ont soutenu que leurs droits aux termes de l’article 35 ont été violés à cause du caractère insuffisant des consultations et du défaut du ministère d’obtenir le consentement des Premières Nations avant le transfert des terres.

La Cour a conclu que le Traité no 3 n’impose pas l’obligation d’obtenir le consentement des Premières Nations avant le transfert de terres, même s’il exige des consultations. Elle a statué que l’obligation de consulter était remplie, les représentants du ministère ayant tenu plusieurs réunions de bonne foi avec les Premières Nations au sujet du possible aménagement des terres.

Innus de Uashat et de Mani-Utenam c. Hydro-Québec

La Première Nation innue d’Uashat et Mani-Utenam a eu gain de cause contre Hydro-Québec pour manquement à l’honneur de la Couronne pendant la construction du complexe hydroélectrique de La Romaine[3].

Au cours des premières étapes de la construction du barrage, Hydro-Québec a offert à la Première Nation de lui verser une indemnité de plus de 75 millions $ entre 2014 et 2073 pour les dommages causés par l’implantation de lignes de transmission sur son territoire. En 2015, en raison de difficultés financières, la bande a accepté un règlement d’Hydro-Québec de seulement 6 millions $.

Dans cette décision, la Cour supérieure du Québec a conclu qu’en sa qualité de mandataire de la Couronne, Hydro-Québec était liée par l’honneur de la Couronne et devait négocier de bonne foi. Considérant que cette obligation n’avait pas été remplie, la Cour a annulé le règlement de 2015 et accordé des dommages-intérêts supplémentaires de 5 millions $. Pour une analyse approfondie de cette décision, consultez notre billet de blogue précédent.

Colville Lake Renewable Resources Council c. Northwest Territories (ministre de l’Environnement et des Ressources naturelles)

Les Territoires du Nord-Ouest ont demandé une révision judiciaire du système de gestion du caribou mis en œuvre par le Conseil des ressources renouvelables de Colville Lake, conformément à l’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu [PDF] conclue en 1993[4].

Rejetant un appel de première instance, la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest a statué que le Conseil avait le droit d’utiliser le savoir autochtone pour élaborer un plan de gestion du caribou en vertu du traité. L’affaire souligne que l’on peut s’appuyer sur le savoir et les pratiques autochtones pour interpréter les droits issus de traités.

Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan

La Cour suprême du Canada a examiné la doctrine de l’abus de procédure dans le contexte de multiples procédures judiciaires mettant en cause des Autochtones[5]. Cette affaire portait sur la demande de révision judiciaire présentée par la Nation métisse de la Saskatchewan à l’égard de permis d’exploration d’uranium octroyés par la province, qui n’aurait pas respecté son obligation de consulter. Dans des procédures distinctes, la Nation métisse revendiquait également l’existence de droits ancestraux et d’un titre ancestral.

La décision confirme que les communautés autochtones peuvent demander une révision judiciaire de certaines décisions de la Couronne en invoquant l’obligation de consulter, tout en revendiquant l’existence des droits ou du titre qui sous-tendent l’obligation de consulter de la Couronne. La décision précise également que les multiples procédures judiciaires relatives aux mêmes revendications autochtones ne violent pas automatiquement la doctrine de l’abus de procédure.

Ce qui nous attend pour le reste de 2025

Il y aura de nombreux enjeux à surveiller en matière de droit autochtone au cours de l’année.

Les volets précédents de cette série ont souligné plusieurs litiges qui se poursuivront devant les tribunaux cette année. Mentionnons entre autres les appels interjetés à l’égard des décisions de seconde instance : Montour, Wolastoqey Nations et les Nuchatlaht, les appels devant la Cour suprême du Canada : Chippewas de Saugeen et Wesley c. Alberta, et la plus récente contestation constitutionnelle menée par l’Alberta à l’encontre de la Loi sur l’évaluation d’impact.

Le 16 décembre 2024, le gouvernement de l’Ontario a demandé à la Cour suprême du Canada l’autorisation d’en appeler dans l’affaire Mathur c. Ontario, une contestation constitutionnelle de la politique ontarienne en matière de climat, à la suite de la décision rendue en octobre 2024 par la Cour d’appel de l’Ontario et rapportée dans un Bulletin d’actualités Osler précédent. Dans l’affaire, l’une des questions que la Cour d’appel a renvoyée au tribunal de première instance était de savoir si la politique sur le climat engage les droits ancestraux en vertu de l’article 35. Reste à voir si l’affaire Mathur sera instruite par la Cour suprême du Canada ou si l’autorisation d’appel sera refusée, ce qui renverrait le dossier devant de la Cour supérieure.

En 2025, la Loi sur les mines de l’Ontario fera aussi l’objet de contestations constitutionnelles. Les demandeurs dans ces cas soutiennent que l’enregistrement de claims miniers déclenche l’obligation de consulter. Ce litige fait suite à des contestations semblables admises par la Cour suprême de la Colombie-Britannique en 2023, comme le rappelle un Bulletin d’actualités Osler précédent. En janvier 2025, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a entendu en appel cette décision de 2023, mais elle doit encore se prononcer.

En Colombie-Britannique, le litige entourant l’Accord de mise en œuvre des Premières Nations de la rivière Blueberry [PDF] (en anglais, BRIA) qui crée un régime de prise de décision partagée entre la Colombie-Britannique et les Premières Nations de la rivière Blueberry (BRFN) pour aménager les terres se poursuit. En mai 2024, dans le cadre du BRIA, la province et le chef des BRFN ont approuvé le plan Gundy, qui prévoit l’aménagement d’un territoire de 53 000 hectares. Toutefois, comme le rapporte un Bulletin d’actualités Osler précédent, les BRFN ont intenté une poursuite en juillet 2024 pour empêcher l’entrée en vigueur du plan Gundy. Les demandeurs allèguent que le plan Gundy viole le BRIA parce que le chef n’est pas légalement autorisé à négocier le plan Gundy au nom des BRFN. Jusqu’à ce que ce litige soit réglé, tout aménagement du territoire des BRFN, qui couvre une grande partie du nord-est de la Colombie-Britannique, reste aléatoire.

Au niveau fédéral, la prorogation du Parlement et les élections générales de cette année favorisent l’incertitude. La prorogation compromet l’adoption de plusieurs projets de loi présentés par le gouvernement actuel, mais qui devront être soumis de nouveau lors d’une prochaine session du Parlement. Les ententes signées par le Canada avec les Métis de la rivière Rouge, la nation Haïda et le Nunavut entreront en vigueur seulement lorsque le Parlement aura adopté une loi habilitante. Reste à voir si ces questions législatives seront abordées avant les prochaines élections fédérales.

Nous continuerons de suivre la situation de près.


[1] Première Nation de Kebaowek c. Laboratoires nucléaires canadiens, 2025 FC 319.

[2] Wabauskang First Nation c. Ontario (ministère des Richesses naturelles et des Forêts), 2025 ONSC 316 (Cour divisionnaire).

[3] Innus de Uashat et de Mani-Utenam c. Hydro-Québec, 2025 QCCS 40.

[4] Colville Lake Renewable Resources Council c. Northwest Territories (ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles), 2025 NWTCA 1.

[5] Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan, 2025 CSC 4.