L’impact de la norme IFRS 16 sur les clauses restrictives des obligations et de prêts cinq ans plus tard

12 Avr 2024 9 MIN DE LECTURE

Il y a un peu plus de cinq ans, la norme IFRS 16 Contrats de location est entrée en vigueur et a réécrit les règles comptables gouvernant le classement des contrats de location et des paiements de loyers dans les états financiers de la plupart des sociétés ouvertes au Canada. Le changement a ajouté aux clauses restrictives des obligations et des prêts une nouvelle couche de complexité avec laquelle les entreprises et leurs conseillers restent aux prises une demi-décennie plus tard.

Les règles précédentes en matière de comptabilisation des contrats de location (IAS 17) prévoyaient une approche simple du traitement des contrats de location dans les clauses restrictives typiques. Les contrats de location ont été divisés en deux catégories — contrats de location-acquisition et contrats de location-exploitation. Les contrats de location-acquisition étaient ceux qui transféraient au preneur la quasi-totalité des risques et des avantages liés à la propriété. Ils avaient des caractéristiques semblables à celles d’un prêt avec amortissement et étaient comptabilisés au bilan, les paiements de loyers étant traités comme une combinaison d’intérêts et de dotation aux amortissements. Tous les autres contrats de location entraient dans la catégorie des contrats de location-exploitation et étaient comptabilisés comme des créditeurs et des passifs hors bilan dans le cours normal des activités. Cette distinction signifiait que les contrats de location-acquisition étaient pris en compte dans les clauses restrictives et que les contrats de location-exploitation en étaient exclus.

Le point sur les impacts clés de la norme IFRS 16

Le changement clé apporté par la norme IFRS 16 a consisté à éliminer le concept de contrat de location-exploitation, tous les baux étant désormais comptabilisés au bilan (sauf pour des exceptions limitées pour les contrats de location à court terme ou de faible valeur). Résultat : les entreprises ont dû a) comptabiliser dans leur bilan une obligation locative et un actif au titre du droit d’utilisation pour tous les contrats de location qui étaient auparavant classés comme des contrats de location-exploitation et b) comptabiliser les paiements en vertu de ces contrats de location-exploitation comme une combinaison d’intérêts et de dotation aux amortissements (c.-à-d. comme une réintégration au BAIIA, et non comme des loyers de location-exploitation).

Le changement a entraîné, dans l’ensemble, les répercussions suivantes sur le bilan, l’état des résultats et les paramètres de crédit (par rapport à l’ancienne norme), qui influent toutes sur les clauses restrictives des obligations et des prêts :

  • une augmentation de la dette sous forme d’obligations locatives supplémentaires en raison de la comptabilisation de tous les contrats de location au bilan;
  • une augmentation correspondante et à peu près égale des actifs afin de prendre en compte les actifs au titre du droit d’utilisation associés à ces contrats de location;
  • une augmentation du BAIIA en raison du reclassement des loyers de location-exploitation comme une combinaison d’intérêts et de dotation aux amortissements;
  • habituellement, une augmentation de l’effet de levier du fait que l’augmentation en pourcentage de la dette dépasse généralement l’augmentation en pourcentage du BAIIA;
  • un impact sur les ratios de couverture, selon l’augmentation du BAIIA (soit les éléments « intérêts » et « dotation aux amortissements » des paiements de loyers) par rapport à l’augmentation de la charge d’intérêts.

Pourquoi c’est important pour les clauses restrictives

En l’absence d’une distinction entre les contrats de location-acquisition et de location-exploitation, les praticiens ont dû trouver de nouvelles façons de différencier les types de contrats de location qui sont visés par les clauses restrictives et ceux qui ne le sont pas.

Dans les premiers jours qui ont suivi la mise en œuvre de la norme IFRS 16, de nombreuses entreprises ont eu recours à un mécanisme de rédaction des contrats désigné « gel des PCGR » (c’està-dire précisant que la conformité avec les clauses restrictives serait déterminée en fonction des conventions comptables en vigueur à un moment donné) dans le but de préserver le concept de « contrat de location-exploitation » uniquement à des fins de vérification des clauses restrictives. Le gel des PCGR se voulait une solution temporaire en attendant que le marché mette au point une nouvelle pratique courante pour traiter les contrats de location en vertu de la norme IFRS 16. Or cinq ans après la mise en œuvre de la norme, l’approche du gel des PCGR reste étonnamment courante, et une pratique largement acceptée sur le marché brille par son absence.

Dans le contexte des obligations à rendement élevé, des progrès ont été réalisés pour s’éloigner du gel des PCGR et structurer les clauses restrictives de manière à respecter la norme IFRS 16. Une approche (d’abord élaborée par les associés des Marchés financiers d’Osler) consiste simplement à traiter tous les contrats de location comme des dettes et à prévoir des paniers personnalisés de dette autorisée pour s’assurer que l’entreprise a la souplesse voulue pour conclure des contrats de location si elle n’est pas en mesure de respecter son critère général de création de dettes. Les paniers sont conçus pour permettre les contrats de location dans le cours normal des affaires de l’entreprise (p. ex., un producteur d’énergie ne devrait jamais se voir interdire, par une clause restrictive, de conclure un bail de surface pour des propriétés pétrolières et gazières), tout en offrant une plus grande souplesse pour financer des contrats de location et conclure des ententes de cession-bail en fonction d’un pourcentage de l’actif ou du BAIIA de l’entreprise. Les principaux paramètres de crédit (comme les tests d’endettement) sont également calculés en comptabilisant tous les contrats de location comme des dettes. On évite ainsi de comptabiliser séparément les contrats de location-acquisition et de location-exploitation selon des règles comptables désuètes et l’on permet à l’entreprise de calculer ses paramètres de crédit clés et ses paniers en fonction de ses états financiers. Cette solution apporte également de la transparence aux porteurs d’obligations qui cherchent à comprendre les calculs clés des clauses restrictives et des paniers en fonction des états financiers publiés de l’entreprise.

L’approche se complique pour les obligations de première qualité, du fait que bien des entreprises émettent des titres de créance sur le marché des obligations de première qualité en vertu d’un acte de fiducie global qui vaut pour toutes les séries d’obligations émises par l’entreprise. Cela crée un effet de plus petit dénominateur commun, puisque tout changement aux clauses restrictives ne s’appliquerait qu’aux émissions futures d’obligations (à moins que l’entreprise n’obtienne le consentement des porteurs d’obligations), et l’entreprise pourrait déjà avoir des obligations à long terme en circulation qui reposent sur les anciennes normes comptables. Par conséquent, certaines entreprises ont hésité à mettre à jour leurs clauses restrictives en prétextant que les avantages d’une telle mesure sont plus que compensés par le risque d’exécution découlant des changements apportés aux clauses restrictives pendant une émission. Par ailleurs, les clauses restrictives des titres de première qualité sont généralement moins touchées par la norme IFRS 16 compte tenu de leur portée limitée dans de nombreux actes de fiducie (dont bon nombre n’incluent pas de critères de création de dettes).

Dans le contexte des conventions de crédit, on s’est généralement éloigné de l’approche du gel des PCGR en raison du fardeau administratif imposé aux entreprises qui doivent préparer deux jeux d’états financiers. En outre, on inclut couramment dans les conventions de crédit un libellé prévoyant qu’une modification importante des normes comptables qui a un impact substantiel sur les modalités financières ou les clauses restrictives déclenche la renégociation de ces clauses. L’emprunteur et le prêteur sont tenus de négocier de bonne foi pour modifier les clauses restrictives afin de mesurer la situation financière de l’emprunteur sur la même base qu’au moment où le prêt a été consenti. En attendant la conclusion d’un accord, l’approche du gel des PCGR sert à calculer les clauses restrictives financières.

Que devraient faire les entreprises?

Les entreprises doivent continuer d’évaluer l’impact de la norme IFRS 16 sur les clauses restrictives de leurs prêts et obligations. Celles qui émettent des titres sur les marchés financiers pour la première fois doivent éviter le gel des PCGR et rédiger des clauses restrictives qui tiennent pleinement compte de la norme IFRS 16. Celles qui ont déjà émis des obligations à rendement élevé ou de première qualité qui bénéficient du traitement comptable précédent doivent envisager d’effectuer des mises à jour au moment d’émettre des obligations dans l’avenir afin que leurs clauses restrictives puissent évoluer vers la norme IFRS 16 au fil du temps. Les entreprises qui concluent une facilité de crédit ou qui refinancent une facilité existante doivent aussi rédiger leurs clauses restrictives et autres dispositions, y compris celles qui touchent le remboursement provenant de l’excédent de trésorerie, de manière à tenir pleinement compte de la norme IFRS.

Il convient également de noter que, si des changements ont été apportés dernièrement au traitement des contrats de location en vertu des PCGR des États-Unis, ces changements ne sont pourtant pas entièrement conformes à la norme IFRS 16, car les PCGR des États-Unis établissent toujours une distinction entre les contrats de location-acquisition et les contrats de location-exploitation. Cette distinction prive les entreprises canadiennes d’un point de comparaison avec le marché américain et a un impact lorsqu’elles y accèdent, car les participants au marché américain demeurent rompus à la structure traditionnelle des contrats de location-acquisition et des contrats de location-exploitation.