Au-delà du tabac et des opioïdes : la Colombie-Britannique prévoit engager davantage d’actions collectives pour recouvrer les coûts en santé publique liés à pratiquement n’importe quel produit

20 Mar 2024 7 MIN DE LECTURE

Mise à jour – Le 23 avril 2024, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé que le projet de loi 12, intitulé Public Health Accountability and Cost Recovery Act, était suspendu. Le gouvernement a publié une déclaration commune (en anglais seulement) avec les entreprises de médias sociaux, et a mentionné avoir reçu des commentaires de la part de divers secteurs d’activités.

Le 14 mars 2024, la province de la Colombie-Britannique a proposé un vaste projet de loi sur les actions collectives intergouvernementales pour recouvrer les coûts découlant de « torts liés à la santé ». S’il est adopté, le projet de loi créera un précédent pour les autres provinces et pourrait avoir des répercussions importantes dans de nombreux secteurs.

Les médias sociaux, les jeux d’argent, les jeux de hasard, les produits de santé et de beauté, les produits pour la maison, les aliments et les boissons, ainsi que les produits de conditionnement physique sont autant de cibles possibles de la loi.

Le projet de loi 12-2024, intitulé Public Health Accountability and Cost Recovery Act, s’inspire largement de la loi de la Colombie-Britannique sur le recouvrement des coûts en santé publique pour le tabac et les opioïdes[1], mais il va encore plus loin. Il couvre pratiquement tous les produits ou services qui présentent des risques pour la santé et permet au gouvernement de prouver ses coûts au moyen de « certificats du ministre » draconien plutôt que par des preuves.

Le projet de loi crée des avantages en matière de litiges qui font pencher la balance en faveur du gouvernement de sorte que pratiquement tous les secteurs d’activité pourraient se retrouver dans le collimateur du gouvernement. Le projet de loi accorderait aux gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada 1) une cause d’action directe pour le recouvrement des coûts en santé publique causés ou favorisés par un « tort lié à la santé », et 2) des avantages procéduraux et substantiels pour appuyer la nouvelle cause d’action, notamment la suspension des délais de prescription de 15 ans, l’inversion de la charge de la preuve favorable au gouvernement, la restriction des droits en matière de découverte des faits et l’application rétroactive.

Cibler d’autres secteurs que ceux du tabac et des opioïdes

Jusqu’au projet de loi 12, les caractéristiques draconiennes de la législation sur le tabac et les opioïdes étaient limitées à ces secteurs. La Colombie-Britannique dispose également d’une loi générale[2] sur le recouvrement des coûts en santé publique, mais elle ne fait pas autant pencher la balance en faveur du gouvernement pour faciliter les réclamations à l’encontre de secteurs entiers.

La procureure générale de la Colombie-Britannique, Niki Sharma, a confirmé que le projet de loi 12 prévoit de s’étendre au-delà du tabac et des opioïdes : « Après l’adoption de cette nouvelle loi, nous serons en mesure de poursuivre davantage de malfaiteurs, comme nous l’avons fait avec les fabricants de tabac et d’opioïdes, et de garantir la santé et la sécurité d’un plus grand nombre de Britanno-Colombiens.[3] »

Le champ d’application du projet de loi 12 se reflète dans la nouvelle cause d’action accordée aux gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada. Les gouvernements se voient accorder une « action directe et distincte » contre une personne pour recouvrer le coût des prestations de soins de santé causés ou favorisés par un tort lié à la santé, qui ne se limite pas à des produits ou des secteurs en particulier. Il est plutôt défini de façon large et englobe

a) une violation à une obligation ou à un devoir reconnu en common law ou en équité ou prévu par une loi à l’égard de personnes en Colombie-Britannique, ou

b) un délit commis en Colombie-Britannique par une personne et ayant causé ou contribué à causer une maladie ou une blessure.

Les termes « maladie ou blessure » sont définis de façon large pour inclure les blessures ou maladies physiques ou mentales, l’utilisation problématique d’un produit, la dépendance, la détérioration générale de la santé et le risque de ce qui précède.

Lorsque ces définitions générales sont respectées, le gouvernement peut tirer parti des présomptions (inversion du fardeau de la preuve), y compris en ce qui concerne le lien de causalité, pour faire la preuve de certaines conditions préalables. Dans une action concernant un produit, le gouvernement obtient le bénéfice des présomptions tant qu’il prouve que a) le défendeur a violé un devoir ou une obligation en common law, en équité ou en vertu de la loi envers les bénéficiaires qui ont utilisé le produit ou y ont été exposés ou qui pourraient l’utiliser ou y être exposés; b) l’utilisation du produit ou l’exposition à celui-ci peut causer ou contribuer à causer une maladie ou une blessure, et c) le produit a été offert à la distribution, à la vente ou à l’utilisation en Colombie-Britannique au cours de la période concernée[4].

Les certificats du ministre remplacent la preuve

Le projet de loi 12 rétablit une disposition draconienne relativement au « certificat du ministre » qui permet à un ministre (C.-B. ou Canada) de « certifier » des faits importants qui nécessiteraient normalement une preuve dans le cadre d’un litige civil. Ainsi,

  • un ministre peut délivrer un certificat attestant des prestations de soins de santé qui ont été versées et qui seront vraisemblablement versées à une population de bénéficiaires, et ce certificat est considéré comme une « preuve », et
  • un ministre peut délivrer un certificat attestant des coûts en santé publique, ce qui constitue une « preuve concluante ».

La Tobacco Damages Recovery Act originale de la Colombie-Britannique, adoptée en 1997, contenait une disposition semblable, mais elle était absente de la loi sur le tabac adoptée de nouveau en 2000 et de la loi subséquente sur les opioïdes. Une disposition très semblable est toutefois incluse dans la Health Care Cost Recovery Act de la Colombie-Britannique.

À quoi s’attendre à l’avenir

Le projet de loi 12 a franchi l’étape de la première lecture à l’Assemblée législative et fera l’objet de deux autres lectures avant d’être adopté. S’il est adopté dans sa forme actuelle, le gouvernement de la Colombie-Britannique sera habilité à engager des poursuites pour faire valoir sa nouvelle cause d’action dans un certain nombre de secteurs, et il pourra demander la certification d’une action collective au nom de tous les gouvernements du Canada[5].

Le gouvernement de la Colombie-Britannique disposera d’un temps considérable pour choisir les secteurs qui seront visés par la nouvelle loi. Le projet de loi 12 donne également aux gouvernements les 15 prochaines années pour engager des poursuites en invoquant la nouvelle cause d’action sans aucun délai de prescription. Cela signifie que les gouvernements pourraient intenter des poursuites visant différents secteurs au fil du temps, et chacune de ces réclamations pourrait remonter à des décennies.

On s’attend généralement à ce que les médias sociaux soient les premiers dans la ligne de mire du gouvernement en vertu du projet de loi 12. En effet, le jour même où la procureure générale a présenté le projet de loi 12 à l’Assemblée législative, le Cabinet du premier ministre a publié un communiqué expliquant que « le projet de loi permet au gouvernement de poursuivre les entreprises de médias sociaux pour les préjudices que leurs algorithmes causent aux gens, et surtout aux enfants ».

L’avenir nous dira si d’autres provinces suivront cet exemple, comme beaucoup l’ont fait avec les lois sur le tabac et les opioïdes.

 


[4] Projet de loi 12, article 4. Des conditions préalables et des présomptions distinctes s’appliquent aux mesures liées aux risques : article 5.

[5] La Cour suprême du Canada se penchera sur la constitutionnalité des actions collectives multiterritoriales dans l’affaire Sanis Health Inc. c. Sa Majesté le Roi du chef de la province de la Colombie-Britannique (CSC 40864), qui sera entendue en mai 2024.