Changement déterminant : le Canada procède à une refonte de ses principales lois sur la propriété intellectuelle

13 Déc 2019 9 MIN DE LECTURE

En 2019, le Canada a finalement rempli sa promesse de moderniser son système d’enregistrement des droits de propriété intellectuelle (PI) avec l’entrée en vigueur des modifications clés à la Loi sur les marques de commerce, à la Loi sur les brevets et à leurs règlements respectifs. L’objectif louable de ces changements est d’harmoniser davantage les pratiques canadiennes et étrangères en matière de poursuites ayant trait à la propriété intellectuelle et de respecter l’engagement du gouvernement à rendre l’investissement dans la propriété intellectuelle canadienne aussi concurrentiel et simple que faire se peut. Pour le gouvernement canadien, la prochaine étape consistera à mettre en œuvre une ambitieuse stratégie expérimentale concernant la propriété intellectuelle.

Refonte de la Loi sur les marques de commerce et ses règlements

En juin 2019, une multitude de modifications législatives sont entrées en vigueur, parallèlement à d’importants changements dans les pratiques de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Bon nombre de ces changements étaient prévus depuis un certain temps, car ils découlent de la mise en œuvre de trois traités importants sur les marques de commerce, annoncés pour la première fois en 2014 : 1) le Protocole relatif à l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques ; 2) le Traité de Singapour sur le droit des marques ; et 3) l’Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques. Les principaux changements comprennent ce qui suit :

  • l’élimination des motifs de dépôt
  • l’élimination de l’obligation de déposer un formulaire de déclaration pour obtenir un enregistrement
  • la mise en œuvre de la classification prévue par l’Arrangement de Nice et l’imposition de droits pour chaque classe de produits ou services par le gouvernement
  • des modifications à la définition de « marque de commerce » pour permettre l’enregistrement de nouvelles catégories de marques de commerce non traditionnelles, y compris la 3D et les hologrammes
  • la réduction de la durée d’enregistrement des marques de commerce au Canada, qui passe de 15 à 10 ans 
  • des modifications procédurales au régime d’opposition à l’enregistrement de marques de commerce
  • l’introduction de l’examen du caractère distinctif.

Dès le départ, ces changements ont soulevé des critiques et des préoccupations. Par exemple, certains sont d’avis que l’élimination de la preuve d’utilisation risque de précipiter un « squattage » généralisé des marques de commerce en plus d’augmenter le nombre de procédures contentieuses. Certaines de ces préoccupations ont été apaisées en 2018 grâce à l’introduction d’un motif d’opposition fondé sur la « mauvaise foi » dans les amendements proposés. Des dispositions relatives à la gestion des cas et à l’adjudication de dépens ont également été ajoutées, ainsi qu’une obligation de faire la preuve de l’utilisation dans les cas où une personne ou société inscrite cherche à faire respecter des droits afférents à une marque de commerce au cours des trois premières années suivant leur enregistrement. Des dispositions ont également été incluses pour limiter la portée des marques officielles qui ne sont plus actives ou qui n’existent plus.

De nombreux changements visent à simplifier le processus d’enregistrement des marques de commerce et à encourager la protection des marques au Canada. Paradoxalement, avant l’entrée en vigueur des modifications, de nombreux propriétaires de marques se sont empressés de déposer leur marque au Canada pour éviter de payer les droits applicables à la demande d’enregistrement « par classe » qui s’appliquent maintenant. 

Les modifications opportunes de 2019 ont bel et bien simplifié le processus d’enregistrement des marques de commerce au Canada. Par contre, le nouveau régime risque d’imposer aux propriétaires de marques des coûts plus élevés, en plus de les obliger à surveiller rigoureusement les demandes déposées auprès de l’OPIC concernant des marques de commerce de tiers potentiellement en conflit. Les modifications apportées à la Loi sur les marques de commerce sont donc susceptibles de faire augmenter le nombre de procédures d’opposition et d’annulation. Il reste à voir si l’élimination de l’exigence de prouver l’utilisation pour les déposants de marques de commerce canadiens donnera lieu à la présentation de demandes d’enregistrement hâtives fondées sur des spéculations et à d’autres types de comportements répréhensibles. 

Modifications fort attendues aux Règles sur les brevets

Le 30 octobre 2019, de nouvelles Règles sur les brevets et des modifications à la Loi sur les brevets sont également entrées en vigueur au Canada. La pratique canadienne en matière de brevets a ainsi fortement changé. Bien que les détails de ces modifications techniques dépassent le cadre de la présente publication, leur effet global est de raccourcir les délais et d’améliorer la certitude procédurale dans la poursuite des demandes de brevet au Canada. Par exemple, les Règles comprennent un certain nombre de modifications :

Entrée en phase nationale de la demande PCT : Auparavant, une demande aux termes du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) pouvait entrer en phase nationale au Canada, de plein droit, jusqu’à 42 mois après la date de priorité, moyennant le paiement d’une surtaxe. Pour les demandes internationales déposées après le 30 octobre 2019, l’entrée tardive ne sera plus autorisée de plein droit, le délai d’entrée en phase nationale étant fixé à 30 mois, sous réserve de certaines exceptions.

Dépôt direct au Canada : Auparavant, pour obtenir une date de dépôt, une demande de brevet canadien devait inclure une description de l’invention, en anglais ou en français, et être accompagnée du paiement d’une taxe de dépôt. En vertu des nouvelles Règles, une description peut être déposée dans n’importe quelle langue, et il est possible de reporter le paiement de la taxe de dépôt et d’une traduction en anglais ou en français. 

Requête d’examen : Auparavant, le délai pour déposer une requête d’examen était de cinq ans à compter de la date de dépôt au Canada, avec des règles connexes pour les demandes divisionnaires. En vertu des nouvelles Règles, le délai pour déposer une requête d’examen a été porté à quatre ans à compter de la date de dépôt, et les délais ont été réduits en conséquence pour les demandes divisionnaires.

Délais des mesures officielles : Le délai standard pour répondre à des mesures officielles passe de six à quatre mois. Des prorogations allant jusqu’à deux mois peuvent être accordées à la discrétion du Bureau des brevets si le demandeur paie une taxe de prorogation et soumet les motifs de sa demande.

Acceptation et modifications après acceptation : En vertu des nouvelles Règles, les demandeurs de brevet disposeront d’un délai de quatre mois suivant l’avis d’acceptation pour payer la taxe finale. De plus, la poursuite d’une demande peut être rouverte et une demande peut être modifiée en demandant un retrait de l’avis d’acceptation dans les quatre mois suivant l’émission de l’avis et avant le paiement de la taxe finale.

Droits des tiers : En vertu des nouvelles Règles, les droits des tiers peuvent s’appliquer lorsqu’une demande est considérée comme ayant été abandonnée en raison d’un défaut de présenter une requête d’examen ou de payer une taxe pour le maintien en état dans les délais prescrits ou après le non-paiement d’une taxe pour le maintien en état d’un brevet délivré. La période durant laquelle les droits des tiers sont applicables commence six mois après le délai initial de paiement de la taxe pour le maintien en état ou de la requête d’examen.

Grâce à ces changements et à de nombreuses autres modifications techniques, les Règles visent à rendre l’obtention de brevets canadiens plus rapide, plus certaine et généralement plus attrayante pour tous les demandeurs.

Stratégie expérimentale du Canada en matière de PI

Au cours des cinq dernières années, le Canada s’est engagé à renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle dans le cadre d’une série d’accords commerciaux internationaux. Aux termes de ces engagements, il incombe aux entreprises canadiennes de tirer parti de ces protections des droits de PI en développant des positions de premier plan en matière de propriété intellectuelle, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’intelligence artificielle et l’énergie verte.

Afin de réaliser cet objectif global, le gouvernement canadien a publié une nouvelle stratégie de propriété intellectuelle en 2019, qui comprend des initiatives pilotes visant à rendre la propriété intellectuelle plus accessible. À titre d’exemple, ExplorerPI est un marché de la propriété intellectuelle administré par le gouvernement qui a été conçu pour démystifier la PI et permettre aux utilisateurs de découvrir les brevets accordés à des institutions du secteur public canadien. De plus, le gouvernement fédéral a annoncé un investissement de 30 millions de dollars dans l’Innovation Asset Collective, un nouveau collectif de brevets sans but lucratif qui détiendra des brevets stratégiques sur les technologies propres au profit des petites et moyennes entreprises canadiennes. 

Ces mesures expérimentales se veulent les premières étapes de la mise en place d’un écosystème canadien de la propriété intellectuelle qui favorisera la croissance de la PI au Canada. Elles visent également à compléter les récentes modifications législatives apportées aux principales lois canadiennes sur la propriété intellectuelle et à encourager les entreprises canadiennes de toute taille à investir dans les droits de propriété intellectuelle enregistrés et à en tirer profit.