Auteurs(trice)
Associée, Services financiers, Toronto
Sociétaire, Services financiers, Toronto
Dans la cause Alderbridge Way GP Ltd. (Re), 2024 CSCB 1433, dans son analyse de la responsabilité des prêteurs qui ont résilié un contrat de prêt, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a insisté sur l’importance de la clarté des clauses contractuelles dans les opérations de financement.
Contexte
Dans la cause Alderbridge Way, les promoteurs immobiliers cherchaient à financer un projet d’aménagement immobilier vaste et complexe à Richmond, en Colombie-Britannique (le projet). Ce projet portait sur la construction de sept tours à vocation résidentielle et commerciale avec un budget prévisionnel d’environ 726 millions $.
Romspen Investment Corporation (Romspen), une société privée de prêts hypothécaires spécialisée dans les hypothèques pour biens immobiliers commerciaux, a consenti à fournir le financement nécessaire. Conformément à un contrat de prêt signé en novembre 2019, Romspen a octroyé aux promoteurs immobiliers un financement pour la construction de la première phase du projet. Le montant de la facilité de crédit indiquée dans le contrat de prêt était supérieur à 400 millions $. Compte tenu de l’envergure du prêt, Romspen et les promoteurs immobiliers ont convenu qu’un mécanisme de syndication s’avérerait nécessaire. En effet, Romspen ne pouvait à elle seule prendre en charge un prêt de plus de 400 millions $. Dans le cadre du contrat de prêt en question, Romspen s’était engagée à hauteur de 212 millions $.
Romspen a commencé à avancer des sommes aux promoteurs immobiliers pour commencer la construction. Dès le mois de décembre 2019, Romspen a entrepris des démarches pour procéder à la syndication d’une partie du prêt, comme indiqué dans le contrat de prêt. Toutefois, malgré les efforts déployés, elle n’a pas été en mesure de rassembler les parties nécessaires pour que la syndication soit couronnée de succès.
Le 31 mars 2020, Romspen a cessé de financer le projet. À cette date, environ 143 millions $ avaient été avancés aux promoteurs immobiliers. Après l’arrêt du financement par Romspen, les promoteurs immobiliers n’ont pas réussi à trouver d’autres sources de financement et ont été contraints d’interrompre le projet, ce qui a entraîné leur insolvabilité et a mené à l’ouverture d’une procédure en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Les promoteurs immobiliers ont allégué que la décision de Romspen de cesser de financer le projet le 31 mars 2020 constituait une violation du contrat de prêt.
La décision
La Cour était appelée à se prononcer sur la légitimité de la décision de Romspen de mettre un terme au financement du projet en mars 2020 en vertu des dispositions du contrat de prêt. Le juge Majawa a conclu que Romspen était en droit de cesser son financement comme elle l’a fait.
Dans sa décision, le juge Majawa a notamment estimé que les éléments de preuve concernant les discussions menées et les informations communiquées lors des négociations ou figurant dans les ébauches antérieures du contrat étaient irrecevables pour constituer un fondement factuel. Par conséquent, ces preuves ne pouvaient être prises en compte dans l’interprétation des dispositions d’un contrat.
Après avoir examiné les modalités du contrat, le juge Majawa a noté que les obligations de Romspen d’engager des sommes aux termes de la facilité de crédit étaient conditionnelles au respect des modalités et des conditions prévues dans le contrat de prêt. Plus particulièrement, le contrat de prêt stipulait que [TRADUCTION] « le financement des travaux de construction sera assuré par des avances périodiques, dont le calendrier et le montant seront définis à l’unique discrétion du prêteur et selon les modalités et les conditions énoncées aux présentes »[1] et, par ailleurs, que [TRADUCTION] « ni la préparation ni l’inscription des documents visés aux présentes ne sauraient obliger le prêteur à effectuer une avance, étant entendu que toute avance pour le financement des travaux de construction, lorsqu’il y a lieu, est à la discrétion exclusive, absolue et entière du prêteur » (italiques rajoutés).[2]
Les parties plaignantes ont également allégué que Romspen était tenue d’honorer son engagement d’effectuer une avance de 212 millions $, même si elle n’était pas parvenue à la syndication du prêt. Le juge Majawa a rejeté cette interprétation, notant que si les parties avaient voulu que le contrat de prêt oblige Romspen à fournir un minimum de 212 millions $, elles auraient dû l’indiquer de manière explicite. En particulier, plutôt que d’indiquer dans le contrat de prêt que [TRADUCTION] « “[l]e prêteur n’a pas l’obligation de financer les avances futures au-delà de la portion du prêt consacrée à la construction indiquée à l’annexe B”, les parties auraient dû stipuler que [TRADUCTION] “le prêteur a l’obligation de financer un montant minimum de 212 millions $” si telle avait été leur intention » (les soulignements sont dans l’original).[3]
Points à retenir
Cette cause met en lumière l’importance de rédiger des contrats de prêt en termes clairs et dans un langage qui traduit les intentions des parties. Elle rappelle également le principe selon lequel les éléments de preuve provenant de négociations sont généralement irrecevables aux fins de l’interprétation d’un contrat de prêt.
[1] Alderbridge Way GP Ltd. (Re), 2024 CSCB 1433, para. 108.
[2] Para. 109.
[3] Para. 139.