Auteurs(trice)
Sociétaire, Propriété intellectuelle, Ottawa
Associé, Propriété Intellectuelle, Toronto
Associé, Propriété intellectuelle, Ottawa
En 2017, le Canada a introduit son régime de certificat de protection supplémentaire (CPS) qui prévoit une forme de prolongation de la durée des brevets pharmaceutiques. En 2020, la Cour fédérale a interprété la protection des CPS de manière large, favorable à la protection, alors que la protection avait été refusée dans des circonstances semblables dans l’Union européenne (UE).
Dans sa décision d’avril 2021, dans le dossier Canada (Health) v Glaxosmithkline Biologicals S.A., 2021 FCA 71 (en anglais seulement) (GSK Biologicals), la Cour d’appel fédérale (CAF) est intervenue, estimant que le champ d’application plus étroit que le ministre de la Santé avait imposé à la protection des CPS était raisonnable et ne justifiait pas d’intervenir. Cette dernière décision confirme qu’un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’établissement d’une politique en matière de CPS par le ministre, à condition que sa position soit justifiée par le contexte. Les décisions du ministre en matière de CPS seront par conséquent plus difficiles à contester, tant pour les demandeurs que pour les contestataires de CPS dans le cadre d’actions en matière de brevets.
Les CPS – en bref
La décision de la CAF dans le dossier GSK Biologicals comporte l’interprétation du paragraphe 3(2) du Règlement sur les certificats de protection supplémentaire, DORS/2017-165 (le Règlement sur les CPS). Le Règlement sur les CPS permet d’accorder un CPS, qui offre jusqu’à deux ans de protection supplémentaire de type brevet pour les produits pharmaceutiques admissibles, afin de compenser partiellement le temps consacré à la recherche et à l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché. Bien qu’une telle protection supplémentaire ait été établie en Europe depuis des décennies, le Canada n’avait jamais reconnu une quelconque forme de prolongation de la durée des brevets avant la conclusion de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’UE.
Le régime réglementaire canadien actuel a été élaboré en consultation avec l’UE[1] et s’inspire du cadre européen. Le Règlement sur les CPS vise à la fois à respecter les obligations du Canada au titre de l’AECG et à maintenir une politique canadienne de longue date consistant à trouver un équilibre entre l’innovation pharmaceutique et un accès abordable aux produits pharmaceutiques.
Comme nous l’avons mentionné précédemment[2],[3] lors de l’examen de la question de savoir si les CPS doivent être accordés, la Cour fédérale a récemment semblé approuver une interprétation plus large de la protection des CPS que dans l’UE, bien que la protection ait été établie en tant qu’obligation commerciale à l’égard de l’UE. Le fait que l’UE ne reconnaisse pas la protection dans des circonstances semblables n’a pas été abordé clairement dans les décisions de la Cour fédérale examinant la question, mettant le cadre canadien en contradiction avec le cadre même dont il est inspiré.
Dans la décision Glaxosmithkline Biologicals SA c Canada (Health), 2020 CF 397 (la décision faisant l’objet de l’appel dans l’arrêt GSK Biologicals), le ministre de la Santé avait refusé de délivrer à Glaxosmithkline Biologicals SA (Glaxo) un CPS concernant un vaccin (comprenant un antigène et un adjuvant) contre le zona et le brevet canadien associé (portant uniquement sur l’antigène)[4]. En motivant son refus, le ministre a expliqué que les adjuvants ne sont pas considérés comme des ingrédients médicinaux, ce qui entraîne leur inadmissibilité au CPS. La Cour fédérale a jugé que l’interprétation du terme « ingrédient médicinal » par le ministre aux termes du Règlement sur les CPS était déraisonnable et qu’il était par conséquent déraisonnable de refuser la protection du CPS à l’égard d’un brevet couvrant la combinaison d’un antigène et d’un adjuvant[5]. La Cour de justice de l’Union européenne était toutefois arrivée à la conclusion contraire à l’égard des mêmes faits[6].
Dans l’arrêt GSK Biologicals, la Cour d’appel fédérale a maintenant infirmé la décision de la Cour fédérale. Ce faisant, elle a clairement placé la politique sur les CPS entre les mains du ministre, dont l’interprétation a été jugée raisonnable à la lumière de ses politiques réglementaires plus vastes concernant les ingrédients des vaccins et à la lumière de l’AECG, en tenant compte de l’approche de l’UE en matière de protection semblable.
L’approche de l’UE a directement appuyé la conclusion selon laquelle l’approche du ministre est raisonnable
Pour appuyer sa position, le ministre a fait valoir son expertise scientifique quant à la signification du terme « ingrédient médicinal », soulignant que sa position était conforme à la politique générale de Santé Canada, au traitement du même produit à toutes les autres fins réglementaires et aux approches des organisations visant l’harmonisation internationale sur ces questions. Glaxo a fait valoir que l’ingrédient breveté, un adjuvant, doit être considéré comme « actif », car il contribue à l’activité biologique. Face à des interprétations divergentes, la CAF a estimé qu’il convenait d’évaluer si l’approche du ministre était compatible avec l’AECG. Reconnaissant qu’il faut faire preuve d’un certain degré de retenue à l’égard de la décision du ministre, la CAF a émis une mise en garde en entreprenant cet examen supplémentaire :
[TRADUCTION] [51] Cela dit, il faut se garder de mettre de côté l’interprétation par un organisme de réglementation d’un terme qui est utilisé dans l’ensemble du système réglementaire relatif aux produits pharmaceutiques, bien qu’à des fins diverses, uniquement en raison d’une autre interprétation apparemment logique. C’est le cas à moins qu’il n’y ait une indication claire que les mots peuvent et doivent être interprétés d’une manière particulière, au moins dans le contexte du Règlement sur les CPS, en raison de l’AECG.
Après avoir constaté que le libellé de l’AECG lui-même n’était pas particulièrement éclairant, la CAF s’est tournée vers la jurisprudence de la Cour européenne de justice, qui interprète l’étendue de la protection dans l’UE. Ce faisant, la FCA a émis une deuxième mise en garde concernant le recours aux autorités étrangères :
[TRADUCTION] [58] Cette similitude d’interprétation est pertinente pour déterminer le caractère raisonnable de la décision du ministre, car la jurisprudence canadienne sur la signification de l’expression « ingrédient médicinal » n’avait pas encore fourni de réponse suffisamment précise à cet égard, comme mentionné. Je conviens avec les parties qu’il faut être prudent dans le recours à la jurisprudence étrangère, mais dans ce cas particulier, je la trouve convaincante eu égard au raisonnement qui la sous-tend.
La CAF a ensuite constaté que l’approche du ministre est conforme à celle de la Cour européenne de justice et donc à l’AECG. En faisant cette constatation, la CAF a pris soin de préciser ce qui suit, à la lumière de la retenue dont il faut faire preuve à l’égard de la décision du ministre :
- la cohérence ne signifie pas que le système canadien doit être identique à celui qui était déjà en place dans l’UE; et
- il ne faut pas non plus déduire de ces motifs que la jurisprudence étrangère lie les tribunaux canadiens de quelque manière que ce soit.
La CAF était prête à accepter que le terme « ingrédient médicinal » dans le Règlement sur les CPS (eu égard au terme « ingrédient actif » dans l’AECG) est susceptible de plus d’une interprétation raisonnable, et il n’appartient pas aux tribunaux effectuant le contrôle de choisir celle qu’ils préfèrent ou qu’ils trouvent la plus logique. La norme de contrôle ne permet pas d’intervenir à ce degré.
Répercussions futures
Dans les deux premières décisions de la Cour fédérale concernant les CPS, un signal fort a été envoyé au ministre, à savoir qu’il n’aurait que très peu de latitude pour établir une politique concernant la portée de la protection des CPS. L’arrêt GSK Biologicals renverse cette tendance en confirmant qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de politique en matière de CPS établie par le ministre, à condition que sa position soit justifiable compte tenu du contexte réglementaire, scientifique et de l’AECG.
La répercussion directe de l’arrêt GSK Biologicals est qu’il sera plus difficile de contester les décisions du ministre en matière de CPS, que ce soit en tant que demandeur ou en tant que contestataire de CPS dans le cadre d’une action en contrefaçon ou en invalidation de brevet. Étant donné que l’UE a plusieurs décennies d’expérience dans le traitement de ces questions, les parties qui plaident devant le ministre ou le tribunal seraient bien avisées de s’appuyer sur la cohérence de leur position avec la jurisprudence de l’UE pour faire avancer leur cause.
[1] Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Règlement sur les certificats de protection supplémentaire, Gazette du Canada, partie II, vol. 151, édition spéciale, en ligne : https://gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2017/2017-09-07-x1/pdf/g2-151×1.pdf#page=1.
[2] Bradley White, Nathaniel Lipkus et Jaymie Maddox, « Canadian court interprets CETA drug patent extensions more broadly than EU equivalent » (24 avril 2020), en ligne : https://www.osler.com/en/resources/regulations/2020/canadian-court-interprets-ceta-drug-patent-extensions-more-broadly-than-eu-equivalent (en anglais seulement).
[3] Bradley White et Nathaniel Lipkus, « Interprétation plus large de la protection supplémentaire des brevets pharmaceutiques par les tribunaux canadiens que leurs homologues de l’UE » (24 février 2021), en ligne : https://www.osler.com/fr/ressources/reglements/2021/interpretation-plus-large-de-la-protection-supplementaire-des-brevets-pharmaceutiques-par-les-tribun.
[4] Brevet canadien no 2,600,905 et médicament SHINGRIX.
[5] Glaxosmithkline Biologicals S.A. c Canada (Santé), 2020 CF 397, aux paragraphes 43 et 46.
[6] Glaxosmithkline Biologicals SA contre Comptroller-General of Patents, Designs and Trade Marks, [2014] RPC 17.